À dix jours du second tour de l’élection présidentielle, les sondages politiques se multiplient. Pour les instituts, plus qu'un réel business, ils font office de vitrine de leurs savoir-faire et de leur rigueur dans le recueil de l’opinion.
Le grand barouf présidentiel est « une séquence politique » importante pour la visibilité des instituts d’études, qui multiplient les partenariats avec les médias sur la période et mettent en avant leurs experts. Les dimensions marketing et politique sont d’ailleurs imbriquées depuis la création du premier institut de sondages d’opinion par l’Américain George Gallup en 1936. Aujourd’hui, la star des baromètres est le « rolling poll », un indicateur quotidien des intentions de vote qui permet de suivre sur la durée les évolutions de l’opinion. Cet outil, mis en place par Ipsos, Ifop ou encore OpinionWay, est le marqueur d’une accélération à l’œuvre dans le domaine des études depuis quelques années. « Nos clients nous demandent d’être plus agiles et rapides dans l’exécution », confirme Denis Gaucher, CEO de Kantar Media.
En 2022, une poignée d’acteurs en France ont réalisé des études d’intention de vote. « Il y a des instituts qui choisissent de ne pas en faire mais c’est sans doute plus difficile d’exister en termes de résonance et d’ancrage de marque », juge Adélaïde Zulfikarpasic, directrice de BVA Opinion. « Les intentions de vote sont des sondages d’une grande banalité, tout le monde sort les mêmes chiffres », renchérit Yves Del Frate, CEO de l’institut CSA, qui estime vaine « la course à la marge d’erreur pour avoir une minute de télévision ». Pour Bruno Jeanbart, vice-président d’OpinionWay, la vitrine des instituts d’études n’est pas seulement politique. « Les études phares, comme "la revente des cadeaux de Noël" qui existe depuis quinze ans, sont aussi la vitrine d’OpinionWay », estime-t-il.
Enjeu de fiabilité
Pour Alexandre Guérin, directeur général d’Ipsos, les études d’intention de vote nécessitent de « maîtriser la source des répondants », c’est-à-dire le panel. « Il y a un enjeu de fiabilité », ajoute de son côté Jean-Daniel Lévy, directeur délégué d’Harris Interactive. Et pour cause : en 2002, aucun institut de sondages n’avait vu arriver Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle. Un plantage collectif en grande partie due à la volatilité du vote et à une difficulté dans le recueil de l’opinion des électeurs FN. Désormais, la prudence est de mise, notamment du fait d’une importante reconfiguration électorale qui a fait exploser le schéma droite/gauche. « En tant que sondeur, on a une responsabilité. On ne publie que ce que l’on sait très solide », affirme Laure Salvaing, directrice générale de Kantar Public France, filiale qui travaille principalement avec des acteurs publics.
D’ailleurs, l’ensemble des professionnels mettent en garde contre la simplification des théories statistiques. « L’enjeu, c’est de bien communiquer autour de la marge d’erreur », conseille Alexandre Guérin. « Les intentions de vote permettent de lire des dynamiques mais ne sont pas des outils prédictifs », ajoute Adélaïde Zulfikarpasic, qui préconise aux médias de communiquer sur les fourchettes plutôt que sur « un chiffre couperet ». « Les probabilités de vote sont une photographie à un instant T d’un rapport de force électoral », rappelle de son côté Laure Salvaing. Quant au débat sur l’influence des sondages dans le jeu démocratique, très présent durant la campagne de 2017, les professionnels estiment qu’il est impossible d’en mesurer l’impact. « Je pense que les sondages n’ont pas plus d’influence que les réseaux sociaux », dit l’un d’entre eux. « Les enquêtes statistiques permettent l’objectivation. Si vous supprimez les sondages, il reste quoi : la rumeur ? », interroge Adélaïde Zulfikarpasic.
Un aperçu des attentes des Français
La dimension politique est aussi nécessaire à la compréhension de la société. « On a vu une évolution des Français qui, auparavant, distinguaient leurs trois dimensions : citoyen, consommateur et salarié. Mais de plus en plus, lorsqu’ils prennent une décision, ce sont ces trois dimensions qui sont convoquées. Pour grossir le trait, c’est la carte de crédit qui fait le bulletin de vote », commente Yves Del Frate. « Au-delà de la course de petits chevaux, il est important pour un institut de sondages de donner un aperçu des attentes des Français », explique Laure Salvaing. « On mesure l’opinion sur des sujets structurants ou en lien avec l’actualité comme les questions d’autonomie de la Corse et l’accueil des réfugiés ukrainiens », complète Yves Del Frate. Ainsi, pour cette élection présidentielle de 2022, le pouvoir d’achat est arrivé en tête des préoccupations des Français : indéniablement, comprendre ce qui travaille les citoyens participe à une meilleure connaissance des consommateurs.
Des budgets « dégonflés »
Pour autant, les sondages politiques semblent ne pas être porteurs en termes de business puisque les professionnels s’accordent à dire que les retombées ne sont pas significatives. « L’activité électorale est importante pour l’image. C’est une activité que nous menons dans 30 pays. Il y a un vrai enjeu de visibilité mais ça ne permet pas directement l’acquisition de nouveaux clients », note Alexandre Guérin, d'Ipsos. « Aujourd’hui, les budgets des études politiques se sont totalement dégonflés, ils ne sont plus du tout ce qu’ils étaient auparavant », déplore Laure Salvaing, de Kantar Public France. « Je pense que certains clients apprécient que l’institut avec lequel ils travaillent soit reconnu, car la politique confère de la crédibilité, là où d’autres clients ne veulent pas y être mêlés », poursuit-elle. Certains acteurs du marché des études ont même fait le choix de ne pas mener d’études politiques, à l’instar de YouGov. « C’est plutôt un marché de visibilité plus qu’un marché business », argumente Alexandre Devineau, general manager de YouGov France. D’un avis collectif, les études politiques, c'est comme en politique : on peut prendre des coups.
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