Eram sort le 21 janvier sa nouvelle campagne de pub. Des prints dynamiques, dignes d'une marque de mode moderne. Mais Eram n'a pas toujours eu ce ton, et a su parfois être encore plus décalée sur son temps qu'elle ne l'est aujourd'hui. Insolente ? Impertinente ? Originale ? Peu importe le nom, ce fut toujours juste. Pourtant, Eram, c’est d'abord l’histoire d’une famille humble, les Biotteau.
Tout commence en… 1840, entre Nantes et Angers, près du village de Saint-Pierre-Montlimart. Un cordonnier arrête de faire des sabots pour se concentrer sur les chaussures. La petite entreprise est reprise par ses deux enfants, Eusèbe et Louis. D’histoires de famille en histoires de famille, entre mariages et disputes, un cousin, Albert-René, se sépare de l’activité familiale et crée la sienne en 1927: les établissements Biotteau-Guéry, avec sa femme Marie-Josèphe Guéry.
Quelques années plus tard, la société devient l’une des plus grosses factures de chaussures de la région et compte, en 1930, plus de cent salariés. Albert-René est un avant-gardiste. Un de ces visionnaires, férus de technologies et d’innovation qu’a compté l’entre-deux guerres. Il était précurseur d’un point de vue social comme marketing… En 1931, la première publicité pour les Établissements Biotteau-Guéry voit le jour, sous forme d’affiche. Mais le nom ne fait pas l’affaire. Pour se différencier de ses cousins, les manufactures A. et M. Biotteau –et sûrement pour faire plus court sur les affiches–, Albert-René décide de changer d’appellation. En 1932, il crée une marque. Il prend les deux premières lettres de René et de Marie (sa femme), les met à l’envers et fonde Eram.
Détournement de contes
En 1942, l’homme d’affaires décide de ne pas se limiter à la manufacture et achète son premier magasin à Levallois. Ce qui ne manquera pas de faire des jaloux. En 1948, la Fédération des détaillants de chaussures appelle au boycott… Un gros stock lui reste sur les bras. Il n’a d’autre solution pour s’en sortir que de le brader: ce sont les premières ventes discount Eram. Un positionnement que la marque arborera comme une posture sur toutes ses publicités, avec pour slogan «les chaussures les moins chères au kilomètre». Eram sait vite s’approprier les codes de la publicité de son époque. Dès 1951, elle s’offre les services de l’illustrateur Jean Effel, pour la mise en image de son nouveau slogan «Et nous préférâmes Eram». L’illustrateur Moebius fera également toute une série d’affiches sur le thème des contes de fées détournés pour la marque.
Dans les années 70, les marques investissent le petit écran, et Eram, malgré ses affiches, a du retard de notoriété face à Bata et André, ses deux plus gros concurrents. Elle investit de plus en plus massivement, surtout depuis l’arrivée de Gérard Biotteau à la tête de l’entreprise. Le PDG rencontre Philippe Michel, cofondateur de CLM/BBDO. Ensemble, ils vont ancrer la marque dans l’histoire avec le slogan «Il faut être fou pour dépenser plus». Un slogan encore utilisé aujourd’hui qui ne positionne pas la marque sur le rapport qualité-prix, mais la définit comme une marque de mode, avec du style abordable. Pour l’époque, une vraie rupture. Et l’atout d’Eram sera de réussir à le mettre en forme avec impertinence. «L'impertinence est l'attitude de quelqu'un qui cherche à choquer, recadre François Feijoo, le directeur général actuel d’Eram. La marque n'a jamais cherché à choquer son public, mais abordait avec humour de vrais sujets de société de manière très avant-gardiste.»
Sujets de société
La place de la femme, la prostitution, le président de la République, les gendarmes… Le réalisateur traitera de tous les sujets, avec une folie particulière. Un succès absolu, puisque l’ensemble des 60 films réalisés entre 1970 et 1980 sont devenus cultes. Avec Étienne Chatiliez aux manettes, le réalisateur de La vie est un long fleuve tranquille, plusieurs stars se retrouveront sur les écrans: Nicole Garcia, Josiane Balasko, Michel Blanc, François Berléand… Les musiques, symboles des années 80, iront parfois jusqu’à la parodie de comédies musicales.
Puis viennent les années 90. La marque communique beaucoup moins. Ou en tout cas avec des films nettement moins marquants… Jusqu’aux années 2000, où elle est reprise par l’agence Devarrieux-Villaret. «L'insolence, c'est le territoire patrimonial d'Eram depuis plus de vingt ans, expliquait à Stratégies Benoît Devarrieux en 2000, pour la sortie de la parodie de campagne Gucci. La marque retourne titiller des débats publics, comme en 2001 avec la vision de la femme dans la publicité et ce fameux slogan: «Aucun corps de femme n’a été exploité dans cette publicité». La marque érige au rang d’art la moquerie du monde de la pub. Les films pour lessive en prennent pour leur grade en 2003, les équipes d'agence en 2010 et 2011. À chaque fois, elle fait mouche. En 2011, elle lance un pavé en plein débat sur le mariage pour tous avec le claim «La famille, c’est sacré» mettant en scène des familles recomposées ou gays. L’affaire fait grand bruit. En 2012, c’est Euro RSCG 360 qui se charge de la campagne. L’insolence s’efface au profit d’une marque de mode, qui met en avant son dynamisme et son style. Et que l’on retrouve encore dans les campagnes actuelles.