Entre optimisme et prudence, fragilités et signes d’espoir, le secteur événementiel, en pleine cinquième vague, aborde la rentrée et l’année 2022 avec – encore – de nouveaux défis à relever.
« Actuellement, nous sommes comme un sportif de haut niveau que vous mettez sur une ligne de départ. Et en fait, c’est un faux départ… » L’image est de Franck Chaud, coprésident du groupe d’événementiel et de communication WMH Project. Autrement dit, le secteur, parmi les plus malmenés de l’économie depuis bientôt deux ans, croyait en la reprise mais se heurte à la cinquième vague. Même si, interrogés en janvier, beaucoup de patrons veulent afficher un optimisme à toute épreuve.
Fin décembre 2021, tout le monde tirait la sonnette d’alarme. « Depuis fin novembre les adhérents de Lévénement Association [organisation représentative des agences du secteur] ont enregistré un nombre considérable d’annulations pour des évènements d’entreprises programmés entre décembre 2021 et mars 2022 », avertissait l’instance dans un communiqué. De son côté, l’Unimev (Union française des métiers de l’événement) comptabilisait, rien que pour janvier, 130 événements annulés dans le secteur des foires, salons, congrès, événements d’entreprises et sportifs, ainsi qu’« une perte de CA de l’ordre d’1 milliard d’euros et autant en retombées économiques pour les territoires », assurait-elle. Les plus mal lotis étant peut-être les traiteurs, compte tenu de l’obligation de porter le masque… Ces derniers jours, oubliés, dans beaucoup de cas, les galettes, cocktails de rentrée, cérémonies des vœux, etc. « La violence des obus a été la même qu’en 2020. Chaque effet d’annonce du gouvernement nous a fait annuler des réceptions », témoigne Alain Marcotullio, président des Traiteurs de France. Selon lui, les entreprises ont perdu en moyenne 47 % de chiffre d’affaires sur décembre, 76 % sur janvier et 60 % sur février (en prévisionnel).
Un CA « amputé »
Même claque pour les lieux, pourtant ouverts. Le collectif La Clé déplore sur décembre plus de mille annulations. Et « 13 millions d'euros de CA envolés », complète un communiqué. Pas mieux pour le premier trimestre 2022 : ses adhérents prévoient un chiffre d’affaires « amputé d’au minimum 53% ».
Autant de déceptions qui arrivent après une année déjà bousculée, quoique meilleure que 2020. « Nous avons perdu en chiffre d’affaires mais la rentabilité a été au rendez-vous. Peu voire pas d’agences ont fermé », avance Muriel Blayac, vice-présidente de Lévénement. « Nous avons vendu davantage de conseil, stratégie de marque, guidelines, direction artistique…», illustre, par exemple, Antoine Dray, fondateur de l’agence cannoise et parisienne ADR. Le soutien financier de l’État, aux dires des professionnels, a également pesé. Les PGE (prêts garantis par l’État) ont sans doute évité des faillites. « L’État a été au rendez-vous de la filière même s’il y a eu des tâtonnements au départ », souligne Thomas Marko, directeur associé de Thomas Marko & Associés, agence notamment présente dans l’événementiel.
Dans les faits, si la situation s’avère compliquée, d’autant plus que la sortie de crise demeure incertaine, tous les signaux ne sont pas au rouge. Par exemple, le CES de Las Vegas s’est tenu tout début janvier, avec un jour en moins et de grands absents notamment parmi les Gafa, mais tout de même. En France, le Salon de l’Agriculture, dont le démarrage est programmé fin février, devrait avoir lieu. Les événements d’entreprises sont aussi maintenus, digitalisés, décalés ou annulés, selon les formats, les publics, les messages concernés. Certains peuvent être reportés et d’autres non, s'ils sont saisonniers (les vœux) ou liés à des rendez-vous « figés » (la présidentielle française de l’Union européenne). Par ailleurs, certaines aides ont été prolongées. La prise en charge à 100 % de l’activité partielle a été réactualisée pour janvier pour les entreprises éligibles, une aide dite « coûts fixes » sera délivrée sous conditions. Autre exemple, la durée de remboursement d’un PGE a été allongée.
« Barrière psychologique »
Légalement, aujourd’hui, organiser un événement n’est pas interdit. Les jauges en vigueur sont de 2000 personnes en intérieur et 5000 à l’extérieur. Pour les traiteurs, seuls les événements assis sont permis. « La barrière est davantage psychologique », fait remarquer un patron d’agence. Un principe de précaution que les entreprises s’appliquent à elles-mêmes, pour la santé des salariés.
Si ce cadre tient, la reprise pourrait venir avec la fin de la vague Omicron - dont le pic de contaminations, selon certains scientifiques, serait passé -, et de façon potentiellement rapide, comme d’autres fois après les phases les plus aigües du virus, bien que certains pans d’activité ne puissent pas repartir du jour au lendemain. Mars, parient ainsi les uns, au printemps, pour les autres, voire à l’été, alors que, la chaleur arrivant, le virus devrait perdre en vigueur. « L’activité répondra peut-être à une logique saisonnière », relate Carla de Oliveira, directrice générale adjointe de Hopscotch Event. Autrement dit : le présentiel prévaudra de mars à octobre, le digital le reste du temps. Ce qui obligerait, notamment, à réaliser le chiffre d’affaires de l’année sur un planning resserré.
Outre l’amélioration de la situation sanitaire, il existe d’autres raisons d’espérer. Le choc est passé, les entreprises ont appris à gérer l’imprévu. Surtout, les annonceurs seraient demandeurs d’événements physiques, l’envie de se réunir serait bien là. Une demande qui, toutefois, ne va pas forcément jusqu’à la signature effective de contrat. « Nous sommes consultés mais même en cas de victoire, le stylo peut rester relevé, les clients font preuve de prudence sur le plan juridique », tempère Gad Weil, président du groupe d’événementiel et de communication La Phratrie.
Phénomène de mode
Le secteur s’est lui-même largement transformé, aimant, d’ailleurs, mettre en avant sa « résilience ». Les organisations ont jonglé avec les contraintes. Elles s’adaptent aux nouveaux fonctionnements des annonceurs, dont les cycles de décision se sont raccourcis, impactant les temps de production. Quant au digital, qui représentait, au début, une alternative parfois forcée, il est entré dans les usages. « Pas de scission selon que ce soit de l’interne ou de l’externe mais plutôt en termes de typologie d’événement. Le digital fonctionne pour transmettre du contenu, moins pour l’expérientiel, le networking ou le collaboratif », relève Aurore Abecassis, fondatrice de l’agence Acmé Paris. Nombre de spécialistes souhaitent aussi qu’il soit vu comme l’opportunité pour les organisateurs de rester en contact avec leurs communautés entre les événements physiques, qui ne seront plus « le » moment à ne pas manquer dans l’année mais un point d’orgue dans une série de rendez-vous. Autrement dit, l’hybride a encore de beaux jours devant lui. Y compris le plus innovant. « Désormais, les entreprises envisagent le metaverse, là où hier il fallait du réalisme. Il y a un phénomène de mode mais aussi d’acceptabilité », ambitionne Christophe Cousin, président de l’agence Win-Win. Mais le numérique n’offre pas une alternative à tout le monde, ni aux traiteurs, ni aux lieux, même s’ils peuvent accueillir des espaces pour retransmettre des événements digitaux. Enfin, s’il remplit les agendas, il ne suffit pas à renflouer les finances.
Autre évolution de fond, le télétravail. Si la règle du moment – à savoir, selon une recommandation gouvernementale, trois voire quatre jours télétravaillés par semaine pour les postes pour lesquels c’est possible – est fortement liée à la vague Omicron, elle n’est pas seulement conjoncturelle et les habitudes se sont modifiées en profondeur, ces deux dernières années. Or qui dit télétravail pourrait dire aussi : moins de moments de rassemblement puisque les gens sont chez eux. C’est l’inverse que disent entrevoir les acteurs du secteur, qui croient au fait que les entreprises auront davantage besoin d’organiser des moments de retrouvailles, et que les demandes en termes d’organisation de réunions d’intégration, de brainstorming, de team building iront croissant.
Perte des expertises
Par ailleurs, le marché se consolide, les acteurs diversifiant leur activité, un mouvement accéléré depuis deux ans. En janvier, WMH Project a racheté l’agence LDR, quand La Phratrie intégrait le studio graphique 24x36. Moins bonne nouvelle : la perte des expertises. Certains, pour des raisons économiques, se reconvertissent. La Clé avance le chiffre de 237 000 talents ayant quitté le secteur. Parmi eux, les intermittents, ayant déjà énormément souffert, marchent « sur des œufs ». « L’activité avait repris l'été dernier, on espère, de nouveau, en mars-avril », témoigne Barbara Fronda, porte-parole de la Fmitec (Fédération des métiers intermittents dans le tourisme, l’événementiel et la culture). Et d’ajouter : « Mais beaucoup cherchent à trouver autre chose. »
Ainsi, chacun attend avec impatience la fin du variant, en espérant que d’autres ne fassent pas leur apparition. « Fatalité pour janvier et février, espoir pour après », résume Gad Weil. « Tous les signaux sont au vert… sauf l’arrêt en ce moment », renchérit Franck Chaud. Hormis pour les premières semaines de 2022, l'optimisme est de mise. « On veut créer de la désirabilité pour les annonceurs », estime Antoine Dray. « Nous sentons l’activité prête à repartir dès que les obligations sanitaires le permettront », abonde Pierre-Louis Roucaries, coprésident de l’Unimev. Reste à voir de quelle façon les consignes sanitaires vont évoluer, de nouvelles annonces étant attendues pour fin janvier. Quoi qu'il en soit, les années d'élection présidentielle sont généralement synonymes, les premiers mois, côté communication, d'une certaine prudence.