Régions
Deuxième article d'une série sur les stratégies de marque des grandes villes françaises: Bordeaux. Après s'être longtemps reposée sur la notoriété de son vin, la capitale girondine, en plein mutation urbaine, a décidé de reprendre en main son image en associant son riche patrimoine et ses projets les plus audacieux.

Du 6 au 9 septembre, le tout Bordeaux politique, économique et vinicole assistait à la première Fête du vin à Québec. Séduit, lors de sa visite de la capitale girondine en juin 2010, par cette manifestation qui depuis sa création en 1998 réunit tous les deux ans (en alternance avec la Fête du fleuve) des milliers de Bordelais et de touristes sur les quais de la Garonne (500 000 en juin dernier), le maire de Québec s'était promis d'organiser l'événement dans sa ville. Promesse tenue cette année à l'occasion de la célébration du 50e anniversaire du jumelage Québec-Bordeaux, pour le plus grand plaisir de cette dernière qui s'est ainsi offert une vitrine inespérée en touchant quelque 30 000 visiteurs.

Une fois de plus, les vins de la capital girondine ont contribué à son rayonnement. Son image a toujours été étroitement liée à la renommée des châteaux et grands crus du bordelais. «Nous partageons le même nom, nous avons donc tout intérêt à travailler ensemble, estime Christophe Chateau, directeur de la communication du Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB). Les 20 millions que nous investissons en publicité chaque année dans le monde servent aussi à communiquer sur la ville.» En témoigne la dernière campagne internationale du CIVB («Bordeaux. Des vins, un style»). Signée par l'agence Marcel, elle évoque un certain art de vivre à la bordelaise (carrelet de pêcheur, jardin et intérieur d'un château…).

Cette collaboration est en fait récente. Longtemps, les deux institutions se sont ignorées. Mais depuis le succès de la Fête du vin à Hong Kong, qui en est à sa quatrième édition, les projets communs fleurissent, du salon South by South West d'Austin (Texas), sur l'univers numérique pour des opérations d'œnotourisme, en passant par le Centre culturel et touristique du vin, dont le bâtiment à l'architecture audacieuse, hommage à la rondeur du breuvage, doit ouvrir ses portes en 2015 dans le quartier des Bassins à flot. Cette association entre Bordeaux et son vin est un indéniable atout pour la métropole. «Etre une ville “marque” est une chance incomparable et rare, en France comme à l'étranger. Le vin est et restera notre atout majeur», assure Stéphane Delaux, adjoint au maire chargé du tourisme et ancien publicitaire. Mais cette proximité entre la ville et son nectar a son revers. «Si les vins portent l'image de la ville, ils la phagocytent aussi. Bordeaux doit davantage montrer ses autres visages», analyse Olivier Ossard, coprésident de Publicis Activ, installé à Bordeaux depuis treize ans et conseiller d'Alain Juppé.

Mutation urbaine

Un travail d'«émancipation» qui a débuté en fait avec l'arrivée en 1995 de ce dernier à la mairie de Bordeaux et, surtout, à la tête de la Communauté urbaine (1995-2004), bras armé et financier de la politique d'urbanisme, qui a permis en une dizaine d'années de remodeler la ville. «Il faut reconnaître que Juppé a beaucoup fait pour l'image de Bordeaux en la sortant de son statut de belle endormie. Désormais, les Bordelais sont fiers de leur ville», constate Benoît Lasserre, directeur des éditions girondines du quotidien Sud-Ouest. Le tourisme en profite: le nombre de nuitées est passé de moins de 1,1 million en 2001 à plus de 1,8 million l'an dernier. Avec son tramway inauguré en 2003 et doté d'un système innovant d'alimentation par le sol, avec ses 1 800 hectares classés en 2007 au patrimoine mondial de l'humanité par l'Unesco et ses 4 kms de quais aménagés avec le plus grand miroir d'eau du monde (en passe de devenir l'emblème de la ville), le Bordeaux d'aujourd'hui n'a plus grand chose à voir avec celui des années 1990, arrogant et replié sur son héritage architectural, avec ses façades noircies, ses rives abandonnées et son désert culturel.

Pour accompagner cette mutation urbaine, la mairie a entrepris de remobiliser les Bordelais sur le mode participatif. Sous l'impulsion de sa nouvelle directrice de la communication, Marie-Laure Hubert-Nasser, nommée en 2010, la ville a misé sur cette fierté retrouvée. «Autour de la nouvelle signature “Bordeaux ma ville”, nous avons lancé via les réseaux sociaux un appel à la population pour recruter les ambassadeurs de l'agglomération, explique Marie-Laure Hubert Nasser, Aujourd'hui, nous en comptons environ quatre cents, qui témoignent de leur vie quotidienne à Bordeaux, animent le blog des ambassadeurs, organisent des fêtes, des réunions, et participent à la communication de la ville.»

 

En effet, désormais, toutes les prises de parole municipales (affiches, magazines, brochures, guides, etc.) font l'objet de travaux de réflexion avec les ambassadeurs, qui sont les égéries exclusives des campagnes de la ville comme celle, dernièrement, sur le futur Grand Stade devant accueillir des matchs du prochain championnat d'Europe de football, en 2016. «Le succès de cette initiative nous a nous-mêmes surpris. Cela nous permet de toucher un public jeune. Notre page Facebook compte 11 000 fans», ajoute Marie-Laure Hubert Nasser.

Reste à mieux faire connaître au niveau national et international le nouveau visage de la cité. Après une première tentative avortée voilà trois ans, du fait des rivalités entre la municipalité de droite et la Communauté urbaine de gauche, la mairie finalise enfin sa nouvelle stratégie de marque territoriale avec le concours de l'agence Publicis Activ. «L'idée, qui sera prochainement révélée, est d'associer le capital patrimonial et architectural de la ville avec l'audace de ses projets à venir, que ce soit l'écoquartier Giko, le réaménagement de la zone des Bassins à flot ou encore Euratlantique [nouveaux quartier d'affaires près de la gare, en vue du projet de ligne à grande vitesse reliant Bordeaux à Paris en 2 heures en 2017]», confie Marie-Laure Huber-Nasser, qui dispose d'un modeste budget de 1,2 million d'euros. 

Nombreuses initiatives privées

Mais le pari reste audacieux, tant la métropole bordelaise (240 000 habitants) doit encore faire ses preuves sur deux sujets clés en matière d'attractivité: l'emploi et la culture. Sur le premier point, la capitale girondine ne communique guère, en dépit d'un vrai potentiel: selon le site d'emploi Qapa.fr, Bordeaux est la ville ayant le plus fort potentiel d'embauches devant Lille et Toulouse. Les secteurs de l'aéronautique et de la défense ainsi que la filière bois, notamment, sont de gros pourvoyeurs d'emplois.

Autre point faible: la culture. «La ville accuse toujours un certain retard en matière de créations artistiques», constate Benoît Lasserre, de Sud-Ouest, qui évoque des manifestations ayant du mal à convaincre, comme Evento, biennale associant art contemporain et problématiques urbaines, dont la 3e édition a été repoussée à 2014 ou Novart, biennale des arts de la scène, qui n'a pas encore trouvé sa place. En revanche, toujours à propos des biennales, Agora, qui porte sur l'architecture, le design et l'urbanisme, a confirmé lors de sa 5e édition (en septembre) son statut de rendez-vous national. «Un moyen habile de sortir Bordeaux de son image de ville du XVIIIe siècle», reconnaît Benoît Lasserre.  

Mais ce tableau mitigé en terme d'emplois comme de culture ne doit pas occulter les nombreuses initiatives privées. Telle celle d'Inoxia, jeune agence de communication initiatrice du projet Darwin, un écoquartier réunissant entreprises, commerces, restaurant, crèche et activités culturelles (voir Stratégies n°1673 du 5 avril 2012). «La ville, mais aussi Alain Juppé, s'il veut se faire réélire en 2014, doivent axer leur communication sur l'emploi. Ce que fait déjà, à la tête de la Communauté urbaine, son futur adversaire PS aux municipales, Vincent Feltesse», analyse Olivier Ossard, qui estime que Bordeaux doit rééquilibrer son image surdimensionnée par rapport à sa taille et à sa réalité économique.

 

Prochain article: Nantes

 

(encadré)

Médias et agences à Bordeaux

Médias

Groupe Sud-Ouest: Sud-Ouest (104 000 ex. en Gironde), Direct matin Bordeaux 7 (28 000 ex.) et TV7 Bordeaux (100 000 téléspectateurs);

France 3 Aquitaine (44 000 téléspectateurs en moyenne par jour, 1,6% de pénétration);

France Bleue (70 400 auditeurs en moyenne par jour en Gironde, 5,8% d'audience cumulée et 34 200 auditeurs sur Bordeaux, 4,9% d'audience cumulée);

Groupe Sud Radio: Wit FM (8,8% d'audience cumulée) et Black Box (4,4% d'audience cumulée)

Agences

117 agences de communication à Bordeaux, dont Citron pressé, Inoxia, Passerelles, Publicis Activ, St John's et TBWA Compact.

Association des professionnels aquitains de la communication (Apacom), 500 membres.

5 000 emplois liés à la communication en Aquitaine

(Sources: Médiamétrie, sept.2011-juin 2012, population âgée de 15 ans et plus; Médialocales Bordeaux, sept.2011-juin 2012, audience cumulée lundi-vendredi 5h-24h, 13 ans et plus.)

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