Tribune

Dans une ère de la sociétalisation et de la politisation des marques comme la nôtre, les études doivent occuper une place centrale dans l'élaboration des stratégies de communication. Elles leur permettront de ne pas être déconnectées des perceptions et des ressentis.

Avant, on pouvait mourir, ou faillir, d’avoir raté un tournant technologique décisif. Kodak ou Nokia en sont d’illustres exemples. Aujourd’hui, on peut mourir d’avoir négligé les exigences des consommateurs-salariés. L’éthique s’invite comme nouvelle venue du processus de destruction créatrice, cher à Joseph Schumpeter. Et la catastrophe industrielle peut être brutale.

Comme celle qu’a connue Victoria’s Secret, la marque iconique de lingerie, contrainte l’an dernier à annuler son défilé annuel… et en grande difficulté financière depuis. À l’origine de ce crash, des polémiques récurrentes sur une stratégie marketing accusée de promouvoir derrière les «anges» une «femme-objet», en décalage croissant avec la demande de diversité, et devenue radicalement obsolète à l’heure de #MeToo. Un exemple parmi tant d’autres de la pression éthique grandissante de l’opinion et des consommateurs sur les entreprises.

Bienvenue dans l’ère de la sociétalisation et de la politisation des marques. Dans le monde qui vient, marques et entreprises savent désormais qu’elles doivent être responsables, exemplaires et vertueuses. En France, un nombre croissant d’entreprises se tourne aussi vers les dispositifs instaurés par la loi Pacte, en publiant leur raison d’être et en adoptant le statut plus contraignant de «société à mission». Certaines vont même jusqu’à créer leur Comité de parties prenantes. Mais sans assurance sur l’avenir, car la multiplication des gages institutionnels ne suffit pas à mettre à l’abri du scandale.

Risque réputationnel

Dans une situation de défiance généralisée et de décryptage immédiat des stratégies de storytelling, pointe tout de suite le soupçon du «purpose washing», avec un risque de «vulnérabilité» des entreprises et des organisations qui revendiquent ainsi leur engagement sociétal. Un risque réputationnel bien évidemment, mais également juridique, comme l’attestait récemment «l’Affaire du siècle». Dans Justice pour le climat ! Les nouvelles formes de mobilisation citoyenne, publié fin 2019, la professeure de droit à la Sorbonne Judith Rochfeld fait le bilan des procès intentés à travers le monde et montre comment de plus en plus de collectifs citoyens ou d’associations poursuivent gouvernants et entreprises au nom de la planète et font du levier juridique une véritable arme contre les engagements mal pris ou mal tenus.

Oui, les entreprises sont de plus en plus attendues sur leurs engagements et leurs contributions à un monde meilleur. Mais la crédibilité, la sincérité de ces engagements pose question, dans un contexte où les citoyens-consommateurs sont de mieux en mieux informés et aptes à les décrypter. 75% des Français se disent ainsi méfiants envers les engagements affichés par les entreprises et 67% déclarent difficile de distinguer celles qui sont vraiment responsables des autres, selon une récente enquête Harris Interactive pour Stratégies.

Dans ce contexte, pour que les stratégies des institutions et entreprises soient réussies, pour que les raisons d’être proclamées soient crédibles, pour que l’influence soit bonne et acceptée, il y a une nécessité d’urgence absolue de veiller, de connaître, de comprendre son environnement. Encore plus dans une société volatile, émotive, brutale, instantanée, éruptive même parfois. Il faut connaître, comprendre ses publics, internes et externes, véritablement enquêter pour anticiper les transformations sociales, à travers une approche multi-critères, micro et macro, des grandes tendances aux objets du quotidien, de la grande étude traditionnelle à la pétition sur Change.org.

Innover sur les méthodologies

La société est multi-facette, multi-identitaire… Les études doivent désormais ressembler à la société qu’elles auscultent et non l’inverse, pour ne pas passer à côté de la moitié de leur sujet. Innover sur les méthodologies, ne pas hésiter à revenir au terrain et au face à face, être capable de cibler un segment ou une communauté précise et digne d’intérêt pour l’entreprise, prendre le temps d’écouter et de comprendre, en sortant de l’urgence qui ne paie pas, sont autant d’axes pour maîtriser son environnement et donc la réception de son discours.

Il ne peut plus y avoir de stratégie de communication sans stratégie d’opinion, c’est-à-dire sans identification des représentations, de leurs ressorts et de la manière dont elles se façonnent, sans analyse du lien entre représentations et pratiques, et sans compréhension des logiques de réception d’un discours ou d’un argumentaire. Car un récit ou des éléments de langage déconnectés, ou contradictoires avec les perceptions, les ressentis et les expériences subjectives, n’a aucune chance de fonctionner. On est alors dans la recherche & développement d'un nouveau genre, la recherche de signes et le développement d'une nouvelle parole : outils de veille, d’études, analyses sociologiques, études de terrain et de temps long, champ des idées et de la recherche, compréhension du quotidien, suivi des objets, des lieux, des pratiques qui font sens…

Tous les signes et signaux doivent être repérés, étudiés, compris, comparés pour embrasser les faits sociaux et adapter en conséquence les stratégies et leur expression. Sans faux pas, sans faire semblant. Il convient de veiller à n’afficher aucune certitude, mais des convictions, documentées, argumentées, confirmées par les études. Le défi de l’engagement d’une marque ou d’une entreprise ne peut être relevé qu’avec bonne foi. Cela signifie que cet engagement doit aussi emporter l’adhésion personnelle du dirigeant qui place la connaissance approfondie de son environnement d’opinion au rang des priorités de son organisation et de ses décisions, en visant un dialogue construit et fructueux avec ses publics, de plus en plus soupçonneux et exigeants.

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