Société

Comme les magazines, les réseaux sociaux prônent un idéal de minceur qui peut contribuer au développement de troubles alimentaires tels que l'anorexie. Ils permettent aussi de créer des communautés de soutien, avec le risque cependant d'« enfermer » les malades dans cette pathologie.

Le phénomène n'est pas nouveau: des blogs en faveur de l'anorexie (« pro-ana ») ou pour la boulimie (« pro-mia ») ont connu un essor au début des années 2010. Ils ont été supprimés par les hébergeurs mais trouvent de nouvelles formes sur les réseaux sociaux, relèvent des spécialistes à l'occasion de la journée mondiale des TCA (troubles du comportement alimentaire) jeudi. Les « challenges » sont des défis lancés sur TikTok ou Instagram, le plus souvent par des jeunes à d'autres jeunes. Comme celui dit de « la feuille A4 »: pour gagner, leur tour de taille ne doit mesurer que 21 centimètres, soit la largeur d'une feuille A4. On n'y arrive qu'en se privant durablement de nourriture.

Les réseaux regroupent des milliers de comptes prônant la minceur et pouvant créer des complexes chez les adolescents. Pour Valentin Flaudias, maître de conférences en psychologie clinique à Nantes Université, l'engouement des plus jeunes vers ces comptes de personnalités minces, en bonne santé et sportives, vient d'abord du « message véhiculé par la société ». « Le combat contre l'obésité et l'appel à l'activité physique accentuent la tendance à se tourner vers ces comptes qui correspondent à l'idéal de minceur », dit-il à l'AFP, rappelant les déclarations alarmantes de l'OMS en mai sur une « épidémie d'obésité » en Europe.

« La question esthétique », omniprésente sur les réseaux qui font la part belle aux photos avec filtres et retouches, a également une incidence sur les personnes souffrant déjà de TCA, avance Nathalie Godart, pédopsychiatre et présidente de la Fédération française anorexie boulimie (FFAB). L'anorexie mentale est le fruit « de plusieurs facteurs », rappelle-t-elle. « Son déclenchement ne peut pas être résumé aux réseaux sociaux », bien qu'ils puissent être un « facteur à l'origine du mal-être et de la mésestime de soi ».

Outre ces aspects, des jeunes femmes âgées de 15 à 25 ans en moyenne utilisent désormais les réseaux pour partager leur hospitalisation et l'évolution de leur rapport à la maladie en créant des comptes « recovery » (guérison). Se créent alors des communautés d'entraide entre patientes pour aller mieux. « C'est une bonne chose, mais cela comporte des risques », met en garde M. Flaudias. « L'anorexie est souvent une problématique de relation à l'autre, et ces comptes peuvent être un risque de se définir par sa maladie et donc de s'enfermer dedans ».

A contrario, le chercheur note un essor du mouvement de « body positivism » (le fait d'aimer son corps). « C'est toujours mieux que le mouvement +pro-ana+, mais (ces comptes) se focalisent encore une fois sur le corps. Alors que pour guérir de l'anorexie, il faut s'en détacher », relève-t-il. Nathalie Godart estime quant à elle que ces comptes, parfois tournés vers « le coaching alimentaire », entraînent un « envahissement de la pensée » par l'alimentation.

Du coup, certains patients ont l'impression de guérir mais ils peuvent développer un trouble voisin, l'orthorexie, ou l'obsession de manger sain. Ils se détachent alors de leur poids --d'où la différence avec l'anorexie-- mais ils contrôlent de manière excessive ce qu'ils mangent, avec des conséquences sur leur vie sociale. Pauline Drecq, psychologue à Paris, a participé en 2019 à la création, en hôpital de jour, d'un atelier collectif basé sur l'expérience des patients sur les réseaux: ces jeunes atteints de troubles alimentaires « consultent les réseaux le soir dans leur chambre, quand ils sont seuls, parfois dans des moments d'angoisse ». Durant les ateliers, ils commentent « un post Instagram ou une vidéo YouTube » et analysent leurs effets positifs ou négatifs sur leur mental.

Toutefois, le rapport au contenu diffère « selon le patient, et le stade de sa maladie », relève la psychologue. Un compte culinaire « peut donner des perspectives de guérison à un patient, et augmenter les restrictions d'alimentation chez un autre ». Loin de diaboliser les réseaux, l'objectif est de faire prendre conscience aux malades de l'impact qu'ils peuvent avoir sur leur trouble, « afin que leur usage se tourne vers le soin », dit Mme Drecq.

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