Mode
La marque de luxe affiche son soutien à dix espèces menacées avec une série limitée de son polo. Attendue par les jeunes sur le « green », Lacoste devra dépasser les simples larmes de crocodile.

Il fallait être attentif mercredi 28 février à 10 h pour voir démarrer l’opération « Save Our Species » de Lacoste. Elle a déboulé sur les réseaux sociaux, marquée à la culotte par sa caravane de retweets, influenceurs et articles de presse. C’est allé très vite. Les 1 775 polos collector sont partis en 24 heures. Depuis, le peloton de followers reste serré. Mais que s’est-il passé ? Pour la première fois, la marque française de sportswear premium troquait l’iconique logo de crocodile par l’effigie de dix espèces en voie d’extinction. « Pour chacune d’elles, le nombre de polos produits correspond au nombre de spécimens encore présents dans la nature : de 30 exemplaires pour le Marsouin du Pacifique à 450 exemplaires pour le Cyclure de l’île Anegada… » explique la marque. Le geste, largement salué sur le net, est signé BETC. C’est l'agence star d’Havas, enseigne attitrée de Lacoste, qui a eu l’idée. L’opération de com s’accompagne d’un partenariat de trois ans avec l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). « Comme Lacoste a participé à l’opération “Save Your Logo” en 2009, nous avons voulu aller plus loin et donner de la puissance à son engagement. Lorsque nous avons présenté le projet au directeur artistique de la marque, Felipe Oliveira Baptista, il a répondu qu’il aurait aimé avoir eu l’idée », raconte Antoine Choque, directeur de création chez BETC. 48 heures plus tard, il se félicite de la résonance de l’opération, relayée à la TV aux États-Unis et en Chine. Engagée pour trois ans auprès de l’UICN, l’agence pense à « d’autres pistes créatives pour d’autres animaux menacés » qui devront voir le jour en 2019.

Vieilles casseroles

L’ensemble des bénéfices du polo, vendu 150 euros au lieu de 100, est réinvesti. « La moitié des bénéfices sont reversés directement à l’UICN afin de financer des actions concrètes de protection de la nature et l’autre moitié est investie dans des actions de communication destinées à donner de la visibilité à cette cause et au programme Save Our Species » détaille Lacoste. Les retombées pour la marque de prêt-à-porter se mesureront en termes d’image. En 2011, Greenpeace l’épinglait (avec d’autres) pour ses rejets de produits toxiques en Chine, rappelant au passage l’ampleur de l’impact écologique de l’industrie textile, réputée être la deuxième plus polluante au monde. Depuis, Lacoste a promis de supprimer le NPE, la substance en cause. Sur un autre front, elle revendique soutenir la campagne Cotton Pledge luttant contre le travail forcé et le travail des enfants. Depuis 2014, elle soutient la Fondation des Everglades afin de protéger les crocodiles, alligators et autres caïmans – laissant loin l’anecdote fondatrice du logo : René Lacoste rêvait d’une mallette en croco, promise par le capitaine de l'Équipe de France de tennis en cas de victoire d'un match important de 1925… que Lacoste finit par perdre.

Les millennials en ligne de mire

Les observateurs du secteur sont unanimes : il devient impensable pour une marque de textile de luxe de n’avoir aucun engagement en faveur de l’environnement. « La mode est très attaquée et donc très regardée. Alors, en réaction, les marques cherchent de nouveaux modèles pour répondre à ces attentes », remarque Géraldine Bouchot, directrice éditoriale tendance et prospective de Carlin Creative Trend Bureau. Lacoste et ses consœurs pourraient snober ces considérations si elles n’étaient pas portées par la nouvelle génération de clients, les millennials. « Ils sont très informés par les réseaux sociaux et sensibles aux causes environnementales, sur lesquelles ils attendent les marques. Et gare au greenwashing, car cette génération-là sait parfaitement décrypter les codes de la communication, et en retour, sera très à l’aise pour dénoncer les marques en ligne », poursuit-t-elle. Ashley Adé, consultante en prospective chez Peclers Paris, ne dit pas autre chose : « L’étude Eco Pulse publiée début 2018 nous a appris que 90 % des millennials américains préféraient acheter des produits de marques engagées dans des pratiques durables. Plutôt qu’une attitude désabusée, cet activisme redonne un nouveau souffle à l’engagement. » Mais toutes les marques ne sont pas fondées à se placer sur ce nouveau créneau. Quand H&M sort sa gamme « Conscious » en matières bio ou recyclées, le souvenir de l’effondrement du Rana Plaza et ses 1 135 morts au Bangladesh pèsent encore et les observateurs s’étranglent. Malgré tout, comme le note Gildas Bonnel, président de l’agence de communication responsable Sidièse, « il existe un décalage entre le déclaratif et la réalité car la pression du pouvoir d’achat des plus jeunes fait qu’ils se ruent chez Zara et H&M ».

Le numéro du vert ? 

Dans le cas de Lacoste, Gildas Bonnel espère que la démarche est profonde. La marque précise qu’elle étudie « d’autres projets » en faveur de la biodiversité, au-delà du jeu de chaises musicales des logos qui a amusé internet un après-midi. Alors que l’une des composantes de la com RSE est la transparence, on ne peut pas dire que Lacoste coche encore cette case. Difficilement joignable et préférant sélectionner ses questions, elle communique avec une étonnante prudence. Géraldine Bouchot se demande s’il ne s’agit pas que d’un « coup », et attend des preuves. Ou peut-être faut-il, à l’image d’Ashley Adé, comprendre qu’une marque « ne peut pas s’engager sur tous les fronts en même temps ». Quoiqu’il en soit, résume Gildas Bonnel, « le monde du luxe est obligé d’aller dans l’écologie, ou il sera ringardisé ». En attendant que le vert se confirme comme nouvel attribut des griffes premium, Lacoste et BETC ne se priveront pas d’aller chasser un Lion à Cannes.

Chiffres clés

12 millions d'euros. Dépenses médias de Lacoste en France en 2016 (Kantar Media).

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