LA CHRONIQUE DE STÉPHANE DISTINGUIN

Pour sortir de notre état de sidération et tenter de déjouer la malédiction du «monde d’après», résistons ! Dans la démocratie comme dans le sport, il faut se mesurer et s’entraîner.

Est-ce que vous aussi vous avez ce sentiment angoissant que les lois de la physique et des probabilités ont changé : la tartine semble tomber plus souvent, pour ne pas dire à chaque fois, du mauvais côté. Tartine ou biscotte pour revenir à de vieilles expressions. Étions-nous justement trop occupés à « nous beurrer la tartine » (jouir) ? ou « la biscotte », (indifférents) ? Pour sortir de notre état de sidération et tenter de déjouer la malédiction du « monde d’après » de Michel Houellebecq : « Nous ne nous réveillerons pas, après le confinement, dans un nouveau monde; ce sera le même, en un peu pire », résistons !

Celui qui a connu la victoire de la France à domicile à la Coupe du monde de football en 1998 ne peut qu’espérer revivre cette liesse avec les échéances sportives et olympiques qui nous attendent. En ligne, pour les élections, dans la rue… arrêtons de nous invectiver, de chercher la poutre et la paille dans l’œil du voisin, de cracher nos colères, de parier sur le pire pour provoquer le mieux… Trêve olympique et ferveur populaire plutôt que guerre civile. Et comme au sport, il faut se mesurer et s’entraîner. La démocratie est un décathlon, sport de combat, collectif, sprint, endurance, apnée…

D’abord, commençons par le front numérique. Comme à chaque fois depuis 2007, je me suis retrouvé impliqué dans ces élections, violentes parce que soudaines et dans un contexte explosif. Une campagne électorale est une occasion de tester, de mobiliser, à « haut niveau » et donc d’apprendre, comme il s’en présente très peu. Hélas, cette fois, j’ai ressenti l’empêchement plutôt que le dépassement.  Par le passé, le numérique a été un espoir, un outil, une façon d’accéder à des électeurs, d’établir des stratégies de campagne. Si je suis convaincu depuis longtemps que jamais une campagne numérique seule n’a permis de gagner une campagne (d’ailleurs, d’Howard Dean aux États-Unis à Ségolène Royal en France, on a souvent retenu les développements numériques des perdants), cette fois, c’était très différent.

Une meilleure régulation du numérique

Les contraintes réglementaires des campagnes électorales sont strictes et suivies, le numérique est désormais bien encadré, il n’a plus rien du far west. En outre, ce que subissent toutes les entreprises du monde s’impose à toutes les initiatives de promotion en ligne. Nous dépendons exclusivement de Meta, TikTok et X (ex-Twitter) dont les règles et le modèle économique nous obligent, en termes de contenu mais aussi en matière de promotion. Soyons très clairs, aucune chance que vos messages soient vus sans y associer un budget toujours plus conséquent.

Alors, nous dépendons des influenceurs, petits ou grands, avec leurs communautés, qui sont à la fois les promoteurs et le seul contre-pouvoir de ce système. En politique, le véritable impact de leurs messages reste difficile à mesurer. Et puis, si la collaboration entre les marques et les influenceurs pose question d’un point de vue déontologique, celle avec des influenceurs que des partis politiques rémunéreraient en pose d’encore plus criantes.

Mais d’autres, ailleurs, se posent moins de question ou pire, savent jouer de nos blocages et de l’absence de plateformes européennes, plus compatibles avec notre société. Je ne serai pas étonné d’apprendre (litote) que des puissances étrangères ont profité du tumulte et de notre sidération pour promouvoir des positions qui les servaient.

Enfin, n’avez-vous pas eu l’impression cette fois-ci d’avoir à faire campagne auprès de vos familles et de vos amis sur WhatsApp plutôt que sur la place publique, même sous une bulle de filtres, des réseaux sociaux ? L’absence de réelle campagne en 2022 et le jeu particulier de l’élection présidentielle de 2017 n’avaient pas permis d’en prendre la pleine mesure. Nos espaces publics ont rétréci au lavage numérique. Cela me fait penser au retour au bureau d’après covid quand plus personne ne savait travailler dans les open space tant le bruit des autres était devenu gênant.

Cette situation pose plus généralement la question de nos sources d’information. À défaut de grande plateforme européenne (je me répète), alors que le débat sur le contrôle des médias et des chaînes d’information en continu a été… vif, nous percevons plus que jamais la nécessité démocratique de disposer de médias et de journalistes indépendants. Le cas de la cession du journal Marianne par Daniel Kretinsky et la bataille de projets pour le reprendre en est un exemple frappant. Il y en aura d’autres, à nous de les accompagner en les lisant et s’y abonnant.

RSE, crise climatique… des sujets escamotés

Enfin, une dernière chose m’a choqué. Je croyais sincèrement au monde d’après, comme beaucoup d’entre nous. J’étais convaincu que le monde de l’entreprise et des affaires avait fait son aggiornamento : RSE, crise climatique, entreprises à mission, raison d’être, sustainability, diversité et inclusion… Je reste stupéfait que ces sujets n’aient pour ainsi dire pas du tout été portés, comme bilan ou comme enjeu primordial à défendre. Sans que ce soit partisan, mais parce que nous avions construit ensemble un consensus de Bercy aux militants en passant par l’Université d’été du Medef.

Souvent on répète la phrase de Peter Drucker, « la culture mange la stratégie au petit déjeuner ». C’est sans doute la politique qui fait son festin de l’économie.

Je ne pouvais pas déclarer forfait. Cette chronique arrive dans une période particulière, entre les deux tours de cette élection dont je sais seulement au moment où je vous écris que le taux de participation sera très élevé. Permettez-moi de nous enjoindre à faire équipe, de France, celle qui gagne, comme en 1998, pour accueillir le monde à l’occasion de nos Jeux olympiques.