À l’occasion de l’événement Tech & Fest, qui a réuni plus de 15 000 visiteurs à Grenoble début février, nous avons interrogé les acteurs de la deeptech, pour comprendre leurs besoins spécifiques en termes de communication.
« Quand on laisse s’exprimer les scientifiques ou même les ingénieurs, c’est souvent un charabia pour le grand public et pour les médias. Quand on fait parler les dirigeants, parfois déconnectés de l’opérationnel, on a de la déperdition d’info, des erreurs dans les chiffres, etc. », nous confie une communicante dans les allées du Tech & Fest, le nouvel événement de la technologie en France, qui s’est tenu les 1er et 2 février derniers. La communication dans la deeptech est un sujet brûlant. Déjà, c’est quoi, la deeptech ? Le terme se réfère généralement à des entreprises ou projets qui développent des innovations technologiques de pointe, souvent basées sur des avancées scientifiques. L’organisation d’événements tels que le Tech & Fest, dans différentes régions, ouverts au grand public, vise précisément à rendre ces projets industriels accessibles au plus grand nombre.
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« Dans le domaine des deeptech, il est crucial de déchiffrer le jargon scientifique et technologique. Avant de communiquer, il faut définir son marché, construire son offre en comprenant qu’elle englobe services, tarification, image de marque. Éviter de viser un marché trop vaste au début, partir d’une approche stratégique précise et élargir par la suite pour toucher un public plus large », recommande Thibaut Baron, fondateur de Gtec, agence de marketing pour les entreprises de l’IT. Historiquement, il existait une croyance selon laquelle les deeptech étaient des entreprises portées par des chercheurs, très « techno-push », où l’invention elle-même créait le besoin chez le consommateur. Dans cette approche, on imaginait des scientifiques pas toujours à l’aise pour expliquer ce qu’ils faisaient. Aujourd’hui, on remarque que le modèle a évolué, que le nombre d’entreprises qui sortent directement des labos de recherche a plutôt tendance à stagner, et on assiste à l’essor d’une autre catégorie d’entrepreneurs qui adoptent une approche « market-pull », basée sur les besoins des clients pour créer une offre.
« Les projets deeptech ont trois défis en matière de communication. Premièrement, le produit ou service qu’ils développent est souvent inconnu, parfois même le marché n’existe pas. Deuxièmement, ils n’ont pas encore de clients, et sans clients, ils manquent de crédibilité. Troisièmement, ce sont des projets qui ne génèrent pas immédiatement des revenus », détaille Véronique Souverain, responsable Communication de Linksium, société d’accélération de transfert de technologies (SATT) des laboratoires de recherche de Grenoble Alpes vers le monde de l’entreprise. Les applications directes dans la vie quotidienne de la deeptech peuvent être moins évidentes ou immédiates par rapport à certaines technologies plus largement adoptées. « La médiation scientifique vise à vulgariser et rendre compréhensible des concepts complexes en racontant l’histoire de l’innovation. Cette démarche nécessite une véritable narration basée sur des éléments tangibles. L’objectif est de rendre concret ce qui peut sembler abstrait. Derrière toute innovation, il y a une histoire d’humain, faite de rencontres et de collaboration au sein d’une équipe. Souvent, les professionnels impliqués dans ces projets ont besoin d’un accompagnement pour conscientiser et verbaliser ces histoires », confirme Céline Tupin, chargée de mission Innovation chez Grenoble-Alpes Métropole.
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La deeptech, par essence, se développe sur le long terme. Tant du point de vue financier que médiatique, la difficulté réside dans la gestion de cette temporalité étendue. « Mon conseil aux start-up est de ne pas se révéler trop rapidement, affirme Véronique Souverain. Je recommande d’éviter d’avoir un brief marketing détaillé mais d’adopter plutôt une approche sectorielle, d’utiliser les codes du marché pour rendre la société visible, mais sans divulguer trop d’informations. Il est essentiel d’établir un rythme et un accord avec les médias pour éviter toute déception. » Pour lever des fonds et gagner la confiance des investisseurs, la visibilité, notamment dans la presse, est essentielle. Même si une deeptech ne débute pas toujours avec une orientation commerciale, il est important de chercher tôt des clients potentiels, d’adopter une approche axée sur le client, et d’orienter l’entreprise dans cette direction dès le départ. Et c’est aussi en ce sens que la communication autour du produit doit se faire. Il est important de se confronter au public, de vérifier l’acceptabilité de son innovation. « Il en va de même pour la marque-employeur : utiliser le storytelling pour attirer des talents, en pleine période de pénurie, malgré la complexité du domaine », ajoute Thibaut Baron.
La communication des deeptech doit donc être à 360°. « La question du produit doit être intégrée dès le début, ajoute de son côté David Boujo, directeur adjoint de l’équipe deeptech, au sein de Bpifrance. Au-delà du storytelling, cela implique de représenter le produit, via une approche de design - voire design fiction -, des démonstrations, des maquettes ou des prototypes. C’est essentiel pour convaincre des personnes qui ne sont pas forcément des experts du secteur. »
La deeptech possède néanmoins des points forts, notamment son caractère innovant. Le contexte actuel est très favorable aux deeptech, notamment avec le discours présidentiel sur le « réarmement industriel », qui se concentrent précisément sur l’industrie, l’énergie et l’environnement, alignant ainsi leurs objectifs sur des enjeux nationaux majeurs. Cela se reflète dans le maintien des levées de fonds dans ce secteur. L’industrie est l’un des secteurs qui crée le plus d’emplois. Le nombre de start-up deeptech qui se créent a doublé en 5 ans. Les investissements dans la deeptech représentent 50 % du total des financements du marché du capital-risque et 80 % des investissements de Bpifrance. « Il est essentiel que les dirigeants se préparent à expliquer l’impact qu’ils auront sur le monde de demain, car cela suscitera davantage d’intérêt, indique David Boujo. Cette évolution est relativement récente, car auparavant, ce sont principalement les chercheurs qui présentaient leur technologie. C’est également dans cette direction que la communication des deeptech est destinée à évoluer. »