Monsieur Louis savait tout des clients de Lasserre. Le jour où il est parti, le restaurant de l'avenue Franklin Roosevelt, à Paris, a perdu sa mémoire. Heureusement, en 2007, trois jeunes aux dents longues créent Lafourchette.com. Un site de réservation en ligne pour petites et grandes tables, et surtout un logiciel qui mémorise le profil de ses clients. Nom, numéro de portable et adresse e-mail, bien sûr, mais aussi quelques informations stratégiques: monsieur n'aime pas le céleri rémoulade, madame ne boit que du vin blanc et ils préfèrent la table 27.
Diplômés d'HEC et de l'Epsci, Bertrand Jelensperger et Patrick Dalsace ont d'abord réussi à mettre un pied dans les restaurants en vendant des vibreurs pour serveurs, importés des États-Unis. Plus la peine d'aboyer en cuisine, on bipe le serveur en salle et il vient prendre les plats. «Mais les bipeurs, ce n'est pas un “business” récurrent. Une fois qu'on a fourni un établissement, c'est terminé, remarque Patrick Dalsace. On a donc mis au point ce logiciel avec un ami ingénieur, Denis Fayolle, et nous avons lancé Lafourchette.com.»
Mais les chefs sont technophobes: l'informatique en cuisine, pas question. «Nous avons donc privilégié l'écran tactile et la simplicité d'utilisation, avec en plus un argument décisif: nous leur avons promis d'optimiser leur taux de remplissage. Et c'est là où la crise nous a un peu aidés.» Les déjeuners d'affaires et les sorties entre amis ont en effet souffert les premiers du ralentissement économique.
«Pour 900 euros par an, plus 2 euros par réservation honorée, nous offrons le logiciel et le référencement, mais aussi des photographies de l'extérieur du restaurant, de la salle, de la décoration et aussi des plats. Avec différents menus et les prix. Résultat, 1,9 million de visiteurs uniques fin décembre 2010. Et le million d'euros de chiffre d'affaires de 2009 a été multiplié par 3,5 l'an dernier», se réjouit Patrick Dalsace, qui annonce le lancement courant mars d'une application Iphone.
Un système simple et en trois langues
Le système est tout aussi simple pour les clients, à la recherche d'une adresse en fonction de plusieurs critères: où (ville, nom de restaurant), quoi (style de cuisine, prix) et quand (jour, heure, nombre de couverts). Le tout en trois langues: français, anglais et espagnol, les déclinaisons Thefork.com et Eltenedor.com ayant été déposées. Le site reçoit d'ailleurs 400 000 visiteurs uniques en Espagne, où est installée la «hot line» mise à la disposition des chefs.
Lenôtre, Hilton, Ducasse ou Robuchon ont signé, de même que Paul Bocuse. «Un tiers des réservations se fait maintenant en ligne. Avant, les clients appelaient par téléphone pour avoir notre mail, confie Vincent Le Roux, le directeur de l'institution lyonnaise. Et avec nos quatre brasseries, nous avons un fichier de 15 000 noms, que nous pouvons relancer, et à qui on envoie un mail de confirmation après chaque réservation.» Sur les trois millions de couverts servis en 2010 par le groupe des Frères Blanc (une trentaine de restaurants en France et à l'international), la réservation en ligne a même doublé l'an dernier.
Ouvert aux commentaires, le site ne l'est qu'à ceux qui ont réservé et payé, de façon à éviter aux indélicats de cracher dans la soupe. Une soixantaine de commerciaux et de développeurs y veille, rue du Sentier, dans une ambiance de «call center». Le fumet des bonnes affaires y a attiré Pierre-Édouard Sterin, PDG de Smart & Co (les coffrets cadeaux Smart Box), qui détient 65% du site. Déjà propriétaire de Gault & Millau, il est même associé, via Lafourchette.com, au Printemps du guide Michelin, qui permet d'obtenir des réductions dans un millier de restaurants.