Il aurait dû être lancé à 20 heures le mercredi 15 février, au moment où Nicolas Sarkzoy officialisait, sur TF1, sa candidature pour un nouveau mandat à la présidence de la République. Las, le timing était définitivement trop court pour rattraper le retard. C'est donc dans la nuit que le site de campagne du président sortant a été mis en ligne. Son compte Twitter - plus simple à créer - avait lui été ouvert dès le matin, précédé quelques jours auparavant par le lancement de sa «timeline» sur Facebook. Sa page, qui a depuis basculé sur le site de campagne, étant, elle, ouverte depuis plusieurs années (540 000 fans) et servant notamment de relais d'information à ses activités élyséennes.
Anecdotiques, ces relevés d'horaires? Oui et non! Ils montrent que si Internet et les réseaux sociaux font désormais partie de la panoplie des outils de campagnes électorales, il n'est pas sûr que tous les politiques en aient les mêmes attentes, les mêmes usages et de fait, la même anticipation stratégique.
Pour la campagne 2012, les dépenses Internet sont ainsi en hausse et devraient, selon l'AFP, doubler par rapport à 2007 et dépasser les 5% du budget total des candidats. 2008 est passé par là, marquant un tournant pour la net-politique. La stratégie de Barack Obama ayant définitivement confirmé le pouvoir de mobilisation d'Internet et sa capacité, via l'utilisation d'un réseau social militant, d'organiser les volontaires sur le terrain. Le président américain a en effet démontré les atouts du Web à la fois pour recruter des sympathisants prêts à s'engager et pour lever des fonds via les microdons (l'opération «5 euros» est reprise actuellement par la plupart des candidats en lice).
Benoît Thieulin, patron de la Netscouade et responsable en 2007 de la campagne sur le Web de Ségolène Royal puis en 2009 de Europe Ecologie, le confirme: «En 2007, on avait recours au mailing et aux blogueurs. Depuis, on a assisté à l'essor des réseaux sociaux, des sites de partage de vidéos, des smartphones et à la popularisation de l'infographie. En 2007, on a associé les internautes sans réel but, aujourd'hui on sait que le Web permet d'organiser la campagne de terrain.»
Aucun candidat ne néglige plus Internet, les réseaux sociaux et le bénéfice des vidéos virales. Mais pour Arnaud Dassier, responsable de la web-campagne de Nicolas Sarkozy en 2007, «les outils sont devenus périphériques, car tout le monde les utilise». Pour lui, «la campagne de 2012 va se faire sur deux critères quantitatifs, la capacité de mobilisation et les contenus, via le "storytelling" pour les sympathisants, les vidéos qui sont le média le plus consommé, le plus émotionnel et le plus pédagogique, et la data-visualisation.»
Une étude Ipsos de novembre 2011 révélait que 58% des Français comptaient utiliser Internet pour s'informer sur la présidentielle (86% préférant la TV, 68% la radio et 64% la presse), mais seulement 16% citaient les sites des partis politiques. Les activistes politiques sur Internet sont donc bien minoritaires (13% des 35 millions d'internautes français, selon une étude CSA de janvier 2012). Leur pouvoir de partage social est donc plus que jamais au cœur des dispositifs des candidats qui, chacun selon son positionnement et ses ambitions, adoptent, au-delà des outils communs, une web-attitude propre. Revue de troupes.
François Hollande
«J'implique mes amis dans la campagne par email ou SMS.» Un bandeau d'appel à la mobilisation barre la page d'accueil du site de campagne du candidat socialiste, francoishollande.fr, depuis l'annonce de la candidature de Nicolas Sarkozy le 15 février. Sur ce site, qui s'adresse à ceux en recherche d'une information sur le candidat (actualités, projet présidentiel - disponible également sur tablettes et smartphones -, équipe, etc.), une rubrique détaille la stratégie de porte-à-porte de François Hollande qui cible les abstentionnistes de gauche avec pour objectif «l'ouverture de 5 millions de portes».
Pour y parvenir, une plate-forme de mobilisation et d'organisation, toushollande.fr, a été lancée le 3 février, inspirée de la web-campagne de Barack Obama en 2008. Celle-ci a démontré que le porte-à-porte était l'action la plus efficace pour convaincre un abstentionniste de voter. Ce site, qui n'a pas fusionné avec le réseau social militant La Coopol du PS, dispose d'un outil de reporting géolocalisé.
«Cette campagne est la vôtre», exhorte François Hollande dans une vidéo afin de recruter 150 000 volontaires de terrain. Mais le favori des sondages sait qu'il dispose d'un trésor de guerre: près d'un million de mails collectés, notamment lors des primaires en octobre 2011. Des sympathisants qui reçoivent quotidiennement des mails d'information et d'actions à mener et à diffuser de la part du PS et de l'équipe présidentielle (de Vincent Feltesse, le responsable de l'équipe Web, à Pierre Moscovici, directeur de campagne, et parfois de François Hollande lui-même).
Un atout, d'autant que selon une étude réalisée par le CSA en janvier, 45% des activistes politiques sur Internet se déclarent proches de la gauche modérée, contre 17% pour la droite modérée. Et que 28% de ces activistes seraient des électeurs potentiels de François Hollande (contre 15% pour Nicolas Sarkozy).
Toushollande.fr, qui a son relais sur Facebook et Twitter, propose également des actions en ligne, notamment de partage de contenus. Le site publie des infographies conçues par la Netscouade et des données faisant la promotion du projet présidentiel tout en agrégeant des contenus proposés par des internautes et des blogueurs. Un espace «témoigner» permet de laisser sa photo et un message de soutien sur une carte de France. Le PS tient aussi son rôle. «Le site du PS rend compte de la campagne de tous les dirigeants via des "direct vidéos" et assure le travail infographique de déconstruction du bilan du président sortant», explique Emile Josselin, responsable Web du parti.
Budget: 2 millions d'euros - Equipe Web: 35 personnes (+ 10 au PS)
Nicolas Sarkozy
A deux mois de l'élection présidentielle, Nicolas Sarkozy, donné perdant dans tous les sondages, pouvait difficilement faire campagne sur Internet sur son seul nom. Son site, lancé quelques heures après l'annonce de sa candidature le 15 février, porte donc celui de son slogan, "La France forte". Une mise en ligne suivie d'un déferlement de parodies, dont certaines ont été fermées par Twitter. En ouverture de son site et de celui de l'UMP, un bandeau invite à participer à la campagne en laissant son email et son code postal.
«C'est un peu tard pour collecter des adresses», estime Arnaud Dassier. Le responsable de la campagne Web de Nicolas Sarkozy en 2007 indique avoir, à l'époque, constitué une base de 320 000 mails, en s'y attelant dès juin 2005. Selon lui, la base de l'UMP contiendrait environ 200 000 mails contre plus de 900 000 au PS, collectés notamment grâce aux primaires.
Lafranceforte.fr, conçu par l'agence Emakina, se présente comme un site d'actualité, avec la part belle faite aux vidéos et aux visuels (tout pouvant être relayé sur Twitter et «liké» sur Facebook) pour traiter le bilan et les interventions du candidat. Le programme, lui, n'était pas en ligne le 21 février. L'espace «militez» engage à rejoindre Nicolas Sarkozy sur trois réseaux sociaux: Facebook, Twitter et Foursquare. Sur ce site de géolocalisation, on pourra suivre le candidat parti à la rencontre des Français avec, à l'appui, photos et adresse du commerce ou restaurant visité. Une démarche «gagnant-gagnant», diraient les marketeurs!
A cet égard, le site Atlantico croit savoir que l'équipe de Nicolas Sarkozy filmera des rencontres avec des Français sans journalistes - comme cela a été le cas dans une brasserie d'Annecy le 16 février - afin de les publier sur un site dédié.
Sur Facebook, Nicolas Sarkozy a inauguré son profil, en mode «timeline», qui présente en images sa carrière politique, avec des oublis historiques notoires (son choix en faveur de Balladur contre Chirac, la visite de Khadafi à Paris), et n'est pas ouvert aux commentaires. Sa page Facebook affiche plus de 544 000 fans et était un outil de communication du président de la République accessible d'ailleurs depuis le site de l'Elysée. Si l'accès est désormais supprimé, le PS s'est inquiété de cette collecte de fans par le biais de l'Etat «contraire au code électoral».
Au-delà de leur nombre, reste à savoir comment Nicolas Sarkozy, aidé du site de l'UMP, va mobiliser ses fans et autres soutiens sur le terrain.
Budget: 2 millions d'euros - Equipe Web: 25-30 personnes issues des cellules de l'Elysée et de l'UMP (+ agence Emakina)
Marine Le Pen
Le Front national a depuis longtemps structuré sa présence sur Internet. Et son électorat, insatisfait du traitement par les médias classiques du parti d'extrême droite - notamment la télévision - a pris l'habitude de s'informer à la source. Selon une étude CSA réalisée en janvier, les électeurs potentiels de Marine Le Pen représenteraient d'ailleurs 25% des 4,5 millions d'internautes estimés comme les plus actifs politiquement par l'institut d'études (contre 15% des électeurs de Nicolas Sarkozy).
Avec l'essor de la vidéo haut débit, le FN a très vite compris l'avantage d'avoir ses propres médias audiovisuels en ligne. La vidéo, qui favorise la propagation des messages et des formules et permet de jouer sur l'émotion, est bien sûr à l'honneur dans la campagne de sa candidate Marine Le Pen: chaîne officielle sur You Tube, enregistrement systématique filmé d'un responsable de l'équipe pour présenter les thématiques de son projet, diffusion des interventions TV et des meetings, ou encore interview intime de la candidate au coin du feu. Une longue vidéo, accessible via l'onglet «Marine», en tête sur son site de campagne et en séquences pour mieux être viralisée.
«Marine Le Pen est le seul candidat à avoir une entrée avec son prénom et un entretien intimiste qui traduit son besoin de donner des gages d'humanité et d'adoucir son image», note Eric Lemoine, directeur de Digital Meanings. Présentation du projet et de l'équipe, Internet est ici, aussi, un outil de mobilisation mais très encadré et hiérarchique, sans appel à contributions. Marine Le Pen a lancé l'opération «Toile bleu Marine», qui s'adresse aux internautes ayant «obligatoirement» un blog ou un site pour pouvoir relayer ses «argumentaires» et ses «propositions». Et depuis la candidature de Nicolas Sarkozy, elle mène un buzz médiatique, demandant à ses soutiens de remplacer la photo de leur profil sur Facebook, Twitter ou Google+, par un «carton rouge».
Budget : 700 000 euros.
François Bayrou
Aucune référence à son parti, le Modem, ni de rubrique sur son équipe (seulement une liste de soutiens dans la rubrique «Portrait») sur le site de campagne de François Bayrou. Mais une personnalisation forte avec d'entrée, sa signature manuscrite et une photo avec citation (extraite d'une intervention sur un média et pas sur le terrain) prenant toute la largeur de la page et renforçant l'aspect «homme providentiel». Bayrou.fr, réalisé par les agences Big Youth et Spyrit, se singularise par sa navigation par scroll qui déroule sur la même page une succession d'écrans («projet», «volontaires», «dons», «portrait»).
«Ces innovations sont un clin d'œil aux internautes avertis», explique le responsable Web, Matthieu Lamarre. Bayrou est le seul candidat à revendiquer un réel intérêt et une pratique du numérique. Sa présence se déploie sur Twitter, Facebook et Google+, tablettes et smartphones. L'espace «volontaires» vise à séduire les bonnes volontés qui pourraient devenir des sympathisants. D'où une approche ludique inspirée de My.BarackObama.com de 2008: chaque action menée permet de gagner des points (des «décibels», selon le bruit de l'action). Matthieu Lamarre le confirme, «l'univers graphique est plus proche du "gaming" que du militantisme». Les actions sont ainsi à la fois classiques (relayer le programme, convaincre des amis, tracter) et légères (voter pour le t-shirt de campagne, noter l'appli Iphone du candidat).
A noter que si les bonnes idées sont bienvenues, Bayrou ne lance pas d'appel aux blogueurs pour relayer son projet ou solliciter du contenu. Les créations des volontaires ne sont pas reprises sur le site du candidat mais alimentent son Tumblr (nousbayrou), avec un accès à son compte Twitter permettant de l'animer en contenus.
Budget: 600 000 euros. Equipe Web: 6 personnes.
Jean-Luc Mélenchon
Impossible de trouver le site de campagne de Jean-Luc Mélenchon en faisant une recherche sur Internet à partir de son nom. Car ce n'est pas lui - pourtant désigné pour ses qualités de tribun médiatique - qui fait campagne mais le Front de gauche, cette alliance électorale comprenant le PCF et son mouvement, le Parti de gauche. Le site de campagne a été baptisé placeaupeuple2012.fr, en référence aux révolutions arabes!
Pas de photo donc, ni de biographie de Jean-Luc Mélenchon (mais une page fan sur Facebook et même une interview dans Gala!) en une du site, qui se découpe en deux espaces: s'informer et militer. Le premier agrège le programme, les vidéos de la campagne (les meetings sont retransmis en direct et favorisent l'appel aux dons), mais aussi les productions des élus, des militants et des «citoyens» qui tiennent des sites d'information ou des blogs. Un community manager, Clément Sénechal (ex-Mediapart) assure le lien sur les réseaux sociaux et fait le succès du compte Twitter, que ne pratique pas Mélenchon.
Le volet «militer» fournit tous les outils pour se mobiliser en ligne et sur le terrain. «A côtés des militants aguerris, il y a ceux qu'il faut éduquer, explique Alban Fisher, responsable du pôle Web. Voilà pourquoi, nous lançons quotidiennement des défis (relayer un article ou un message sur Facebook, créer un compte Twitter, encourager les chômeurs dans les Pôles emploi...) avec une "gamisation" qui fait marquer des points collectifs.» Mais mobiliser, c'est aussi fidéliser, dixit Arnauld Champremier-Trigano, directeur de la communication du candidat, qui sacrifie au "storytelling" avec une web-série hebdomadaire racontant les coulisses de la campagne... avec Jean-Luc Mélenchon en vedette !
Budget: 100 000 euros
Eva Joly
La candidate d'Europe Ecologie-Les Verts (EELV), Eva Joly, a opté pour deux sites réalisés en interne. Un site de campagne, evajoly2012.fr, présente sa biographie, son projet et son actualité, ainsi que le kit militant pour mener campagne, sans besoin de s'inscrire préalablement. Et une plate-forme de mobilisation, Aveceva.fr, à vocation collaborative
«Il y a les campagnes qui marchent au robot ou aux consignes descendantes unidirectionnelles données aux web-activistes considérés comme des boutons poussoirs, explique Frédéric Neau, responsable Web d'EELV. Notre projet est de construire une campagne libre et collective via une plate-forme ouverte et participative. Les internautes et les comités locaux pouvant soumettre leurs propres projets pour se mobiliser sur la Toile ou sur le terrain, ou en compléter certains.» «Toutes les compétences sont bienvenues: argumentaires, actions de terrain, créations graphiques, tutoriels», précise le directeur de la mobilisation, Julien Bayou, fondateur du collectif Génération précaire et de Jeudi noir.
En vrac, les sympathisants peuvent participer à la playlist de la campagne, créer la bande-annonce du «Stop Nuclear» ou des vidéos virales sur Eva Joly, participer à une «Partage Party» (rencontre pour partager des objets culturels), etc. Une bonne humeur débridée, qui ne résoudra pas le problème d'image de la candidate et ses 2% d'intention de vote... Un studio TV est en cours d'installation pour produire «des vidéos qui permettront de montrer Eva Joly telle qu'elle est vraiment», dixit Frédéric Neau.
Budget: 200 000 euros. Equipe Web: 5 personnes (et bénévoles)