Bateaux volants, acier vert, camions électriques autonomes… La Suède foisonne de start-up à impact, qui œuvrent à la décarbonation de l’économie pour atteindre la neutralité d’ici 2045. Un écosystème qui attire les investisseurs et les grandes entreprises.

Dans la baie de Stockholm, un drôle de bateau attire l’attention des promeneurs. En suspension grâce à un système de moteurs à aimant qui le portent à 50 cm au-dessus de l’eau, le petit catamaran de 12 mètres, qui peut transporter jusqu’à 30 personnes, vole à près de 30 nœuds (55 km/h). Son nom ? Le Candela P-12, présenté comme le premier ferry hydroptère électrique. Son fondateur, Gustav Hasselskog, veut en faire le transport public de demain dans des villes où la navigation maritime est omniprésente.

Dès le mois d’octobre, il assurera certaines liaisons maritimes à Stockholm pour le compte de la société de transport public SL. Des discussions sont aussi en cours avec les pays nordiques voisins, mais aussi en vue d’un déploiement dans la baie de San Francisco, en Floride ou en Asie, où le transport public se fait beaucoup par voie maritime.

« En élevant le bateau dans les airs, nous réduisons les besoins en énergie de 90%, ce qui peut aider les pays qui nous utilisent à réduire leurs émissions carbone », explique le fondateur et CEO de Candela, qui emploie aujourd’hui 230 personnes. Après avoir travaillé dans l’industrie automobile, il a créé sa start-up en 2014 avec pour ambition d’ « accélérer la sortie des lacs et des océans de l’énergie fossile », en remplaçant les ferries alimentés au fuel par ses bateaux hydroptères électriques. Candela a déjà levé 70 millions d’euros et annonce un chiffre d’affaires de 20 millions d’euros cette année, pour un objectif à moyen terme d’un milliard.

Comme Candela, de nombreuses start-up en Suède œuvrent à la décarbonation de l’économie. Alors que le pays a pour objectif de devenir neutre en carbone à l'horizon 2045, les start-up à impact se multiplient et attirent les capitaux. Selon Business Sweden, l’organisme chargé de promouvoir les investissements en Suède, 75% des fonds levés en 2023 par des start-up sont allés à ce type de jeunes pousses. « Les start-up à impact attirent les talents, les capitaux et ont le soutien des grandes entreprises. C’est pourquoi elles survivent mieux que la moyenne », observe Marie Claire Maxwell, manager au sein de Business Sweden.

Un déploiement à grande échelle

Le pays compte aussi 42 licornes, ces entreprises valorisées à plus d’un milliard de dollars, dont beaucoup à impact, comme H2 Green Steel (acier décarboné à base d'hydrogène), Einride (camions électriques autonomes) ou encore Northvolt (batteries électriques). L’agglomération de Stockholm, avec ses 2,4 millions d’habitants, est d’ailleurs considérée comme la deuxième région au monde derrière la Silicon Valley en nombre de licornes par habitant.

« Le sujet aujourd’hui, c’est davantage de savoir comment on transforme l’économie vers les industries décarbonées que la climate tech. Nous avons les technologies qu’il faut pour résoudre le problème des émissions de carbone, mais nous devons les déployer à grande échelle. Il n’y a pas de contradiction entre nos investissements dans cette transition et le retour sur investissement », analyse Harald Mix, l’un des grands argentiers de la tech suédoise. Pour cela, il s’appuie sur le fonds de private equity Altor, qu’il a créé en 2003, et sur Vargas Holding, sa société d’investissement qui lui sert d’incubateur. Celle-ci détient aujourd’hui 7% du capital de Northvolt, 10% de celui de H2 Green Steel, parmi d’autres. « Notre but est d’aider le pays à décarboner son économie et de réduire de plus de 1% nos émissions de carbone aussi vite que possible », insiste l’homme d’affaires.

Avec H2 Green Steel par exemple, l’une des 42 licornes suédoises, il veut décarboner le marché de l’acier avec de l’hydrogène. Un premier site de production doit démarrer fin 2025 à Boden, dans le nord de la Suède. Avec ce procédé qui utilise l’hydrogène produit à partir d’électricité hydraulique, l’entreprise promet de réduire les émissions de CO2 de l’acier jusqu’à 95%.

En Suède, 98% de l’électricité est produite à partir de sources bas carbone : hydraulique, nucléaire et éolien en tête. Le pays est donc à la pointe sur le transport électrique et de nombreux acteurs de la tech gravitent autour de cette industrie clé. C’est le cas de Northvolt, autre licorne suédoise, spécialisée dans les batteries de véhicules électriques.

L’entreprise a installé son centre de R&D à Västerås, à une heure de train à l’ouest de Stockholm. Entourée de forêts d’épicéas, de pins et de bouleaux, comme dans une grande partie du pays, Northvolt conçoit ici ce qu’elle promet d’être « la batterie la plus verte au monde », via un système de recyclage des batteries usagées.

« La Silicon Valley des batteries électriques. » 

La start-up créée en 2016 par deux anciens de Tesla a levé à date 13 milliards de dollars, et équipe déjà les voitures électriques des constructeurs suédois Volvo et Scania ainsi que celles du groupe Volkswagen. Le constructeur allemand est d’ailleurs présent à son capital et a notamment participé à la construction de la « giga-usine » ouverte par Northvolt dans le nord de la Suède, à Skellefteå. Six lignes de production y sont déjà opérationnelles, pour une capacité qui permettra à terme d’équiper un million de véhicules par an.

« Nous voulons construire la Silicon Valley des batteries électriques. L’enjeu pour nous dans le recyclage des batteries est d’atteindre un niveau de pureté des matériaux suffisamment bon pour nous permettre de les réutiliser dans la production de nouvelles batteries, et non pas d’autres choses, comme des canettes, dans une logique de circularité », souligne Sami Haikala, responsable du centre R&D de Northvolt à Västerås.

Einride veut elle aussi participer à la migration du transport vers l’électrique. Créée en 2016, cette start-up devenue licorne elle aussi développe des camions électriques autonomes. L’entreprise ne produit pas les camions eux-mêmes mais développe un écosystème permettant de les électrifier et d’optimiser la conduite en électrique pour, par exemple, les recharger au bon moment afin de maximiser le temps de transport. « Les camions représentent seulement 2% des véhicules sur la route mais 25% des émissions carbone. Donc électrifier le transport par camion aura beaucoup d’impact », assure Robert Ziegler, son directeur général pour la zone EMEA.

Comme pour beaucoup de start-up à impact en Suède, Einride peut s’appuyer sur le soutien capitalistique d’une grande entreprise bien connue du pays, Ericsson, qui a investi lors de trois des sept tours de table de la start-up, pour un total de 652 millions de dollars levés. « En Suède, les grandes entreprises, d’Ericsson à Volvo, ont toutes des incubateurs pour soutenir les start-up à impact et ainsi trouver les solutions de demain », contextualise Marie Claire Maxwell, de Business Sweden.

Conteneurs roulants

Pour l’heure, Einride en est à l’étape d’électrifier le parc des poids-lourds diesel, en Suède depuis 2020, aux Etats-Unis depuis 2021 et peut-être en France l’année prochaine. Pour cela, elle s’appuie sur un certain nombre de partenariats, notamment avec le fabricant d’électroménagers GE Appliances. L’étape d’après sera le passage à des camions électriques autonomes.

« Ça peut aller plus vite que pour la voiture autonome car on parle ici de transport de biens dans des zones industrielles, et non des voitures transportant des personnes en centre-ville. Le camion autonome est plus sûr et ça enlève le conducteur de l’équation, en le mettant dans un bureau pour superviser les véhicules », explique Robert Ziegler. Conséquence de cette mutation, les camions autonomes développés par Einride n’ont plus de cabine pour le conducteur et ressemblent davantage à un conteneur roulant.

La décarbonation de l’économie suédoise, comme ailleurs, passera aussi par de profonds changements dans l’utilisation des matières plastiques. Ainsi, la start-up PaperShell, créée en 2021, a développé une alternative à base de papier, fabriqué à partir de sous-produits de bois composite, dont elle presse 20 à 30 feuilles selon les objets pour en faire une matière solide proche du bois. L’objectif est de remplacer le plastique dur et l’aluminium dans les objets du quotidien.

« Nous voulons fabriquer des choses qui durent dans le temps, pas seulement des serviettes en papier. Nous nous positionnons sur le B to B avec l’objectif de remplacer les matériaux polluants dans les industries existantes, dans une logique de réduction de leurs émissions de carbone », ambitionne Fabian Hardt, head of sustainability chez PaperShell, qui a déjà levé 18 millions d’euros.

Une première chaise est commercialisée depuis avril dernier par la marque de mobilier design Arper. Parmi les autres objets à un stade de développement avancé, une planche de snowboard, dont la fabrication divise par 25 les émissions en équivalent CO2 comparé à un snowboard classique.

« La Suède a longtemps été regardée comme un modèle politique. Aujourd’hui, c’est un pays très engagé sur la décarbonation et l’innovation. Il mérite qu’on s’en inspire davantage », esquisse Laurent Saint-Martin, patron de Business France, lors de son dernier passage à Stockholm. La Suède n’a pas fini de faire parler d’elle.

Chiffres clés

10,49 millions Nombre d’habitants en Suède, dont 2,4 millions dans l’agglomération de Stockholm.

98% Part de l’électricité produite à partir de sources bas carbone : hydraulique (39 %), nucléaire (29 %), éolien (21 %) et biocarburants (7 %).

42 Nombre de licornes suédoises.

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