Le papier, loin d’être obsolète, se révèle être un outil précieux pour la communication institutionnelle. En misant sur la qualité, la personnalisation et l’expérience utilisateur, les entreprises et les institutions redonnent vie à ce support traditionnel. Un article également disponible en version audio.
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Baisse de la place du papier dans les habitudes d’information, digitalisation accélérée de la communication des entreprises et institutions, flambée du coût de la pâte à papier depuis le covid, engagements environnementaux poussant à la sobriété… Le contexte est peu favorable aux supports de communication print. Il est difficile de chiffrer précisément l’érosion du nombre de supports de communication institutionnels, mais selon les estimations des agences spécialisées, en dix ans, leur nombre aurait été divisé dans une fourchette qui va de 2 à 4… Pour autant, malgré la régression du nombre de supports de communication édités par les entreprises et les institutions, et malgré la baisse du nombre d’exemplaires diffusés, les magazines à destination des clients ou administrés ainsi que les rapports annuels font de la résistance. « Cela fait 25 ans que l’on entend dire que le papier est mort. C’est non seulement faux mais c’est aussi une hérésie », clame Stéphane Villey, directeur associé de l’agence de communication éditoriale Entrecom.
« L’existence d’agences éditoriales anciennes, comme la nôtre, prouve bien que les nouveaux canaux de communication n’ont pas totalement supplanté les anciens… En tout cas en ce qui concerne les institutions publiques », note Stéphane Boumendil, directeur général de Citizen Press, spécialisée dans la communication des institutions publiques et du secteur de l’économie sociale et solidaire. Mais pour continuer à exister, ils doivent opérer une nécessaire mutation. « Le print doit opérer sa transformation culturelle », résume Ninon Avezou, directrice conseil/corporate de Spintank. « Pour cela, le préalable consiste à se poser la question fondamentale de l’usage concret qu’un lecteur peut faire d’une information imprimée et de l’expérience utilisateur qu’il tire de sa relation avec le papier », développe-t-elle. D’ailleurs, la nécessité de cette transformation apparaît assez nettement dans la signature de certaines agences spécialisées : « L’agence des nouveaux récits » (Entrecom), « L’agence du cultural shift » (du changement culturel, Spintank)…
Le mouvement de retrait du papier dans la communication institutionnelle semble même connaître une pause, voire une inflexion. Des collectivités qui avaient abandonné le papier y reviennent, note Stéphane Boumendil. La région Bretagne, par exemple, a lancé en juillet 2023 un nouveau magazine à destination de ses administrés, le « B », tiré à 1,7 million d’exemplaires. « Certains acteurs publics sont peut-être allés trop vite dans la transformation numérique de leur communication en abandonnant le papier », analyse Étienne Vicard, cofondateur et président de l’agence Bastille, spécialisée dans la communication territoriale. « Une communication 100 % digitale a peut-être du sens pour certaines collectivités très urbaines, très connectées, mais ça l’est moins pour toutes les autres, périphériques ou rurales, pour lesquelles le papier reste un facteur de lien social important. Or, pour les acteurs publics, la notion de lien social est au moins aussi importante que leur transformation digitale », rappelle-t-il.
Le média de la fiabilité
« Le papier est pour une institution un moyen d’asseoir son image, car le papier a une existence physique, il entre aussi physiquement chez les lecteurs », complète Stéphane Boumendil. « Il incarne la fiabilité et l’engagement, car c’est écrit (physiquement) et c’est signé. » Une analyse que partagent ses confrères. « Le papier est devenu le support du temps long, un outil plus stratégique, de décryptage », souligne Stéphane Villey. Il est d’ailleurs assez symptomatique de constater que la plupart des magazines d’entreprise hebdomadaires ou mensuels, qui faisaient les choux gras de la presse d’entreprise il y a plus d’une dizaine d’années, ont disparu au profit de trimestriels. « Le papier est le média de la fiabilité, de la concentration, mais aussi de l’émotion. Le texte imprimé n’est pas modifiable, il a une dimension intangible, le print a donc un côté statutaire », détaille Ninon Avezou qui poursuit : « Opérer le choix du papier peut être une décision visant à accroître son influence, son leadership. »
Le papier s’inscrit évidemment dans une stratégie d’hybridation des supports. « Nous faisons systématiquement cohabiter print et digital dans les dispositifs de communication de nos clients. Il faut arrêter le doublonnage des informations et aller vers une vraie complémentarité des supports », recommande Ninon Avezou qui complète : « Il ne faut pas non plus opposer le papier au digital qui serait plus agile ou plus performant. »
Un objet premium
La transformation des stratégies de communication des entreprises et institution repositionne le papier comme un support d’information plus « premium ». « À l’érosion de nombre de supports et de leur diffusion, répond une premiumisation du papier, revendique Stéphane Boumendil. Quand on parle de montée en gamme, cela suppose évidemment des investissements plus conséquents, notamment sur le plan éditorial et la qualité du support ».
« Désormais, il faut envisager le rapport annuel comme un objet premium, un bel objet, utile, une bible », revendique Ninon Avezou. Pour le rapport annuel d’Orange, par exemple, Spintank a préconisé de le repenser comme un observatoire de la transformation, illustrant la transformation du groupe, en alternant tableaux de bord de suivi de la performance et formats narratifs. Même logique plus éditoriale pour le rapport annuel de la ville de Rennes conçu par l’agence Bastille au travers du portrait de sept personnalités. « Pour que le papier soit pleinement impactant, il faut que le support soit extrêmement scénarisé, original, préconise Stéphane Villey. Nous travaillons donc la scénarisation de façon plus poussée, à chaque page, chaque article, en alternant les contenus froids ou chauds, etc. »
Mais cette mutation des fonctions et des usages du papier doit aussi passer par un nouveau marketing de diffusion souligne le le directeur associé d’Entrecom. « À une époque où il n’y avait quasiment que le papier comme support de communication, le lecteur savait qu’il allait recevoir un support écrit. Désormais, il faut relancer l’attention du lecteur, faire en sorte que le rendez-vous avec le papier soit honoré. »