À quoi ressemblera le secteur dans 50 ans ? Difficile à dire pour nous, publicitaires, le nez dans le guidon, dans ce moment particulier entre pandémie et relance, à l’heure où la guerre des talents fait rage et où la défense de notre valeur nous obsède. À la recherche d’inspiration et optimistes malgré tout, nous avons décidé d’écouter la nouvelle génération qui imaginera et façonnera le monde de demain. Nous ne prétendons absolument pas détenir le monopole de la création. Mais nous sommes aussi conscients qu’il nous faut créer dès à présent un environnement dans lequel la créativité peut et pourra pleinement s’épanouir. Avec une interrogation centrale : qu’avons-nous à défendre auprès des jeunes pour qu’ils aient envie de nous rejoindre ?
Posture d’humilité
Pour tenter de répondre à cette question, nous avons fait le choix de nous mettre dans une posture d’humilité, d’écoute et de remise en question. Quitte à risquer d’entendre ce que nous nous refusions jusque-là de percevoir. Nous avons donc mené une petite expérience au cours de laquelle nous avons interrogé plusieurs enfants, âgés de 10 à 12 ans, dont la dernière aspiration est de travailler dans notre secteur, et leur avons demandé ce qui pourrait malgré tout leur faire considérer d’y entreprendre une carrière. Nous avons sollicité l’aide de Bayard Jeunesse et Milan Presse pour mettre en place un panel de talents potentiels à qui nous avons demandé de réaliser un curriculum vitæ comme il leur serait exigé de le faire pour n’importe quel recrutement. Parmi les éléments de ce CV : une question sur leurs qualités, leurs défauts et ce qu’ils aimeraient faire plus tard dans la vie. J’ai dû expliquer à Marco qu’ils ne devraient pas venir avec leur book.
Image peu amène
La première partie de nos échanges a été sans surprise… La publicité ne figurait absolument pas parmi leurs centres d’intérêt. Bien qu’elle fasse partie de leur monde et qu’ils soient en mesure de se remémorer des campagnes, on s’aperçoit qu’ils sont à même de citer celles qu’ils ont aimées ou non mais que la publicité reste assimilée à une interruption. «La pub, ça semble superficiel, le film est interrompu par la pub et les gens partent», constate Pénélope. «La pub, ça sert à vendre des trucs et tu les revois plusieurs fois, c’est énervant», juge pour sa part Emma. «Je déteste la pub», abonde Danh. Et pour l’unique enfant de publicitaires du panel, la publicité constitue une solution de repli lorsque les notes à l’école ne sont pas à la hauteur. «Mon père m’a dit : si tu n’as pas de super bonnes notes, tu peux toujours faire de la pub», témoigne Camille-Anh.
Marques privilégiées
Heureusement, en creusant plus loin, nous avons pu nous apercevoir que les marques les intéressent, qu’ils ont une marque privilégiée et pour certains même qu’ils aspirent à créer leur propre marque, dont ils ont déjà le nom et le logo ! «Je veux créer une marque de voiture avec mon ami, parce qu’on adore ça», illustre Camille-Anh. Nous avons également pu constater que l’esthétique de la publicité était un élément extrêmement important. Ils sont totalement conscients des efforts déployés derrière chaque exécution, chaque éclairage, chaque choix stylistique… Notamment parce que bien souvent, eux-mêmes ou leurs amis réalisent des vidéos. «Je pense qu’il faut s’inspirer des pubs qu’on aime pour faire des pubs que l’on va aimer», reprend Marceau, Emma considérant que par «leur imagination», les créatifs donnent jour à de véritables «histoires».
Divertissement plébiscité
Ils possèdent également leur propre vision de la créativité, basée sur un imaginaire qui les aide à se projeter dans le futur et à se démarquer. Car c’est essentiel à leurs yeux de ne pas toujours faire comme tout le monde. «La créativité, ça permet d’avoir le meilleur style, d’avoir ton style à toi et les goûts que tu aimes. Et de ne pas choisir parce que c’est à la mode», souligne Emma. Lorsque nous nous sommes penchés sur leurs attentes concernant leur carrière, nous avons pu constater que, dès le plus jeune âge, la renommée et le pouvoir ne constituaient pas une priorité pour ces enfants en réalité davantage en quête de sens et d’utilité dans leur métier. Nous nous sommes également aperçus que le divertissement constituait une attente clé. «J’aime quand il y a des choses qui font rire à la fin», en sourit Marceau. «Je regarde la pub quand c’est rigolo», concède même Danh. Finalement, le plus important ne serait-il pas de s’épanouir dans un environnement dans lequel on apprécie les gens avec qui on évolue ? «Je veux trouver de l’intérêt dans mon travail, qu’il aide la société et l’environnement dans lequel je travaille avec mes collègues», confirme Pénélope.
Que retenir d’une telle expérience ? Les enseignements sont multiples, à commencer par une réalité factuelle. Nous ne sommes pas une destination prioritaire pour les esprits créatifs alors même que notre secteur est en mesure de les stimuler et que nous sommes connectés à la pop culture et aux sujets qui leur importent. Nous devons nous attacher à ces fondamentaux. C’est à ce prix-là que nous parviendrons à attirer les talents dont nous aurons besoin dans le futur.
Remerciements à Bayard Jeunesse et Milan Presse, et à Emma, Chloé, Pénélope, Danh, Camille-Anh et Marceau pour leurs verbatims.