Tribune
Pour redonner de l'attrait à notre profession vis-à-vis des jeunes talents, il est temps de se recentrer sur le produit créatif et de le revendiquer haut et fort. Il en va de la survie de nos métiers.

A travers ce cri, certains se sentirons peut-être touchés, étonnés ou choqués, mais comme le dit Beaumarchais, «sans la liberté de blâmer, il n’est pas d’éloge flatteur».

A l’évidence, notre profession ne séduit plus. Les jeunes préfèrent se diriger vers l’animation 3D, le jeu vidéo ou devenir influenceurs. Et Pixar leur met plus d’étoiles dans les yeux que n’importe laquelle de nos agences parmi les plus créatives. Ce désamour se traduit par l’absence, ces dernières années, d’émergence de jeunes talents tels que les générations précédentes en avaient produits. Nos plus jeunes grands créatifs ont déjà passé la trentaine. Et majoritairement, ce sont les quadras qui trustent les podiums.

Que s’est-il passé ? Le monde des agences s’est-il durci ? Est-ce la responsabilité des écoles et des formations ? Est-ce le fait d'une désirabilité qui s’est effritée au gré des crises économiques et de l’explosion du digital, qui a rebattu les cartes de la créativité ou du moins le laisse penser ? Est-ce dû à une mondialisation de la création qui déplace le curseur à un endroit où il ne devrait pas être ?

Remettre l’église au cœur du village

Au-delà de ces constats maintes fois dressés, j’y verrai aujourd’hui une raison plus profonde, un biais faussement vertueux sur la raison d’être de notre métier. Pourtant, notre raison d’être, nous la connaissons et elle n’a pas changé depuis les débuts de la réclame. Nous sommes là pour vendre des produits, idéalement avec intelligence, mais définitivement pour vendre des produits.

A en croire les productions en compétition à Cannes et à la lecture du palmarès, on est en droit de s’interroger. Je paraphraserais John Hergarty, en osant cette question : «Peut-on encore gagner des prix en vendant des produits ?». Aujourd’hui, on attend des créatifs qu’ils sauvent la planète. Si l’initiative est louable, doit-elle prévaloir sur ce qui fait l’essence de notre métier ? Doit-on se renier pour se distinguer dans les festivals internationaux, et par la même dans son réseau, ou pour continuer de constituer son book ?

Dans ces festivals aujourd’hui - et ce n’est pas le cas en France heureusement - une maladie mondiale a contaminé les créatifs désormais enclins à vouloir s’acheter une conscience en sauvant la planète. La pub serait devenue vulgaire car le monde a changé. Alors, comme l’humanitaire gagne, les créatifs ne font plus que ça. On prime le corporate dans les marques, l’acte sociétal, et on ne prime plus l’acte créatif. C’est un cercle vicieux dont on ne sort pas. En témoignent 90% des idées des travaux cannois.

Trop de festivals mondiaux, des jury dépréciés dans lesquels 25% des jurés ne sont plus des créatifs et dans lesquels il faut composer avec la parité entre les réseaux, les indépendants et les sponsors, sont autant de mauvais signaux envoyés. La création s’en ressent, les books ne sont pas au niveau. Mais ça reste une foire d’empoigne pour remplir toutes les cases politiques.

Resserrer les rangs et être soudés

Pourtant, notre profession n’a jamais eu autant besoin de solidarité dans le respect de toute son exigence. Dernier bastion créatif avec le D&AD anglais, le Club des DA français porte haut les couleurs de la création dans ce qu’elle a de plus pur, de plus riche, de plus diversifié. Et la compétition du Club des DA qui vient de se terminer a une fois de plus distingué le meilleur de la production après une année difficile.

Cependant, sans primer pour primer, le palmarès 2021 aurait peut-être mérité d’être plus généreux et de célébrer un peu plus les actes créatifs même s’ils ne sont pas parfaits. C’est un travers bien français que d’être particulièrement sévères entre nous. Alors que les créatifs souffrent particulièrement en ce moment, que l’influence croissante de la data et des phénomènes de rationalisation de nos métiers pèsent sur notre quotidien, nous gagnerions à avoir plus d’ouverture d’esprit. Nous devrions nous rassembler sur le produit créatif même s’il n’est pas parfois dans l’excellence de l’excellence.

C’est important pour la préservation de notre métier. Et c’est essentiel pour la jeunesse. Le Livre du Club, c’est la vision d’une année de notre travail dans les arts appliqués, dans sa plus grande largeur. Il doit inspirer les jeunes. Il doit les inciter à faire notre travail, à rejoindre nos rangs. On doit être capable d’embrasser le meilleur, et un peu plus large, pour donner envie à la nouvelle génération de faire notre métier.

Nous sommes un pays avec beaucoup de l’intelligence. Nous savons produire et faire rayonner de grandes idées. Nous savons les exécuter dans un craft parfait, mobiliser les meilleurs talents de toute la filière des arts appliqués. Notre French touch est reconnue. Il faut célébrer cela d’autant plus que ça n’a jamais été aussi difficile de le faire. Défendons-le au sein du Club des DA qui est notre syndicat. Revendiquons-le dans nos agences. Et portons-le dans les écoles avec honnêteté. Car la transmission est de notre responsabilité, il en va de la survie de nos métiers.

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