RÉSEAUX SOCIAUX

Témoignages de médecins qui prennent la parole sur les réseaux sociaux afin de nourrir le débat public autour des questions de santé en apportant la légitimité du discours scientifique. Pas une mince affaire.

La violente altercation sur les réseaux entre Booba et le Dr Barrière sur la vaccination anti-covid n'a pas découragé les médecins et chercheurs qui combattent la désinformation médicale en ligne, une lutte pourtant inégale, aux effets incertains.
« Ferme-la, assassin! »: ce fut la réponse sur X (ex-Twitter) de Booba aux arguments scientifiques du Dr Jérôme Barrière expliquant que le lien établi entre le vaccin anti-covid et la maladie de Creutzfeldt-Jacob ne repose « sur aucune donnée scientifique ». D'un côté, une star aux 6,3 millions de followers, adoubé d'un « petit frère » affectueux par Didier Raoult dont il relaie les opinions. De l'autre, un oncologue exerçant près de Nice, insulté et menacé par les fans du rappeur.

Un lourd tribut à payer pour le médecin, en croisade contre les fake news depuis 2020 « gratuitement », sur son « temps libre », a-t-il expliqué dans L'Express, quelques jours après la publication d'une tribune dans le même journal. Dans ce texte, les blouses blanches dénoncent ceux qui veulent « semer la confusion et la peur dans le grand public », notamment sur la vaccination, et appellent à défendre « le camp de la santé contre toute forme d'obscurantisme ». Parmi les signataires figure Mathieu Molimard, président de la Société française de pharmacologie, qui dénonce sur X les « fake news » du Pr Raoult comme les prescriptions du Dr Frédéric Saldmann, « médecin des stars » aux traitements miracles contestés.

Perte d'autorité

Comme la plupart des « chevaliers blancs » de l'information médicale, le Pr Molimard a commencé à sortir du confort de la communication institutionnelle en mars 2020: « Notre mission en tant que société savante était de communiquer sur ce qu'on savait ». Sur le site de la SFPT (société française de pharmacologie et de thérapeutique) puis sur Twitter, il publie « des faits de pharmacovigilance, notamment sur l'hydroxychloroquine ». En retour, il reçoit des messages haineux comme cette menace anonyme sur X: « Prudence en rentrant chez toi, déchet de l'humanité ». « Effectivement c'est inquiétant, c'est un problème de manque de régulation des réseaux sociaux », réagit-il auprès de l'AFP, « mais on n'a pas le droit de se taire ». Il prône une certaine distance face aux « haters » et regrette les abus de langage de certains confrères, assurant de son côté n'avoir « jamais prononcé la moindre insulte sur X ».

La crise covid a jeté les médecins dans l'arène digitale, confirme le sociologue Laurent Cordonier, spécialiste de la désinformation médicale: « Pour la première fois, on a assisté à la construction du consensus scientifique, un débat auquel n'assiste pas normalement le grand public ». En pleine anxiété généralisée, ce « débat » a, selon le chercheur, été « cristallisé par des figures emblématiques » comme celle de Didier Raoult, longtemps opposé à l'infectiologue Karine Lacombe notamment. Les attaques personnelles se sont multipliées et, « ce qui surprend les chercheurs, c'est la perte d'autorité », ajoute-t-il. Mais dans une étude pour la Fondation Descartes, Laurent Cordonier a observé que « les comportements des réseaux sociaux ne sont pas représentatifs de la population générale, pour qui le médecin reste la première source d'information médicale ».

« Pas rationnels »

Être contredit n'effraie pas l'immunologiste Steve Pascolo, qui développe des vaccins à ARN: « En tant que scientifique, le débat m'intéresse. Le problème c'est quand les gens ne sont pas rationnels », souligne-t-il, admettant aussi qu'« il est difficile d'avancer en 280 signes des arguments sur des sujets aussi techniques que l'ARN ». Mais il a bon espoir de contribuer à éclairer la majorité silencieuse, ces d'internautes qui lisent sans commenter. Selon lui, la désinformation est aussi entretenue par des médias grand public « qui invitent la veuve de Jean-Pierre Pernaut, persuadée que son mari est mort du vaccin covid, sans personne en face pour la contredire ».

Longtemps silencieux sur ces sujets, l'Académie de médecine et l'Ordre des médecins commencent à monter au créneau. Le précédent gouvernement, lui, avait promis la création d'un « délit-outrage » pour mieux protéger les soignants des agressions.

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.

Lire aussi :