Alors que l’IAB France et La Marketing Mobile Association se sont rapprochées avant l’été pour donner naissance à l’Alliance digitale, son président, Nicolas Rieul, également VP Western Europe de Criteo, revient pour Stratégies sur les raisons de ce rapprochement et sur les grands enjeux du secteur de l’ad tech.
Quelles sont les raisons qui ont conduit au rapprochement de l’IAB France et de La Marketing Mobile Association pour donner naissance à l’Alliance digitale ?
NICOLAS RIEUL. Il s’agit surtout d’une question de moyens, de mutualiser nos ressources pour faire face aux grands enjeux du secteur, qui sont communs aux deux associations : innovation, souveraineté numérique, concurrence et protection des données, réduction de notre empreinte carbone, mais aussi les défis de l’emploi, de la formation ou de la promotion de la diversité. Nous devons renforcer nos moyens humains afin de professionnaliser notre structure de représentation. Il nous faut plus de moyens pour évangéliser les acteurs du secteur et les pouvoirs publics, mais aussi pour former les acteurs et répondre aux enjeux d’emploi, car beaucoup trop de postes ne sont pas pourvus dans les entreprises. Via leur réseau, notamment international, chacune des associations participera à la mutualisation des savoir-faire et des compétences.
Quelles sont les priorités de l’Alliance pour cette rentrée ?
Notre priorité est le chantier environnemental ; la mesure de l’empreinte carbone du secteur va permettre de connaître précisément notre impact et de tracer les pistes de réduction.
Il y a aussi le suivi des enjeux réglementaires. La procédure engagée contre Apple auprès de l’Autorité de la concurrence (1) aura des conséquences majeures qu’il va falloir suivre et appliquer. Il y a un vrai risque de fragmentation de l’open internet ; notre rôle est aussi de défendre un internet ouvert. Au niveau européen, nous suivons évidemment le dossier TCF (2).
RGPD, TCF, Digital Services Act (définitivement voté le 5 juillet 2022) : les contraintes réglementaires sur la publicité digitale semblent au moins aussi complexes que les enjeux technologiques…
Aujourd’hui – et ce depuis la mise en place du RGPD –, l’aspect réglementaire a pris une place prépondérante dans les métiers de l’ad tech. Les entreprises du secteur et les associations représentatives mettent en œuvre énormément de moyens pour s’adapter. Si les grandes entreprises - qui peuvent s’assurer les services de cabinets de conseil ou d’avocat - ont pu s’adapter sans trop de problèmes, pour les entreprises de taille plus modeste et les start-up, cela peut représenter un frein à leur développement.
Il était donc urgent de mieux servir notre profession à travers un organisme unique, qui permette, face aux nouvelles réglementations, d’être plus pro-actifs plutôt que d’être contraints à rester dans une position défensive. Nous avons ainsi recruté un directeur des affaires publiques, créé une newsletter réglementaire, mis en place des groupes de travail et d’information pour accompagner nos membres et nos interlocuteurs sur ces questions.
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Y compris via des actions de lobbying ?
Oui, évidemment, même si le lobbying reste toujours assez négativement connoté en France… Nous avons par exemple beaucoup milité pour que le self referencing soit interdit, mais nous n’avons pas été entendus. Il s’agit surtout d’alerter et d’informer les pouvoirs publics sur nos enjeux et nos contraintes et expliquer notre apport à l’économie hexagonale. Notre enjeu est d’intervenir le plus en amont possible du processus réglementaire afin de permettre aux différents acteurs d’anticiper au mieux les futures évolutions, plutôt que d’être sollicités en fin de processus législatif ou réglementaire, alors qu’il est trop tard pour faire bouger les lignes.
Comment cela ?
La publicité sur internet est une activité très complexe. Il faut expliquer cette complexité. Il y a, en effet, de la part de nos concitoyens une grande attente en matière de transparence ; la confiance du public dans l’internet passe essentiellement par la transparence. En ce qui concerne les cookies par exemple, il faut expliquer ce que l’on fait et, surtout, tout ce que l’on ne fait pas. Nous devons travailler auprès des consommateurs sur l’évangélisation des actions menées par les acteurs de l’adtech. La publicité en ligne sert l’économie de la France et l’intérêt des Français. Selon une étude de l’Ifop, seulement 18 % des classes populaires sont prêtes à payer pour accéder à de l’information en ligne. Le modèle de financement du contenu gratuit sur internet par la publicité est donc très important pour la démocratie.
Le secteur français de l’ad tech est très dynamique avec des acteurs mondiaux de premier plan. Comment expliquez-vous ce dynamisme ?
Historiquement, la France a toujours eu des acteurs de premier plan au niveau mondial dans le secteur des télécoms, comme Orange, ou de la pub et des médias, avec Havas ou JCDecaux. Sans ces acteurs historiques, nous n’en serions pas là aujourd’hui. Les économistes évoquent le ruissellement de l’innovation entre les grands acteurs de l’économie et les entreprises de taille plus modeste. Sans oublier que la France a aussi inventé des modèles dans le retail, comme les hypermarchés, ce qui peut expliquer la présence très forte d’acteurs dans le retail media.
Pourtant, le discours selon lequel la France n’est pas assez innovante domine généralement…
Il n’y a pas vraiment de problème d’innovation technologique en France, mais surtout de financement de l’innovation. L’argent est le carburant de l’innovation. Or, actuellement, l’argent se raréfie, donc le financement de nos développements technologiques aussi. Le premier niveau de financement, le seed [le premier tour de table d’une levée de fonds], est encore alimenté, mais c’est pour créer des géants mondiaux que ça devient compliqué. Pourtant, la volonté politique est bien présente ; on le voit avec le nombre de scale-up créées ces dernières années.