Le discours de politique générale comme la présentation du plan stratégique d’une entreprise sont dans les deux cas des exercices sensibles. Comment en sortir un message-clé qui parle à tous les publics ? Comment l’incarner ?
Pas de claquement de pupitres, ni à l’inverse d’applaudissements nourris ou de standing ovation lors d’une présentation par un dirigeant d’entreprise d’un plan stratégique dans le confort luxueux d’un grand hôtel. Pas de long et fastidieux Q and A pour un discours de politique générale lorsque le Premier ministre descend du plateau de l’Assemblée nationale. Peu de KPI au Palais-Bourbon si ce n’est de vagues engagements chiffrés, mais peu de place pour un discours de la méthode devant des investisseurs soucieux avant tout du « delivery ». Pas de powerpoint, d’infographies, de formats vidéos dans la solennité de l’Assemblée, pas de citations historiques ou de discours enflammés dans l’univers standardisé des réunions d’analystes. Des mois de préparation, des heures de répétition, une mobilisation totale des équipes opérationnelles pour l’exercice stratégique en entreprise ; un travail en extrême urgence et en mode commando pour un nouveau chef de gouvernement, souvent épuisé par une campagne électorale ou par le casse-tête de la formation d’un gouvernement avec des annonces qui souvent prennent de cours les ministres fraîchement nommés. Le jeu des sept différences pourrait se poursuivre.
Pourtant, entre ces deux moments fondateurs pour un « PM » ou un « CEO », il y a sans doute plus de points communs qu’il n’y parait. D’abord l’exigence du cap. En politique comme en économie, faire une impasse c’est s’exposer. Vous n’avez pas parlé de la pêche, le sort des pêcheurs ne vous intéresse donc pas. Vous n’avez pas parlé de cette activité, ne seriez-vous pas tenté par la vendre ? Le risque du DPG est donc de devoir égrener une liste fastidieuse de priorités qui noient sous leur énumération l’objectif final et sa mise en tension. Le risque est proche dans une « equity story » : donner des objectifs par activité, pour chaque BU ou zone géographique en ne faisant pas émerger, au-delà des chiffres, l’horizon atteignable au terme de l’exécution du plan. C’est le cap qui donne de la force à l’exercice, qui fait décoller le discours, qui peut projeter le pays ou l’entreprise, les citoyens comme les collaborateurs, au-delà des contraintes du court terme. Bien évidemment, ce cap impactera, se mémorisera s’il tient en une phrase, une expression, ou la fameuse punchline. Dans les deux cas, l’exercice est extrêmement sensible. Comment mémoriser sans dénaturer, comment ciseler un message-clé qui parle à tous les publics lorsqu’il doit être extrait d’une présentation ou d’un discours de 30 pages.
Un enjeu d'incarnation
Deuxième point commun : l’enjeu d’incarnation. Dans ces moments fondateurs, le dirigeant met ses tripes sur la table ; il joue une partie de son crédit parce que comme chacun le sait « on n’a pas deux fois l’occasion de faire une première bonne impression ». La confiance qu’il suscitera ou pas, la crédibilité à conduire l’action présentée, à agir vite, sera une part non négligeable du succès de l’exercice et du crédit qu’il se sera constitué pour le temps où les difficultés finiront par le rattraper.
C’est ensuite que se pose la question des marqueurs. Journalistes, analystes, actionnaires, électeurs, chacun retiendra un engagement ou une promesse dont il fera un critère de jugement. La première prise de parole stratégique doit absolument fixer ses propres marqueurs du succès (« j’aurai réussi si ») pour éviter que la grille d’évaluation soit posée par vos observateurs ou vos détracteurs.
Si les deux exercices se retrouvent, c’est aussi parce qu’ils auront chacun pour juge de paix l’accueil qui leur sera réservé par les cibles finales à qui ils s’adressent. Que le cours de Bourse s’enflamme ou dévisse, que les sondages s’envolent ou refluent, le discours de politique générale ou la présentation du projet stratégique sera perçu comme réussi ou pas. Au-delà de leurs différences, le politique et l’économie évoluent tous les deux sous la pression de l’opinion.