Les élections américaines sont traditionnellement un laboratoire des pratiques numériques émergentes. Tous les mois, jusqu’à l’élection de novembre, plongée dans la campagne digitale avec Ronan Le Goff, co-directeur de La Netscouade.

La convention démocrate qui a couronné Kamala Harris a été, de l’avis général, une grande réussite. Il y avait toutefois des grincheux. Les journalistes accrédités se sont plaints à de multiples reprises de leurs conditions de travail : manque de prises électriques, insuffisance de sièges, files d'attente interminables… Il faut dire que cette convention, tenue à Chicago, comportait une grande nouveauté. Les journalistes devaient partager l’espace avec de nouveaux collègues aux pratiques bien différentes : les influenceurs. 200 créateurs de contenu étaient accrédités, bénéficiant d’un accès VIP et de nombreux privilèges dont la presse ne disposait pas. «La convention démocrate est officiellement la convention des influenceurs», a titré Wired. Le signe d’un retournement : pour cette élection présidentielle américaine, démocrates comme républicains misent davantage sur les réseaux sociaux que sur la presse.

Plusieurs créateurs de contenu ont même été invités à prendre la parole sur scène à Chicago, aux côtés des grandes figures du parti démocrate, telles que Barack Obama ou Bill et Hillary Clinton. Sur le papier, Nabela Noor semble loin de l'univers politique. Cette influenceuse lifestyle, suivie par 7,5 millions de personnes sur TikTok, s'est fait connaître pour ses recettes de cuisine et ses récits de vie de couple et de jeune mère. Le parti démocrate a fait le pari de lui ouvrir le micro en plein show. Nabela Noor a abordé un sujet à la fois personnel et profondément politique : la fécondation in vitro (FIV), menacée par les récentes évolutions juridiques aux États-Unis. «J'ai deux magnifiques filles. La FIV était ma seule option. Ce choix, ainsi que bien d'autres, est en jeu lors de l'élection de novembre», a-t-elle déclaré avec émotion sur scène.

Les influenceurs mis en avant ont été sélectionnés avec soin, non seulement en fonction de la taille de leur audience, mais aussi pour leur capacité à tisser un lien entre leur récit personnel et les propositions politiques de Kamala Harris. Les créateurs de contenu invités au pupitre de la convention «partagent des messages sur la campagne qui sont uniques, qui leur ressemblent, qui correspondent à leur vie et qui sont spécifiques aux communautés qu'ils ont créées en ligne», a estimé Deja Foxx, activiste numérique de 24 ans, elle aussi autrice d’un discours à Chicago. Deja Foxx a ainsi raconté son parcours d’ascension sociale à l’université, notamment grâce aux politiques mises en place par Joe Biden.

A la pêche aux «swing voters»

Mieux installés que les journalistes, les influenceurs ont également bénéficié d'un accès privilégié aux personnalités de premier plan de la convention. Pendant cette semaine à Chicago, Kamala Harris n’a accordé aucune interview à la presse traditionnelle, mais a pris le temps d’en donner trois à des créateurs de contenu. Parmi eux, Vidya Gopalan, une TikTokeuse d'origine indienne comme la vice-présidente, a pu lui poser quelques questions. L’exercice, bien plus détendu qu’une interview menée par des journalistes cherchant à approfondir les détails de son programme, a permis à Vidya Gopalan de lui demander, par exemple : «Quel est votre plat préféré de Chicago ?».

Aux États-Unis, on estime que 12% des électeurs n'ont pas encore arrêté leur choix. Ces «swing voters» présentent deux caractéristiques particulières, selon un sondage de CBS News : ils sont plus jeunes que la moyenne et utilisent davantage les réseaux sociaux pour s'informer par rapport au reste de la population. En effet, 32% des Américains âgés de 18 à 29 ans s'informent régulièrement via TikTok, un chiffre plus de trois fois supérieur à celui de la précédente élection présidentielle, d'après une étude du Pew Research.

Dans ce contexte, les influenceurs, avec leur large audience, sont devenus des partenaires très convoités pour cette élection. «Les créateurs de contenu sont un moyen d'atteindre de nouveaux publics, non seulement grâce à leur contenu, mais aussi en s'adressant de manière authentique à leurs propres communautés», explique Emily Soong, porte-parole de la convention, au New York Times. Une manière de créer de la viralité pour TikTok ou Instagram dans un événement traditionnellement calibré pour la télévision.

Une convention streamée verticalement

Alex Pearlman, un humoriste star de TikTok, invité à la convention, a parfaitement résumé l’enjeu pour le parti démocrate : «Vous devez rencontrer les yeux et les oreilles des électeurs là où ils se trouvent - et ils se trouvent pendant leur pause déjeuner, quand ils font défiler leur téléphone. [...] Ils sont sur le canapé, la télévision allumée avec CNN, peut-être en sourdine, en train de faire défiler leur téléphone.»

Signe des temps, la convention de Chicago a été la première de l’histoire à être streamée verticalement. A côté du flux traditionnel, le parti démocrate a proposé un flux vertical, diffusé sur TikTok, Instagram et YouTube, destiné à toucher un public plus jeune consommant les images sur smartphones. Un enjeu majeur alors que le téléspectateur moyen de ce type d’événement est de 55 ans.

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