Pour sa deuxième édition, la consultation menée par l’AACC et Les Lionnes, «Baromètre du harcèlement sexiste, sexuel et moral dans la communication» montre des résultats encourageants. La parole s’est libérée et les agences prennent leurs responsabilités, mais les problèmes de harcèlement moral restent préoccupants.
Comme un électrochoc. En deux ans, la prise de conscience s’est faite, et les lignes, semble–t-il, ont bougé. Telle est la première bonne nouvelle du deuxième Baromètre du harcèlement moral, sexiste, sexuel et moral dans la communication, consultation menée par l’AACC et Les Lionnes avec le cabinet OpinionWay auprès de 1158 personnes travaillant actuellement en agence de communication mais aussi auprès de celles qui ont quitté leur agence ou ont changé de secteur. 83% des répondants estiment que l’enjeu de l’égalité femmes-hommes en agence est important ou prioritaire. C’est 9 points de plus que lors de la précédente consultation. «On constate une progression globale qui montre que l’industrie peut devenir vertueuse, se réjouit Julie Régis, présidente des Lionnes. Les agences se sont emparées de ces sujets de l’égalité et de la parité de manière plutôt courageuse. Mais elles n’avaient pas le choix. D’autant qu’en agences, 58% de la force de travail est féminine.»
La question de la rémunération reste cruciale, et sur ce point-là également, on note une évolution positive. 39% des répondants considèrent que les femmes et les hommes sont rémunérés de façon égale au sein de leur agence, soit 7 points de plus qu’en 2021. Toutefois, 21% des répondants estiment que l’égalité salariale n’est pas atteinte, et les femmes sont plus réservées que les hommes sur les avancées en la matière : 26% d'entre elles déplorent que les hommes continuent à être mieux rémunérés, lesquels sont 12% à penser de même. Par ailleurs, le sentiment que l’accès au poste à responsabilité est plus aisé pour les hommes chute de 7 points (29% des répondants), 11 points chez les femmes (33%).
Des équipes sous pression
L’impact de la parentalité apparaît moins comme une menace qu’il y a deux ans, même s’il est cité par 36% des femmes comme potentiellement pénalisant pour leur carrière (36%, -7 points) contre 14% des hommes (+2 points). 24% des femmes songent ou ont déjà remis à plus tard un projet d’enfant pour des raisons professionnelles (contre 9% des hommes). Pour autant, les dispositifs proposés aux parents pour une meilleure harmonie entre vie professionnelle et vie privée sont perçus comme plus présents qu’en 2021. L’accès au télétravail est évoqué par 85 % des répondants (+9 points), l’aménagement du temps de travail pour les femmes enceintes par 56 % (+6 points), l’encouragement à prendre le congé paternité par 55% (+10 points) ou encore les horaires encadrés par les réunions à 41% (+11 points).
Parallèlement, sur les questions de harcèlement sexuel, moral, d’agissements sexistes ou d’agressions sexuelles, le chiffre des personnes en ayant entendu parler est en baisse de 9 points, tout comme le nombre de témoins directs de ces agissements, en baisse de 2 points, ou encore de victimes de harcèlement, en baisse de 5 points – mais reste tout de même à 42%. « En transverse, on progresse et c’est très bien. Mais le piège serait de se dire qu’on a fait le boulot et de se démobiliser, prévient Julie Régis. 31% constatent encore du harcèlement sexuel d’ambiance, 58% ont été témoins d’au moins un fait de harcèlement d’agression ou de sexisme en agence [dont 29 % des personnes travaillant encore dans ce secteur, et ce, dans leur agence actuelle]. Ce n’est pas rien. Il s’agit de garder le cap. »
Les personnes interrogées ont ainsi constaté à 44% (-8) du harcèlement moral, 16% du harcèlement sexuel (-6%) et 7% des agressions sexuelles (=). « Sur la question du harcèlement moral, la réalité du marché, c’est que beaucoup d’agences nomment à leur tête de bons créatifs, de bons techniciens, mais pas faits pour être de bons patrons d’agence, remarque David Leclabart, coprésident de l’AACC. De plus, beaucoup d’agences sont en difficulté économique, ce qui contraint les patrons à mettre leurs équipes sous pression. Et les clients, de leur côté, ont tendance à répercuter leur pression… Les managers doivent être en capacité de dire non. On en revient aussi au fait d’être justement rémunéré sur ce qui génère de la valeur : 1 euro investi en France dans la communication génère 8 euros…»
Peur des représailles
Les dénonciations vis-à-vis des faits de harcèlement deviennent plus récurrentes. 30% ont dénoncé les faits de harcèlements subis, un chiffre en hausse de 8 points. « En revanche, il y a toujours 49% des victimes qui ne dénoncent jamais ces agissements, et ça, c’est beaucoup trop », regrette Julie Régis. Dans 78% des cas, les personnes n’ayant pas dénoncé les faits se sont retenues par peur (+4 points). Pour beaucoup domine la peur d’être pénalisé dans son travail (54%, +2 points), de ne pas être pris au sérieux (44%, +5 points), ou encore d’être à nouveau harcelé ou agressé (20%, +2 points). De fait les N+1 sont souvent en cause : près d’une victime sur deux déclare avoir été victime de son manager direct et près d’un tiers évoque un membre de la direction de son agence.
Si les plus jeunes sont intraitables sur les questions de harcèlement sexuels et de harcèlement sexuel d’ambiance, ils sont plus démunis sur les questions de harcèlement moral, ou de signalement des faits : 72% d’entre eux ne savent pas comment réagir dans ce genre de cas. « Chez eux prédomine la peur de se faire saquer, alors qu’il est parfois compliqué de trouver sa place lorsqu’on arrive en agence », analyse Julie Régis.
« On a là une belle opportunité pour réinvestir la culture RH, voire créer une culture RH propre aux agences qui souffrent d’une absence totale de culture managériale », estime Julie Régis. « À l’AACC, nous mettons l’accent sur ces sujets dans nos 14 formations autour de sujets de management, souligne David Leclabart. Être créatif, c’est sortir de sa zone de confort, mais c’est uniquement possible s’il existe une zone de confort ! Aller chercher les nouveaux imaginaires, les nouveaux récits, on n’y arrivera pas avec les anciens salaires, les anciennes méthodes. »
Il est certain que la situation est toujours moins dégradée dans les agences où les femmes occupent des postes à responsabilité. 58% n’ont observé aucune action corrective à la suite d’agissements de harcèlement dans les agences où il n’y a aucune femme dirigeante. « Ça ne sert à rien de placer des femmes-totems dans les comités de direction pour se donner bonne conscience, lâche Julie Régis. Il y a un énorme travail à faire là-dessus. »
« Dans la profession, on compte des femmes puissantes à la tête d’agences, Mercedes Erra, Michèle Ferrebeuf, Bertille Toledano, il y avait aussi Marie-Catherine Dupuy…, rappelle David Leclabart. Les femmes ont tous les outils à leur disposition, pour autant, ça s’accompagne, notamment dans les petites agences où tout cela représente du temps et de l’argent. » Sur la feuille de route pour les deux prochaines années : réinventer la culture du management en fonction des spécificités du métier, former au leadership et au management. Et surtout rester vigilant et garder le cap, sur les questions de parité, de sexisme et de harcèlement, toujours.