Un peu plus de deux ans après le début de la pandémie, les acteurs de la communication santé ont le sourire. Passé une année 2020 compliquée, tous soulignent une nette reprise de l’activité en 2021 et une nouvelle manière de communiquer.
Les chiffres officiels ne sont pas encore publiés, mais un premier constat s’impose : tous les indicateurs sont au vert et en croissance. Mieux, « les signaux sont très positifs pour 2022, notamment avec beaucoup d’appels d’offres », observe Thierry Kermorvant, président de la délégation Santé de l’AACC, qui mise sur la poursuite de cette tendance (lire notre interview page XX). Et pour cause, depuis le début de la pandémie, leur sujet s’est invité dans tous les domaines et dans tous les médias, animant les débats, qu’il s’agisse de politique, d’économie, de sport, de consommation, d’alimentation…
Traditionnellement discrets dans les médias, les scientifiques et les médecins – généralistes, urgentistes, infectiologues, virologues, immunologues… - compétents ou pas sur la question, ont envahi les plateaux TV, s’ajoutant à la cohorte des fameux experts en tout, pour le meilleur et pour le pire. « La surexposition de la question santé et des acteurs du secteur a contribué au brouillage des messages, observe Pierre-François Jan, directeur de l’agence Pergamon. Bon nombre d’intervenants ont été sollicités au-delà de leur champs de compétence, la parole des scientifiques a été challengée par celle des micros-trottoirs. » De quoi saturer les canaux et les audiences, créer une cacophonie contreproductive. « Les citoyens se considèrent désormais comme des amateurs confirmés, en matière de santé, confirme Sylvain Volter, directeur associé lead santé au sein de l'agence Edelman. Ils sont capables de répondre à leur médecin : je ne suis pas sûr de ce que vous dites. Le côté positif, c'est qu’après deux ans de covid, ils ont pris conscience de la valeur de leur santé. Ils veulent en prendre soin, en devenir acteur. »
Image positive
Cette prise de conscience est en partie liée à la médiatisation du rôle des laboratoires dans la recherche de solution. « Les Français ont découvert que les labos n’étaient pas juste des groupes générant des milliards pour leurs actionnaires, mais des acteurs centraux de la santé via leurs investissements en R&D, rappelle Fabien Biasutti, directeur des stratégies d’Australie.GAD. Des investissements conséquents et parfois à perte, à l’image de Sanofi pour le vaccin anti-covid. » Ils ont bénéficié d'une image positive, loin de celle de Big Pharma, qu’il convient maintenant d’entretenir auprès de l’opinion.
Dernier effet bénéfique de la crise, selon Pierre-François Jan : « les Français ont découvert que la science était un lieu de controverse et de débat, que les scientifiques, et plus largement les acteurs de la santé, ne détiennent pas de vérité absolue. Ils décident sur la base d’un consensus. » De leur côté, ces derniers ont aussi compris que pour être entendus, il leur faudrait désormais proposer une communication pédagogue et professionnalisée.
Virage numérique
Autre facteur de dynamisme de la communication santé : si le covid a éclipsé bon nombre de pathologies, leur disparition n’a été qu’apparente. À l’exception des maladies de type grippe ou gastro-entérite, les maladies chroniques – cancer, VIH, diabète... – n’ont pas marqué de pause. Les communications associées ont juste été plus discrètes, ou plus ciblées. « Pendant le covid, il a fallu maintenir le lien à distance en créant des contenus pour aider les personnes dont certaines pensaient qu’elles ne pouvaient pas aller à l’hôpital, souligne Julie de Folleville, directrice associée de RCA Factory. Les acteurs de santé ayant opéré un vrai virage numérique pendant la crise, nous avons pu aller au-devant de ces publics. Nous nous sommes appuyés sur les influenceurs santé (patients, médecins ou étudiants) pour les sensibiliser. Nous en gérons aujourd’hui une trentaine. »
Pionnier sur la création de réseaux sociaux de patients, l’agence a poursuivi cette activité pendant la pandémie avec des plateformes comme « We are patients » pour le compte des laboratoires Merck, pour accompagner les personnes atteintes de sclérose en plaques, ou encore « Parlons dépression » sur la santé mentale, lancée en novembre 2020 pour le laboratoire Lundbeck. De quoi maintenir une communication avec les communautés de patients malgré le black-out sur les médias mainstream. « Le digital a clairement explosé dans le secteur, confirme Jeanne Bariller, directrice déléguée Red Havas Health Paris, agence santé née en janvier 2022 d’une joint-venture entre le réseau santé Health & You et Havas Paris. L’exigence d’instantanéité qu’il a imposée a contribué à faire émerger de nouveaux formats permettant notamment de valoriser les témoignages de patients. C’est ce qui explique le développement du podcast, un format qui permet de délivrer la bonne parole par la bonne personne. » « Et au bon moment, contrairement à la radio, ajoute Roxane Philippe, directrice générale de l’agence. Le podcast s’affranchit de la coupure pub, on chuchote à l’oreille de l’auditeur. »
Bien que la digitalisation constitue l'une des grandes révolutions dans l’univers de la santé, elle n’est pas la solution universelle. « En sept ans, l’industrie pharmaceutique est passée du sous-équipement au suréquipement en matière de communication digitale, remarque Frédéric Maillard, directeur de FMAD. Il existe autant de programmes digitaux que de chefs de produit qui veulent tous communiquer avec les médecins via l’ordinateur. Le problème, c’est qu’ils ne sont pas tout le temps devant et que leurs journées sont très chargées. Ils sont saturés d’infos et de sollicitations, il est difficile de les mobiliser. Les marketeurs sont persuadés que ça fonctionne, les agences profitent largement de cette hystérie, mais ça ne cascade pas derrière. »
Des marques plus servicielles et événementielles
Pour émerger et créer de l’engagement, restent les canaux classiques via lesquels les laboratoires peuvent s’exprimer, dans le cadre légal imposé en 1976. En clair, sans communiquer sur leurs médicaments mais seulement au nom du laboratoire et sur des thématiques génériques (recherche, maladie…). À l’image des plateformes communautaires, donc, mais aussi d’événements ou de campagnes thématiques (lire notre article p.xx). « Les marques de santé deviennent plus servicielles. Elles adoptent les codes des marques plus mainstream, observe Stéphane Perrot, directeur général de Serviceplan et Serviceplan Health. À l’image de Biogaran, qui communique sur Bioggy, un boitier connecté intelligent pour accompagner les enfants dans le suivi de leur traitement. » Elles deviennent plus événementielles aussi, tant à la télévision – avec la campagne de l’association Règles élémentaires effaçant les présentatrices météo pour alerter sur la précarité menstruelle – que dans la rue avec les événements organisés par Janssen, de la prostate géante et itinérante à Citizen Pso, un escape game itinérant pour faire tomber tabous et idée reçues sur le psoriasis.
« Il est important de communiquer, rappelle Éric de Branche, directeur de la communication du Leem, qui représente les entreprises du médicament. Les études menées avec Ipsos montrent que plus un public est informé et plus nos entreprises sont transparentes, plus le niveau de confiance est élevé. C’est dans ce cadre que s’inscrit notre campagne #rienàcacher. » Lancée en 2020, l’initiative est une série de rencontres en live durant lesquelles trois experts du secteur répondent sans filtre aux questions du public. De quoi éclairer ce dernier et limiter au passage l’impact des fake news.