On connaissait l’adage « faster, better, cheaper » (plus vite, mieux, moins cher), promu dans les années 1990 par un dirigeant de la Nasa pour réduire le coût des programmes spatiaux. Dans le domaine des études, l’heure serait plutôt au « faster, smarter, together » (plus vite, plus intelligent, ensemble), pour reprendre les termes de l’institut Enov, qui a théorisé cette approche.
Le premier enjeu est la rapidité. « Dans une économie où les cycles se raccourcissent, où le digital, avec les start-up et l’ubérisation, challenge les modèles, la connaissance client doit elle aussi aller plus vite », décrypte Lambert Lagrevol, directeur général d’Enov. Chez Kantar, où l’organisation a été revue après que WPP a cédé la majorité du capital de l’institut à Bain Capital, le sujet est pris à bras-le-corps. « Il y a un besoin de réactivité et nous devons être plus agiles pour apporter des réponses, parfois dans les 24 heures », remarque Pierre Gomy, directeur général en charge des solutions innovantes au sein de la division Insights de Kantar. À côté des « études tactiques rapides », remarque cet expert, il y a aussi un besoin accru d’études plus stratégiques. « Il y a une extrémisation des demandes et nous cherchons à répondre à un marché qui se radicalise », explique-t-il, par exemple « en donnant la capacité à nos clients, s’ils le désirent, d’être autonomes » dans le pilotage de leur marque.
Communautés online
Chez Harris Interactive, Nathalie Perrio-Combeaux et Patrick van Bloeme, coprésidents, positionnent leur institut comme « leader de la collecte d’insights en temps réel ». « L’agilité est au cœur de beaucoup de discussions, avec des solutions où les clients peuvent prendre la main eux-mêmes ou être accompagnés », commentent-ils. « Les marchés sont volatils, il faut décider très vite », ajoutent-ils, en garantissant des résultats opérationnels « parfois en moins de 24 heures ».
L’une des façons de répondre à cet enjeu de rapidité est de constituer des communautés online que l’on peut solliciter à l’envi. Cette manière d’opérer prend une place accrue dans la palette des instituts. Chez Enov, elle représente 30% de l’activité. « Avoir des consommateurs sous la main qui, par exemple dans le secteur des cosmétiques, nous ouvrent en grand la porte de leur salle de bain, cela permet de gagner du temps », remarque Lambert Lagrevol. « Il est possible de monter une étude ad hoc en deux semaines ou, sur des tests de produits ou de concepts plus simples avec une ou deux questions, d’avoir une réponse dans la journée », avance Marjolaine Grondin. Celle-ci a fondé Jam, un média online qui réunit une communauté de 700 000 jeunes et conduit des études en interrogeant ce panel. Pour Luc Balleroy, directeur général d’OpinionWay, ces communautés online permettent aussi de « travailler sur le temps long ». « Traditionnellement, dans les études qualitatives, si je caricature, on mettait des individus autour d’une table et on multipliait les groupes en espérant qu’à la fin, quelque chose en sorte. Là, l’idée est de recruter des gens qui ont envie de collaborer et d’utiliser cette force pour le recueil de l’information. Plutôt que de regarder le consommateur comme un rat de laboratoire, l’idée est de co-construire avec lui », explique-t-il.
Social listening
Le second enjeu est celui de l’intelligence de la donnée. Celle-ci est partout, sur les réseaux sociaux, dans les bases de données… « Aujourd’hui, on peut collecter l’information sans même avoir à poser de questions », résume Xavier Oliel, directeur France de Qualtrics, qui édite des logiciels spécialisés pour les études. Face à cette déferlante, « il y a un besoin accru de précision », tranche Lambert Lagrevol. Selon lui, le challenge des instituts consiste à « mettre en musique » ces données pour en « garantir l’intelligence ». Le social listening, qui apparaît aujourd’hui comme un « terrain » venant concurrencer celui, plus traditionnel, des instituts d’études, cherche lui aussi à gagner en finesse. C’est le travail qu’effectue par exemple Linkfluence. « Aujourd’hui, on est capables d’identifier les 5000, 10000 ou 15000 comptes sociaux qui influencent tel ou tel segment, par exemple celui des jeunes parents, et ces comptes peuvent être ensuite utilisés à la fois comme relais médiatique et comme panel d’observation », avance Guilhem Fouetillou, cofondateur de cette société de social listening au fort développement international.
Travailler en écosystème
La troisième tendance, le travail collaboratif avec les annonceurs, constitue peut-être, selon Lambert Lagrevol, « la plus grande bascule » pour les instituts. « Il s’agit de travailler autrement avec les clients, dans un processus plus itératif. Prendre un brief puis aller à un rendez-vous trois mois après, on ne procède plus comme cela », plaide-t-il, se défendant toutefois de devenir un « coach ». Dans cette manière d’opérer plus « collaborative », le client se voit associé au fur et à mesure de l’étude, ne serait-ce parce qu’une partie de la donnée est peut-être déjà disponible chez lui et qu’il serait dommage de s’en priver. « Il y a aussi une demande de nos clients de travailler en écosystème », relève Pierre Gomy chez Kantar. « Notre institut ne peut pas forcément répondre à tout et nous avons la capacité de fonctionner avec des start-up, des agences média ou créatives. On veut accélérer ce travail en écosystème avec l’ensemble des fournisseurs de nos clients en proposant nos plateformes comme système d’intégration », explique le dirigeant. Enfin, travailler en étroite liaison avec le client consiste parfois, tout simplement, à revenir aux bonnes vieilles méthodes, du moment qu’elles correspondent aux attentes des clients. « Les annonceurs sont moins dans de grandes envolées branding que dans des objectifs de vente à court terme. Dans ce cadre, l’analyse économétrique, qui permet de modéliser les investissements marketing et les ventes générées par lesdits investissements, effectue aujourd’hui son grand retour », remarque Barbara Vite, head of research and insights de Dentsu.