Plébiscité par les jeunes, TikTok est devenu un outil de communication essentiel pour les personnalités politiques, suscitant des interrogations sur son rôle et son influence dans les récents résultats des élections européennes.
« J'avais sous-estimé la force de TikTok », déclarait la tête de liste des Écologistes Marie Toussaint après les résultats dimanche, semblant viser implicitement la campagne menée par Jordan Bardella et le RN sur le réseau social de la maison-mère chinoise ByteDance.
Avec un score record de 31,37%, le parti d'extrême droite a pu compter sur sa tête de liste aux quelque 1,5 million d'abonnés pour se construire un « capital notoriété (...) auprès des jeunes », estime Romain Fargier, docteur et chercheur au CEPEL (Centre d'études politiques et sociales) de l'Université de Montpellier.
Grâce à ses nombreuses vidéos de moments de campagne, de « punchlines » sur les plateaux télévisés ou encore d'extraits de discours soigneusement sélectionnés, Jordan Bardella est devenu la troisième personnalité politique française la plus suivie sur TikTok, derrière Emmanuel Macron (4,5 millions d'abonnés) et Jean-Luc Mélenchon (2,4 millions). « Il n'y a pas d'étude qui prouve qu'il y a une corrélation directe entre un résultat électoral et un succès sur les réseaux sociaux », tempère Romain Fargier.
Néanmoins, « la tendance à la politisation des contenus sur TikTok a joué un certain rôle sur l'agenda médiatique et médiatico-politique (...) et Jordan Bardella se constitue un socle de notoriété auprès de futurs primo-votants, c'est l'intérêt principal de sa stratégie sur TikTok », avance l'expert.
Simplification excessive
Les messages condensés par le format TikTok « peuvent entraîner une simplification excessive des enjeux politiques, en vue d'un public qui est peut-être moins informé ou moins cultivé politiquement parlant », souligne de son côté Refka Payssan, experte en technologies de l'information et de la communication à l'ère numérique. Romain Fargier note également l'utilisation du sarcasme, de l'ironie et de mèmes humoristiques par l'extrême droite, qui crée « des communications politiques très stéréotypées », souvent basées « sur les émotions et le pathos ».
Une stratégie venue des Etats-Unis. L'extrême droite américaine, « l'+alt-right+ a joué un rôle majeur en produisant des contenus pro-Trump et des mèmes sur Internet, à l'instar de Pepe the Frog », une grenouille apparue dans une bande dessinée des années 2000, décrit-il.
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Depuis, TikTok semble avoir profité à bon nombre de partis d'extrême droite européens. Il s'agit de loin du groupe politique postant le plus sur le réseau social, mais aussi qui comptabilise le plus grand nombre de likes par rapport au nombre de vidéos postées, selon une étude publiée par le site Politico en mars.
« C'est quelque chose que l'on voit en Allemagne avec Maximilian Krah (anciennement tête de liste du parti d'extrême droite allemand AfD, NDLR) (...) il utilise son compte pour transmettre un message », en s'inspirant des codes des mèmes, explique le Dr Katja Muñoz, qui étudie le lien entre réseaux sociaux et politique. « Les jeunes électeurs peuvent donc s'y identifier et ils trouvent cela cool et drôle. Ils ne sont peut-être pas toujours d'accord mais, au bout d'un moment, on s'habitue à cette rhétorique », ajoute-t-elle.
Cercle vicieux
Les utilisateurs de TikTok sont également face à un algorithme qui « a tendance à enfermer plus que d'autres réseaux dans des bulles idéologiques », souligne Romain Fargier. « Si vous recevez des notifications tous les jours qui parlent de Bardella, on rentre au bout d'un moment dans un cercle vicieux. L'algorithme matraque avec ce genre d'informations, jusqu'à orienter votre opinion vers le fait que cette personne est la plus fiable », selon Refka Payssan.
Pour Véronique Reille-Soult, présidente de Backbone Consulting, cabinet de gestion de crise et expert de l'analyse de l'opinion, le phénomène s'étend au-delà d'une simple « campagne réussie sur TikTok ». Le réseau « et son algorithme font que vous voyez des informations qui ne sont pas la réalité de ce que vous vivez au quotidien. (...) Vous voyez des images et des informations (...) qui vous font fantasmer une réalité de quelque chose qui est loin de vous. (...) Cela a créé un climat auprès de certains jeunes, une espèce de tension plus forte ».