Les politiques cherchent à séduire les digital natives. Ils s’adonnent donc à un nouveau métier, celui d’influenceur, jouant sur des codes qu’ils tentent d’apprendre sur le tas. Entre succès et malaise, les candidats sont en période probatoire.
Les moins de 30 ans n’ont plus la télé, ne lisent plus les journaux et s’informent sur les plateformes. Pourtant, le 10 avril prochain, ils seront amenés à choisir leur futur président. Face à ce constat, un nouveau concept s’est développé : la stratégie numérique de campagne. Mener une campagne digitale, dans les yeux des partis politiques traditionnels, c’est un peu passer du côté obscur de la force, tenter de s’adresser directement aux électeurs en se faisant eux-même diffuseurs et en court-circuitant les antennes ou autres grandes rédactions.
À l’occasion de la campagne de 2017 est apparu un nouvel as du numérique en la personne du candidat insoumis, Jean-Luc Mélenchon. Il a été le premier à sortir du cadre traditionnel, en développant ses propres formats sur sa chaîne YouTube, qui est aujourd’hui la plus suivie des candidats à l’élection présidentielle avec près de 700 000 abonnés. Cette stratégie de séduction numérique a été fructueuse chez les jeunes : au premier tour de l’élection il y a cinq ans, les statistiques pleuvent, et on découvre grâce à une enquête Ipsos que le premier candidat chez les 18-24 ans est le candidat de la France insoumise (30% des 18-24 ans, devant Marine Le Pen avec 21%). L’influenceur à la cravate rouge a ouvert la voie, en donnant un coup de vieux à toute la concurrence, et en battant sur son propre terrain le plus Gafa-friendly des candidats : Emmanuel Macron.
Candidats 2022 2.0.
Mais qu’en est-il en 2022 ? Dans une France pas tout à fait remise du covid, la campagne numérique apparaît comme le cœur de la bataille et les candidats font feu de tout bois pour la remporter. La plateforme chinoise TikTok semble être la nouvelle poule aux œufs d’or. Marine Le Pen se montre douce, caressant chats, chiens et autres poneys adorables, mais s’affiche également en grande rassembleuse du peuple français. À l’inverse, Éric Zemmour propose un contenu TikTok proche de l’exhortation guerrière, en compilant ses meilleures punchlines et ses meilleurs coups droits, sur fond de musiques épiques. La fanbase du candidat a bien compris l’objectif et participe largement à cette conquête des réseaux en diffusant des montages d’un Zemmour grimé en Napoléon, presque impérialiste, toujours victorieux.
Ce renouveau de la ComPol passe également par une autre plateforme : Twitch. Le direct sur internet présente un double avantage : permettre une communication instantanée avec le tchat sans l’intermédiaire de journalistes, et échapper à la réglementation de l’Arcom (ex-CSA) sur le temps de parole. Les candidats deviennent alors de véritables streameurs. Jean-Luc Mélenchon, toujours en première ligne, propose depuis juin 2020 des séances de discussion Just chatting à son électorat. Sans chichi, le candidat explique – presque seul – devant son ordinateur certains points de son programme. Du côté de l’Élysée, Gabriel Attal, porte-parole du gouvernement, visse également sa casquette de producteur-animateur dans une nouvelle émission appelée Sans filtre. Dedans, il y débriefe, entouré d’influenceurs, les petits papiers du conseil des ministres.
En poussant le raisonnement plus loin, on pourrait presque considérer que cette recherche de «homemade» de la part des candidats est déjà un peu ringarde par rapport à la direction que prend Twitch : la structuration d’importantes sociétés de production, souvent dirigées par les streamers eux-mêmes. Les petites sœurs de H2O, Bangumi et autres s’inscrivent alors durablement dans le nouveau paysage de la «creator economy». À cet égard, Backseat, le talk-show ultra-produit hebdomadaire de Jean Massiet, reçoit chaque semaine des personnalités politiques pour débattre de l’actualité. Là où la politique s’inscrit dans l’amateurisme, les créateurs d’internet essayent de le quitter. HugoDécrypte, numéro 1 sur l’actualité pour la Gen Z, propose désormais Mashup, dans laquelle il reçoit un ancien président de la République en chroniqueur, presque comme si de rien n’était.
Du côté des partis les plus traditionnels, les candidates Anne Hidalgo et Valérie Pécresse sont les moins présentes sur ces nouveaux médias. On notera tout de même le nouveau podcast de la candidate LR habilement intitulé Valérie raconte Pécresse. Dans un format personnel voire autobiographique, elle y murmure à son électorat ce qui semble être le sommet de l’effort numérique pour ces partis historiques.
Dans la Twitchroom de Jadot
Dans cette folle course aux plateformes, le candidat/streamer/écologiste Yannick Jadot s’essaie à l’expérience Twitch. La rédaction a pu se rendre à la première de l’émission et ainsi recueillir quelques informations croquignoles. Quelques minutes avant le début du live, le géant vert de la présidentielle s’auto-persuade : « J’vais pas faire semblant d’être jeune, je vais juste être naturel, comme d’habitude. » Dans le fond, une voix fluette émane de la régie et lance : « 3,2,1 ». Yannick Jadot est en direct, accompagné d’intervenantes pour nourrir le débat : une journaliste, Dolores Bakèla, ainsi que la responsable pour la mobilisation des jeunes de la campagne, Alice Timsit. La pêche aux jeunes est marquée au fer rouge ici. Un peu plus de 1 000 personnes se connectent pour écouter et commenter en direct les idées du candidat. Difficile cependant de se détacher des réflexes de plateaux télé traditionnels ; pas de panique, on souffle en régie : « T’as le temps de développer ta pensée Yannick ! T’es pas sur TF1 ! ».
Pour gagner le pari de devenir son propre média, Yannick Jadot doit se faire streameur, et progressivement le candidat adopte les codes de la profession. L’aisance est favorisée par la présence de vieux copains dans le tchat : « Ah ! Brochot sur Twitch ! É-NORME ! ». Yannick Jadot embrasse son rôle avec brio : « Bonsoir Tico73, bonsoir TheDarkMario, salut à toi FantômeFantôme ».
L’émission se déroulera sans accroc malgré quelques relents de communication traditionnelle : « RDV sur Twitch ! LA chaîne la plus hype du moment ». On lui pardonnera avec tendresse la confusion de considérer Twitch comme une des chaînes jeunesse d’un bouquet satellite. Pari réussi. Son déguisement séducteur brouille la frontière entre l’homme d’État et l’homme « normal ». François Hollande avait-il tout compris ?