Thomas Fagot, cofondateur de l’adtech Mobsuccess, revient sur sa stratégie et l’intégration de l’IA après l’entrée au capital et le financement de Siparex Midcap.

Vous venez de voir Siparex Midcap entrer au capital, avec d’autres investissements également. À quoi vous servira tout ce cash ? À racheter des technologies ?

Thomas Fagot. Des rachats, oui, mais pas forcément de technologies. Nous arrivons, pour le moment, à développer encore pas mal de choses en interne. Sur 200 personnes chez Mobsucess, nous avons une soixantaine de profils tech, cela nous permet encore de développer selon nos besoins. La tech représente déjà près de 10 % de nos investissements. J’ajouterais aussi que nous avons la culture appropriée, nous nous sommes construits sur la tech, dès le départ, lorsque nous avons monté le groupe. Ce n’est pas quelque chose que nous avons créé à part, ou ajouté. Cela ne signifie pas que nous ne rachèterons pas de tech – d’ailleurs, nous l’avons fait cet été par l’acquisition de Sensego, une entreprise spécialisée dans le deep learning. Mais notre principal défi, actuellement, c’est de faire croître notre portefeuille de clients. Donc cela passera essentiellement par de la consolidation de concurrent, ou par le rachat d’acteurs qui font un autre métier, mais dont le portefeuille ressemble au nôtre.

Pourquoi la croissance du portefeuille client est si difficile ?

Le retail constitue une grande part de notre activité. Et dans ce secteur, convaincre et intégrer un client peut être très long : entre six et dix-huit mois, selon les problématiques et les tailles. Il faut d’abord un budget pour le POC, puis l’année d’après un budget pour la mise à l’échelle… Donc il y a une vraie inertie dans la croissance commerciale. Les rachats pourraient donc nous permettre de grandir plus rapidement. Mais attention, notre modèle cherche vraiment à réaliser des fusions. Nous ne sommes pas là pour mettre des boîtes côte à côte et créer des ponts entre elles. C’est un modèle qui peut très bien fonctionner, mais nous avons à cœur de vraiment intégrer les entreprises qu’on rachète. Que ce soit Reachy, Vectaury, Tubereach, Sensego… toutes sont devenues Mobsuccess à part entière. Au bout du compte, on pourra avoir racheté quinze entreprises, il n’y aura qu’un nombre réduit de solutions, et qu’une seule boîte. Nous les intégrons davantage dans un axe métiers, par rapport à la thèse qu’on mène et ce qu’on a envie de faire. On sait très bien ce qu’on veut racheter : des portefeuilles clients qui s’intègrent dans notre thématique ou des technologies sides. Tout ce qui est core business, nous avons de quoi les développer. C’est en cela que Siparex Midcap a une vraie stratégie de M&A [fusion acquisition] avec nous. Ce ne sont pas de simples partenaires financiers. On est en contact quasiment tous les jours.

Comment réfléchissez-vous à l’IA à l’heure actuelle ?

La réflexion se situe sur plusieurs niveaux : au niveau de l’entreprise, et au niveau du business. Pour l’entreprise, il s’agit plus d’automatiser des tâches métiers, pour une personne qui doit travailler dans le même tableur Excel depuis des années, l’IA peut amener énormément d’efficacité, ou encore pour la rédaction de mail, ou pour trouver des informations. On travaille par exemple à connecter un chatbot sur Notion, pour chercher des informations dedans, ou dans les Slacks, ou même pour la FAQ de l’entreprise, tout cela permet d’aller plus vite à l’essentiel, dans une optique d’humain augmenté. Pour le reste, dans le secteur publicitaire, ça sera plutôt du travail autour de l’asset créatif : animation de photo statique, création de décor… Et il y a toute la dimension d’apprentissage sur les campagnes. C’est-à-dire que l’IA va analyser la composition de l’image, et la relier à la performance média et comprendre les critères de performances. Et en quelques items (composition de la photo, des personnes, des couleurs etc.) comprendre les clefs de succès.

Mais la Dynamic Creative Optimization (DCO) ne le faisait-elle pas déjà par le passé ?

C’est surtout qu’elle se limitait à quelques détails, et essentiellement des signaux forts. La DCO telle qu’on la pratiquait permettait de comprendre si une phrase du type « j’achète » ou « j’en profite », était plus efficace. Là, on peut aller beaucoup plus loin dans l’analyse de l’image et des signaux faibles. Mais, au-delà, ce que je vois aussi, c’est qu’elle permet de questionner ce que j’appelle l’inertie cognitive. Dans les entreprises, surtout quand il y a de nombreux magasins sur un large territoire, il y a des croyances qui datent parfois de plus quinze ou vingt ans sur des sujets précis, qui sont devenues des vérités absolues, des pratiques de la profession. Et simplement parce qu’une personne l’a dit il y a longtemps, ces « vérités » deviennent une conviction. L’IA permet de questionner ces vérités absolues, de s’en assurer ou de les remettre en cause.

Comment vous êtes vous organisés ? Mesurez-vous ce que cela vous apporte en termes de productivité ?

Nous n’en sommes pas encore à cette phase. Il y a encore beaucoup de choses à découvrir et à tester. Nous avons monté un « comité IA », il y a plus d’un an, qui rassemblait une dizaine de métiers chez nous. Et ils ont partagé des solutions, des outils, en mode « brainstorming ». Et nous l’avons arrêté car nous sommes entrés dans une nouvelle phase : maintenant c’est chaque département qui porte le projet, en fonction des métiers. Mais il faut impliquer tout le monde. Il y a parfois des personnes, qu’on ne soupçonne pas, qui se passionnent pour ce sujet sans qu’on s’en rende compte, sur leur temps personnel le week-end. Et quand on discute avec eux, on s’aperçoit qu’ils se révèlent là-dessus. Et c’est dommage de passer à côté de cela. Pour eux, mais aussi pour la boîte. Donc on essaye d’être vigilants là-dessus.

Mais vous observez déjà des avancées ?

Clairement, oui. Pour tout ce qui est manipulation de bases de données, notamment quand nous faisons des campagnes géolocalisées, comme nous, nous voyons clairement l’efficacité. Avant, quand il fallait générer une campagne sur les magasins côtiers, par exemple, il fallait déterminer des critères précis dans un tableau. Maintenant, on interagit avec l’outil, via un chatbot, et il peut nous lister et situer les magasins sur une carte très facilement. Et ce n’est qu’un exemple parmi d’autres. Alors on met de l’humain, pour vérifier, évidemment. Mais beaucoup de choses sont vraiment plus rapides et plus aisées. L’IA nous indique et nous aide à formater les fichiers, à corriger des « erreurs systèmes » qu’on mettait beaucoup de temps à déceler.

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