En tweettant pour exister ou faire le buzz, ceux qui s’expriment inconsidérément dans le débat public s’exposent à la réaction prématurée et parfois à la nécessité de rectifier leurs propos. Communiquer, c’est parler quand on a vraiment quelque chose à dire.
Le SMS n’a pas tardé. « Vous avez vu la déclaration de XX ; Il faut que je fasse un tweet. — Vous êtes sûr que c’est indispensable ? — Oui, on ne peut pas laisser passer. Il faut que ce soit en ligne dans l’heure. » Combien de communicants, notamment en politique mais pas seulement, sont confrontés chaque jour à cette forme d’injonction numérique ? Soit parce qu’ils subissent la pression de leurs dirigeants ou clients. Soit parce qu’ils se sont mis eux-mêmes la pression du fameux « calendrier éditorial ». Pour émerger, pour exister, il faudrait impérativement, comme s’il s’agissait de GRP, « émettre » trois ou quatre fois par semaine. Pour exister, il faudrait avant tout créer le buzz.
En se rendant dépendant de ce devoir de « dire quelque chose », les émetteurs font eux-mêmes de la publication – ou pas – de leur propre vitesse de réaction, un critère de jugement sur le fond de leurs positions, de leur proximité au sujet d’actualité, de leur implication sur telle ou telle problématique. Cela donne parfois dans les médias ou sur Twitter lui-même d’étranges débats. « Il a fallu attendre deux jours pour qu’il se décide à réagir sur Twitter. » « Il s’est jusqu’à présent refusé à prendre position sur la polémique née sur Twitter. » « Seule personnalité à ne pas réagir sur les réseaux sociaux. » « Monsieur Untel, toujours prompt à réagir, ne s’est cette fois pas exprimé. »
En ne résistant pas à la pression de l’instant, en ne prenant pas le petit temps de recul nécessaire, tous ceux qui s’expriment dans le débat public s’exposent d’abord à la réaction prématurée, parfois à la nécessité de rectifier ou de corriger fortement leurs propos. En s’exprimant sur un évènement encore en train de se dérouler, en réagissant sur une déclaration tronquée, ils prennent le risque d’une parole hâtive et qui apparaîtra parfois décalée deux heures plus tard. En dégainant trop vite, on ne prend pas non plus toujours le temps de vérifier la pleine cohérence avec ses propos passés. 256 caractères vous reviennent alors en boomerang.
En voulant gagner la course folle de celui qui parlera le premier, les dirigeants renforcent aussi la critique d’une parole publique perçue comme un commentaire plutôt que synonyme d’action. En twittant à tort et à travers, ils prennent le risque de noyer leur propre parole dans un flot ininterrompu et non hiérarchisé de prises de position. Le réseau nouvellement baptisé X ne permet pas de tagger si on s’exprime sur un sujet clé ou accessoire. Ce que la gradation dans la prise de parole média permet davantage. Entre un communiqué de presse, des «quotes» dans un article, une tribune ou une interview, le choix du format indique déjà l’importance du message que l’on veut passer. Un tweet de prise de position, un tweet d’engagement, un tweet d’humeur ne sont pas fléchés différemment, installant ainsi une forme de nivellement. C’est la différence bien connue entre le bruit et le signal.
Le quart d’heure nécessaire
Et surtout, même pour les esprits les plus brillants, la course de vitesse n’est pas toujours en phase avec la prise de recul, l’analyse, la mise en perspective nécessaire au statut de la parole de dirigeant. Celle-ci se retrouve donc souvent banalisée, tant l’impact du propos et sa portée sonnent creux.
Que faire pour conjurer ces risques ? Il ne s’agit évidemment pas de se retirer des réseaux sociaux devenus aujourd’hui aux côtés des médias un canal puissant de la communication qu’elle soit grand public ou d’influence. Mais on peut se donner quelques règles : Ne pas se laisser imposer un rythme de publication. Penser à l’impact plutôt qu’à la vitesse. Prendre le quart d’heure nécessaire. Avoir plusieurs regards comme on le fait sur des éléments de langage. Et puis se souvenir d’un principe. Communiquer ce n’est pas « parler pour parler » mais choisir de parler quand on a vraiment quelque chose à dire. Sans cela, la parole n’est vraiment plus qu’un « gazouillis », aussitôt émis, aussitôt oublié.