La loi encadrant l’influence commerciale et luttant contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux a été promulguée le 9 juin 2023. Entre mouvement d’assainissement global et points de difficultés qui subsistent, le marché s’adapte.

« Il y a beaucoup de travail d’éducation à faire, notamment auprès des équipes qui ne sont pas forcément composées de juristes et qui avaient l’habitude de respecter l’ancien cadre. Il est nécessaire de former et d’expliquer les contours des nouvelles règles. Le marché est encore dans une période d’ajustement et d’adaptation, et cela est très sain », explique Stéphane Bouillet, président de Influence4You. Le 9 juin 2023, était enfin promulguée la loi « visant à encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux ». Objectif : définir, contrôler et standardiser l’activité des créateurs de contenus sur les réseaux sociaux, où le public est souvent jeune, et lutter plus efficacement contre les arnaques constatées. En plus de la régulation par la législation, les professionnels du secteur, notamment les agences de communication, doivent désormais revoir leur façon de travailler.

Un nouveau cadre qui révise les contours de leurs collaborations avec les influenceurs et les marques ainsi que les aspects contractuels. « Pour la plupart des collaborateurs en agences, cela fait beaucoup de nouvelles informations à emmagasiner. Mais ils sont, dans l’immense majorité, dans une volonté de bien faire et de suivre les nouvelles règles. Ils sont très demandeurs d’informations pour s’assurer de ne passer à côté de rien, et c’est aussi le rôle de l’UMICC auprès de ses membres », soutient de son côté Carine Fernandez, présidente de l’agence Point d’Orgue et de l’UMICC (Union des Métiers de l’Influence et des Créateurs). Davantage de vigilance, nouveau cycle d’onboarding, formation des collaborateurs, modifications des modèles de contrats ou encore changements de paramétrages sur les plateformes technologiques, la loi suppose, pour les agences, médiatrices entre les influenceurs et les marque, des changements de méthodes de travail et de connaître les nouvelles règles sur le bout des doigts.

L’influence, un vrai métier

Le texte propose de définir légalement les influenceurs comme des « personnes physiques ou morales qui, à titre onéreux, mobilisent leur notoriété auprès de leur audience » pour promouvoir en ligne des biens et des services. « Ce qui est intéressant avec la promulgation de cette loi, c’est la reconnaissance de l’influence comme un “vrai” métier, une mise à niveau pour l’ensemble d’un marché, une obligation de transparence envers les communautés, et une définition claire des parties prenantes, comme le métier d’agent », se réjouit Thierry Heems, head of Influence chez Auditoire. Qu’est-ce que cela change dans la relation agence-influenceurs ? « Concrètement, cela ne prend pas beaucoup de temps d’établir un nouveau contrat ou de stopper purement et simplement une collaboration avec des influenceurs qui ne respectent pas les bonnes pratiques, assure Christophe Bosquet, président de l’agence marketing digital Effinity. Nous incitons les influenceurs avec qui nous travaillons à obtenir le Certificat de l’influence responsable proposé par l’ARPP. C’est une garantie supplémentaire pour les marques avec qui ils collaborent. »

Dans le détail, la loi prohibe la promotion de certaines pratiques - chirurgie esthétique, abstention thérapeutique - et interdit ou encadre fortement la promotion de plusieurs dispositifs médicaux. Il rappelle la soumission à la loi Evin et interdit la promotion de produits contenant de la nicotine. Il s’attaque aussi aux paris sportifs et aux jeux de hasard : les influenceurs ne pourront plus faire la promotion d’abonnements à des pronostics sportifs, et la promotion de jeux de hasard et d’argent sera cantonnée aux plateformes qui permettent techniquement d’interdire l’accès à la vidéo aux mineurs. La proposition de loi interdit aussi les mises en scène avec des animaux dont la détention est prohibée. Lorsque des images de promotion, pour des cosmétiques par exemple, sont retouchées via un filtre pour les rendre plus attrayantes, il devra en être fait mention.

Des manquements côté plateformes

« En interne, dans tous les cas, nous allons bien plus loin que la loi en vigueur car nous nous imposons un cadre notamment par notre charte d’éthique qui est encore plus précise et restrictive, rappelle également Agathe Nicolle, la fondatrice de l’agence Woô. Nous avons par exemple deux juristes qui veillent depuis plusieurs années à ce que tout soit le plus encadré possible. » Même son de cloche chez Auditoire : « Une formation est mise en place par notre service juridique pour que toute l’équipe ait un décryptage clair de ce que cela implique dans notre quotidien, mais concrètement, cela ne va pas avoir un impact révolutionnaire sur nos pratiques », confirme Thierry Heems.

Rappelons que les peines prévues en cas de manquement iront jusqu’à deux ans de prison et 300 000 euros d’amende. « Il ne faut pas oublier que cette loi vient essentiellement prévenir les dérives de l’influence, en encadrant un certain nombre de pratiques et en contribuant à professionnaliser le marketing d’influence. Aussi, les agences qui ont déjà mis en place des pratiques éthiques, n’ont pas vraiment à s’adapter », affirme Christophe Bosquet d’Effinity.

Pour autant, des difficultés demeurent encore, selon toutes les agences contactées : « Par exemple, on ne sait pas encore comment il faudra agir si un créateur réside en dehors de la France, avec une société non française, mais adressant une audience majoritairement francophone. La Belgique impose des règles qui diffèrent de la France. Ces exemples risquent de se multiplier », observe la présidente de l’UMICC, Carine Fernandez. Autre point de complication, la non-visibilité sur la mise en conformité des plateformes (Instagram, TikTok, Snapchat…) à l’égard de ces nouvelles règles et mentions. « Oui, il y a des zones de flous, des angles morts de la loi. Les plateformes ne sont pas claires sur les mentions à apposer et les outils ne sont pas suffisants. Aujourd’hui, malgré toute notre bonne volonté, la loi reste n’est pas applicable à 100 % à cause des manquements des plateformes », reconnaît Stéphane Bouillet.