La crise sanitaire a profondément rebattu les cartes du champ politique. En quelques semaines seulement, Emmanuel Macron est passé du libéralisme économique au désormais célèbre « Quoi qu’il en coûte ». En matière de communication publique aussi, le covid a fait bouger les lignes et a constitué un terrain d’expérience sans précédent.
Au cours des deux dernières années, le président de la République s’est adressé près d’une vingtaine de fois aux Français sur la crise sanitaire. Dans l’ensemble de ces interventions, trois prises de parole resteront dans la mémoire collective : celle du 16 mars 2020, par laquelle le président a dit clairement en quoi consisterait le premier confinement, l’annonce de la mise en œuvre du passe sanitaire le 12 juillet 2021 puis celle de sa transformation en passe vaccinal le 17 décembre 2021.
À chacune de ces occasions, le président a annoncé des mesures précises, fortement contraignantes mais claires. Et ces trois annonces ont été spectaculairement suivies d’effets : rues des grandes métropoles vidées dès le 17 mars, 926 000 rendez-vous pris sur Doctolib pour la première dose quelques minutes après l’allocution du 12 juillet, une relance spectaculaire du troisième vaccin en pleines fêtes de fin d’année. Pour retrouver des exemples de communication aussi impactante, performative, il faut remonter au général de Gaulle dénonçant avec succès à la télévision, le 21 avril 1961, le quarteron de généraux à la retraite auteurs du putsch d’Alger ou annonçant à la radio la dissolution de l’Assemblée nationale le 30 mai 1968 pour mettre un terme à la révolte des étudiants et aux grèves.
Quadrillage médiatique
Mais il n’y a pas eu que la communication coup de poing du président qui ait été efficace. À l’exact opposé, les longues conférences de presse du Premier ministre, le dimanche après-midi, ou les points quotidiens du directeur général de la Santé présentant le bilan de l’épidémie ont répondu à l’attente des Français désireux de comprendre un phénomène sans précédent et d’en suivre l’évolution au jour le jour. Un quadrillage médiatique, qui laissait peu de place à l’opposition modérée, partagée entre la dénonciation de l’insuffisance des résultats obtenus et le refus de mesures plus contraignantes pouvant être vues comme portant atteinte aux libertés.
En dehors du gouvernement, les seules paroles audibles se sont situées aux extrêmes. D’où la stratégie du président de la République, au cours des derniers mois, d’opposer pro et anti-vaccins pour dépasser les clivages politiques habituels dans un pays où près de 90 % de la population éligible est vaccinée. Quitte à oser des formulations qu’un président ne devrait pas employer. Dans une interview à Sud Ouest, Olivier Costa, chercheur au Centre d’études sur la vie politique française, parle d’une « outrance calculée » du président de la République, qui « sait que l’opinion publique en a ras le bol du virus et des anti-vaccins ». Giuliano da Empoli, président du think-tank Volta, va jusqu’à dire, dans une tribune publiée dans Le Monde, qu’Emmanuel Macron en fait « le clivage politique décisif de l’élection présidentielle ».
Pour autant, la communication du gouvernement n’a pas été un long fleuve tranquille. Elle s’est en effet heurtée à trois difficultés principales, dont les racines étaient pour l’essentiel déjà visibles avant la crise, en particulier lors du mouvement des Gilets jaunes. En premier lieu, la crise sanitaire a renforcé la défiance d’une partie de la population vis-à-vis des autorités et des « sachants ». Une tendance notamment illustrée par les débats entre scientifiques et influenceurs de toute origine, qui nourrissent une confusion croissante entre faits avérés et jugements personnels. Il est vrai que les vérités successives du gouvernement début 2020 sur la gravité de la crise puis sur l’utilité ou pas des masques n’ont pas été de nature à renforcer la confiance des citoyens. Cette défiance envers toute forme d’autorité, et notamment envers l’État, a été particulièrement criante aux Antilles, où la crise du chlordécone avait déjà considérablement affaibli la confiance des habitants à l’égard de la puissance publique.
Bulles de filtre
La portée de ce phénomène est renforcée par l’existence de « bulles de filtre » sur les réseaux sociaux. Ce phénomène, qui prend de l’ampleur depuis plusieurs années, correspond à la tendance pour les principales plateformes (Facebook, Twitter, Instagram, TikTok) de proposer à leurs utilisateurs des contenus personnalisés à l’extrême, au point que ceux-ci ne se retrouvent confrontés qu’à des points de vue proches des leurs, dans une « bulle » d’isolement intellectuel. Ces groupes ainsi constitués fonctionnent ensuite en « vases clos », s’alimentent entre eux et sont donc particulièrement difficiles à toucher par le biais d’une communication publique. Interrogé par le média suisse Heidi News, Tristan Mendès France, maître de conférences associé à l’Université de Paris, spécialiste des cultures numériques, alerte sur ce phénomène qui a pris de l’ampleur pendant la crise : « Nos démocraties sont déjà un peu malades, mais je crois qu’avec les algorithmes et les réseaux sociaux, ça empire en accélérant la parcellisation en communautés des individus. »
La troisième difficulté est illustrée par la mésaventure qu’ont connue notamment Agnès Buzyn, Sibeth Ndiaye et Olivier Véran au sujet des masques, ces derniers estimant respectivement « totalement inutile », « pas nécessaire » et « potentiellement contre-productif » le port du masque par les non-contaminés, faute d’accepter d’assumer la pénurie. Cet exemple démontre une fois encore la nécessité pour les dirigeants de porter un discours de vérité et de sincérité en période de crise, alors que le droit à l’oubli n’existe pas sur les réseaux sociaux.
Sur la base de ces constats, quel bilan de l’efficacité de la communication publique tirer de ces deux années de crise pratiquement ininterrompue ? Tant pour le respect du confinement et des gestes barrières que pour la vaccination, plus de 90 % de la population s’est plié, en y adhérant plus ou moins, aux directives gouvernementales. Mais celles-ci ont laissé au bord du chemin une frange non négligeable de Français qui se sont enfermés dans un refus de plus en plus fort, et parfois violent, des mesures sanitaires. Et pour cette frange très minoritaire, l’efficacité de la communication publique s’est arrêtée aux portes de la contrainte physique.