Dans un contexte de « polycrise », les instituts d’études et les départements d’intelligence marketing des agences continuent d’éclairer les marques sur les avis, les besoins et les comportements de leurs publics. Un article également disponible en version audio.
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Les études ad hoc (réalisées pour un seul client) sont au cœur du business model des instituts d’études. « Elles constituent la majorité des projets que nous réalisons », confirme Romain Barbet, directeur général France de Norstat, société d’études d’origine norvégienne implantée dans 15 pays (250 collaborateurs dont 10 en France). Même son de cloche chez Edelman : « À quelques exceptions près, nos études sont toutes ad hoc, certaines études multiclients sont réservées aux clients d’Edelman mais ne sont pas commercialisées en souscription », détaille Antoine Harary, président d’Edelman DXI (25 salariés en France), la filiale d’études du groupe de communication.
« L’ad hoc a tendance à se développer chez nous parce que le monde devient de plus en plus complexe pour les marques, ajoute Yves Del Frate, CEO de l’institut CSA (groupe Havas), qui emploie environ 200 salariés en France. Et au-delà des problématiques sectorielles, il y a des problématiques clients. » Sans data, les professionnels de tous secteurs naviguent à vue. « Comment justifier de la pertinence d’une stratégie de communication sans données ? Comment faire valoir la valeur du travail réalisé sans KPI ? La mesure permet d’objectiver l’appréciation, d’éclairer la prise de décision, d’optimiser les ressources et de justifier les investissements, a fortiori dans un contexte de crise », argumente Antoine Harary.
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Un contexte de crise, voire de « polycrise », terme employé par Alexandre Guérin, CEO d’Ipsos France (750 salariés dans l’Hexagone), pour décrire le monde actuel. « Entre la crise sanitaire, inflationniste, géopolitique [guerre en Ukraine, tensions en Chine…], écologique, politique et sociale [grèves contre la réforme des retraites, conflit autour des mégabassines…], et peut-être bientôt une crise financière, il y a une forme d’anxiété généralisée, poursuit-il. C’est important que les marques en prennent conscience. Pour qu’une communication soit efficace, en plus de la créativité et d’un bon plan média, il faut qu’elle soit en phase avec le client. »
Ces sujets de préoccupations se répercutent dans les tendances des études ad hoc. En effet, l’inflation (notamment les prix) et la RSE arrivent en tête des sujets d’études chez YouGov en 2022, d’après Alexandre Devineau, general manager en France de l’institut d’études d’origine britannique (40 salariés en France). Viennent ensuite les sujets du sponsoring sportif, de la GenZ et, enfin, du digital et de l’influence marketing. « Dans le domaine de la RSE, il y a beaucoup d’injonctions contradictoires. Que doit faire la marque entre son business plan et sa responsabilité ? Pour arriver à accompagner les marques dans la transition, il faut avoir une lecture très fine, nuancée et en même temps très fiable des attentes et des comportements des consommateurs », commente Lambert Lagrevol, directeur général d’Enov (90 salariés).
Hors inflation et RSE, Alexandre Guérin voit, lui, des tendances par secteur d’activité comme sur la santé, où les modèles de vente reposent sur la prescription médicale. Alors qu’il y a de moins en moins de visiteurs médicaux et une pénurie de médecins, les laboratoires se demandent comment toucher ces derniers. Dans le luxe, la question peut être celle de l’expérience (comment reproduire la valeur expérientielle sur les canaux digitaux ?) ou des profils des consommateurs qui ont beaucoup évolué (jusqu’où étendre le territoire de la marque sans perdre son identité ?). Autant de questions auxquelles les instituts apportent des réponses.
Les données s’hybrident
Les instituts d’études développent des offres toujours plus sophistiquées, avec notamment l’hybridation des données (combinée à l’analyse humaine), avec une garantie de rapidité dans l’exécution, à l’image des plateformes de sondages « do-it-yourself » que tous les instituts perfectionnent. « Le rythme des décisions prises par les clients s’accélère, d’où la nécessité d’une granularité et d’une rapidité accrues », justifie Ketty de Falco, CEO de Kantar pour la région Europe centrale et Europe du Sud.
Comment se porte le marché des études après son rebond de 2021 ?
Selon nos prévisions, le marché devrait peser entre 2,2 et 2,3 milliards d’euros en France en 2023. Fin mars, on est globalement à 2,5 % pour les études ad hoc, tandis que les panels en France connaissent une stagnation, voire une légère régression. Face au dynamisme des marchés anglais et américain, le marché français se maintient mais avec des seuils de rentabilité significativement en deçà des leurs. Toujours dans l’Hexagone, les plus grands acteurs en chiffre d’affaires sont, dans l’ordre, Ipsos, Kantar et BVA.
Quelle problématique rencontre le secteur ?
Nous rencontrons la même problématique que dans le conseil avec, en termes de recrutement, la difficulté à trouver des talents issus de grandes écoles plus diverses qu’auparavant, qu’il faut attirer, et ce, alors qu’ils sont un peu moins séduits par nos métiers dont certains évoquent le caractère mercantile et très prenant. Il faut aussi faire accepter à nos clients la revalorisation de nos rémunérations en mettant en avant l’expertise et la valeur ajoutée de nos entreprises par rapport à des études menées en interne ou via des plateformes. D’autant qu’avec l’inflation, nous sommes obligés d’augmenter les rémunérations.
Quels sont les projets en cours de la commission Études de Syntec Conseil ?
Nous avons travaillé avec l’Adetem et l’Union des marques sur la transformation, en 2023, de la Journée nationale des études en « Intelligence forum », qui réunit des experts et des clients, cela, afin d’échanger sur différents sujets. Nous organisons également plusieurs réunions à l’année pour nourrir les réflexions (la prochaine portera sur ChatGPT avec la venue d’intervenants experts), ainsi que le Grand Prix Syntec Conseil, qui prime les réalisations de nos adhérents.