Le 13 octobre dernier, au stade Vélodrome de Marseille, se joue un match de gala organisé par l’Unicef avec d’anciennes gloires de l’OM. Une petite fille de 10 ans regarde sa mère et lui dit : «Maman, je sais ce que c’est un événement. Ça sert à rendre les gens heureux.» Un mot d’enfant, et pourtant l’événementiel sort à ce moment-là de la pire crise de son histoire. Flash-back. La crise du Covid-19 vient de démarrer alors que l’événementiel peine depuis des années à affirmer sa légitimité, coincé entre l’historique publicité et la domination digitale. Ni vraiment essentiel ni vraiment porteur d’avenir, parfois méprisé et à coup sûr négligé. La crise semble lui donner le coup de grâce. Fragilisé par son modèle économique, le plus souvent dépourvu de contrats à long terme, le secteur s’écroule. Comme le tourisme ou la restauration, l’événementiel s’enfonce inexorablement. «Le chiffre d’affaires global du secteur a baissé de près de 70 % en 2020 par rapport à 2019 et devrait encore chuter de près de 50 % cette année», illustre Cyril de Froissard, président de Lévénement, qui regroupe la majorité des acteurs du secteur. Une véritable hémorragie.
C’est pourtant de ceux qui semblaient au premier chef l’ignorer – la puissance publique et ses acteurs – que viendra d’abord le salut. Le secteur événementiel figure parmi les secteurs cités par les autorités comme ceux à protéger en priorité. Il ne sera pas oublié. Thomas Deloubrière, cofondateur de l’agence Double 2, le reconnaît : «L’État, incontestablement, nous a bien traités. Les clients, à de rares exceptions près, moins.» Qu’importe, l’urgence est à la sauvegarde de l’espèce.
Tournant digital
Pour autant, le secteur ne reste pas inactif. Mieux, il réagit. L’événement, contraint, poursuit d’abord à marche forcée sa digitalisation. «On a réussi ce tournant», estime ainsi Cyril Giorgini, le CEO d’Auditoire, agence événementielle de premier plan, pour qui «la culture digitale est acquise». «Une grosse accélération, pas une révolution», nuance Thomas Deloubrière, pour qui «cela a sauvé les meubles et occupé les équipes» en l’absence de modèle économique pérenne.
Les agences réfléchissent également à leur métier. C’est ce que souligne Nathanaël Leonian, cofondateur et directeur général d’Aimko : «Ce temps nous a permis d’enrichir notre modèle et les relations avec notre communauté de talents pour partager et imaginer la reprise ensemble.»
Enfin, d’autres se regroupent. Même sans réelles certitudes. C’est ce que constate Bertrand Biard, cofondateur et associé des groupes Manifestory et OnePact. «Plusieurs phénomènes se sont cumulés : des groupements d’intérêt économique (GIE) comme The Banner, des fusions type WMH, des prises de participation de groupes médias dans des agences, comme Reworld Media avec Hopscotch, sans toutefois beaucoup de certitudes sur la viabilité économique des uns et des autres…», juge-t-il.
Le secteur a été sauvé par les aides donc, mais aussi par un sens certain du court terme que d’aucuns dénonçaient comme la faiblesse intrinsèque du métier. Sauvé aussi par la souplesse d’un modèle centré sur les fameux freelances, aux airs de clé salvatrice. Les effectifs fondent instantanément, garantissant là encore la survie. Les freelances s’en vont et en profitent même pour changer parfois de métier et de vie. «Pour Auditoire, 50 % des freelances habitués de l’agence sont partis», insiste Cyril Giorgini.
Après de longs mois, le salut viendra pourtant de l’essence même du métier. Ce qui paraissait évident, la rencontre physique, devient en quelques mois l’alpha et l’oméga du retour à la vie normale. L’objet social de l’événementiel, ce dont on ne parlait plus depuis longtemps, constitue son meilleur antidote. Le digital règne certes toujours et encore. Mais l’événementiel renaît parce qu’il incarne ce qui a tant manqué à tout un chacun. Le retour à la vie tant réclamé, incarné par des entreprises événementielles créatrices d’abord et avant tout de rencontres. Depuis septembre, l’accélération est foudroyante. «70 % du chiffre d’affaires de l’année 2021 sera livré entre octobre et décembre», indique Cyril Giorgini, 85 % des agences constatant par ailleurs une reprise lors d’un sondage récent mené par L’événement.
Seul effet pervers de cette remontée en flèche, le secteur frise la surchauffe. Les freelances manquent. Parfois même les salariés qualifiés. Les entreprises dénoncent pour certaines une tendance inflationniste des salaires. Un comble… De là à parler de pénurie de talents ? «Incontestablement», constate encore Thomas Deloubrière, qui rajoute pourtant avec un sourire que «les néoéleveurs de chèvres n’ont pas tous trouvé leur équilibre et commencent à revenir».
De chair et d’os
Novembre 2019, septembre 2021. Presque deux ans de descente aux enfers pour une redécouverte. L’événementiel assure une fonction essentielle. Celle de la rencontre et du partage. Ou quand les mots galvaudés deviennent vintage… L’événementiel est revenu à la mode aussi brusquement qu’il avait disparu des radars. Les entreprises se précipitent. Tout d’abord pour tout et surtout rien. Par romantisme presque. Puis avec raison pour affirmer la fonction essentielle d’une entreprise, d’une société.
Bien sûr, toutes les craintes ne sont pas évanouies, mais l’événementiel – presque malgré lui – est redevenu bankable. Une performance et une sacrée revanche. Le secteur vient d’offrir un rebondissement digne d’un film hollywoodien. Et l’avenir s’annonce radieux. Sauf nouvelle catastrophe, s’annoncent dans les trois ans qui viennent deux des plus grands événements planétaires avec, en 2023, la Coupe du monde de rugby en France avant, en 2024, les Jeux olympiques et paralympiques de Paris. Des objets planétaires, générateurs de retombées économiques pour le secteur qui vont bien au-delà de leur organisation pure. Les promesses d’une consécration de la rencontre faite de chair et d’os… Finalement, la petite fille du Vélodrome s’adressant à sa maman avait sans doute raison. L’événementiel rend bien heureux les gens.