Un an après le lancement de l'agent conversationnel ChatGPT, Luc Julia, cocréateur de l’assistant vocal Siri et désormais directeur scientifique de Renault, se livre à Stratégies avec un avis bien tranché sur l’outil d’OpenAI.
Avant l’arrivée de ChatGPT, vous présentiez l’IA comme de la stupidité artificielle. Est-ce que c’est encore le cas ?
Cela n’a pas changé ! Je parlais surtout de stupidité artificielle quand nous avions créé Siri. Cependant, je continue de dire que l’intelligence artificielle n’a rien d’intelligent, que ce soit ChatGPT ou les IA génératives en général. Elles ont connu une grande évolution mais il n’y a rien d’intelligent, ChatGPT recrache juste des données. C’est une évolution par rapport à ce que les IA sont depuis 25 ans, mais aujourd’hui, c’est beaucoup plus de données et toujours plus de données. ChatGPT - en l’occurrence sur la version 4.0 - concentre plus de mille milliards de données, c’est tout internet et un peu plus. Poser une question à ChatGPT permet juste d’aller chercher dans toutes ces données une moyenne de ce que pourrait être une réponse. C’est la raison pour laquelle ChatGPT répond d’une manière encore moins intelligente à une question et c’est très bête… D’où le phénomène des hallucinations de ChatGPT. Il y a un exemple qui est assez frappant, c’est la demande de biographie. L’IA pourrait très bien aller chercher les biographies de Wikipédia, qui sont en général plutôt correctes, mais à la place, elle va faire une moyenne et chercher les informations qui proviennent de je ne sais où et faire beaucoup de fautes, notamment sur les dates.
Comment ChatGPT peut-il devenir un outil intelligent ?
C’est le problème. Les intelligences artificielles ne seront jamais intelligentes. De plus en plus de données sont insérées mais la situation ne change pas et pourrait même empirer. Honnêtement, je ne sais pas ce qu’il faudrait faire pour les rendre intelligentes. Un paramètre intéressant à observer est la pertinence des réponses de ChatGPT. Parce que tout le monde crie au génie mais la pertinence des réponses de ChatGPT 3.5 est calculée à 64%. C’est très faible ! Sur la version 4.0, la pertinence augmente mais il y a toujours ces hallucinations et ces bêtises qui sont le reflet de la base de données sur lequel l’IA s’entraîne. Quand on voit que la base de données, c’est internet, on comprend pourquoi il n’y a pas que des choses vraies. Cette course aux données est une bêtise car elle produit juste des gros modèles qui demandent beaucoup de temps à être entraîné. C’est notamment une aberration écologique.
Par conséquent, est-ce que l’engouement créé autour de cette IA est raisonnable ?
L’engouement a surtout eu lieu début 2023. Il y a eu 500 millions d’utilisateurs entre janvier et février, ce qui est très impressionnant ! L’engouement est un peu plus modéré maintenant. On sait que les gens qui ont joué avec en février l’utilisent beaucoup moins, mais ils ont peut-être trouvé des usages particuliers. Je pense qu’on est déjà rentré - dans la courbe de Gartner - dans la phase de stabilisation où ChatGPT est utilisé de manière raisonnée, c’est-à-dire qu’on a compris quelles sont les limites et donc on ne peut pas l’utiliser pour faire tout et n’importe quoi. Au début, il y a toujours un certain engouement en disant que l’IA est capable de tout. Puis on s’aperçoit que ses applications sont vraiment définies.
Comment doit-on apprendre à utiliser ChatGPT ?
C’est nous, collectivement, qui avons décidé comment on peut utiliser cette IA, puis on s’est rendu compte des limites. C’est en ce moment que les gens décident de cette utilisation et il faut parfois les aider parce qu'ils ne comprennent pas tout. L'intelligence artificielle n'est pas innée pour tout le monde, mais il ne faut juste pas mentir et ne pas trop s’exciter sur ces IA. Il faut simplement dire ce dont ChatGPT est capable ou pas.
Vous êtes plutôt critique sur l’outil. Personnellement, utilisez-vous ChatGPT ?
Bien sûr ! J’utilise ChatGPT et même les autres IA génératives. Par exemple, je suis très mauvais en dessin, donc j’utilise Dall-E ou Midjourney. J’utilise tout ce qui peut m’aider. Avec ce qui se passe pour les outils de Microsoft par exemple dans Excel ou dans PowerPoint, évidemment que j’utilise les IA qui sont disponibles. Par contre, je ne vais pas utiliser la partie IA générative dans Bing parce que je sais que ça va générer beaucoup de choses qui sont fausses.
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