C’est une publicité que l’on n’aurait pas cru voir il y a encore quatre mois et dont aucun créatif n’avait sans doute imaginé le scénario. L'actrice Eva Longoria, ambassadrice de L’Oréal Paris, se filme au smartphone chez elle, dans sa salle de bains, en train d’utiliser un produit de la marque pour couvrir ses cheveux gris. Une minute trente, orchestrée par l’agence McCann Paris, qui symbolise la bascule que le secteur a connu en quelques semaines seulement. La crise en cours pose en effet la question de la manière de communiquer « après ». Et selon les communicants et les marques, rien ne sera comme avant. « La crise a ébranlé beaucoup de nos repères. Elle a révélé les limites de notre système et le besoin d’un monde plus humain, moins égoïste, plus tourné vers des choses vraies, dépeint Harold Bokobza, directeur général du groupe de communication Venise Group. Elle a été l’occasion d’un renversement de valeurs, d’une nouvelle ligne d’horizon, quelque chose à ensemencer pour ne pas retomber dans les travers du monde d’avant. »
Car la période représente, pour la communication, une occasion de s’interroger sur les changements déjà induits et ceux qui vont survenir, même s’il est impossible aujourd’hui de définir les usages qui perdureront et les pratiques qui s’éteindront avec le confinement. Quoiqu’il en soit, les consommateurs ne sont plus les mêmes. Ils demandent plus que jamais du sens. « Les attentes des consommateurs vont vers des marques plus solidaires, plus humaines, plus responsables et plus nationales mais aussi vers plus de sincérité et qui sont plus fidèles à leur raison d'être », expose Stéphane Bergny, directeur général d’Extreme Event au sein de l’agence de communication Extreme.
En mode « slow »
L’actualité, entre la problématique d’approvisionnement des magasins ou encore la question des masques venus de Chine alors que des usines françaises peuvent en fabriquer, les a sensibilisés aux coulisses de la consommation. Ils ont peut-être désormais un œil plus aiguisé sur la question de la production. L’enjeu du local est aussi plus que jamais sur le devant de la scène. Par ailleurs, avec la démocratisation du télétravail, certains freins digitaux sont tombés tandis que, en parallèle, le confinement a rappelé l’importance des rapports humains.
Dans ce contexte, la communication doit s’adapter. « Il faut réinventer la publicité en mode slow, estime Thomas Clément, vice-président de l’agence de contenus La Nouvelle. Recommencer la pub en mode moins fou, moins violent, en étant moins dans l’accroche, la quête de la punchline, davantage dans la ligne éditoriale. » Afin de construire, sur le long terme, la préférence de marque. « Nous rentrons dans une époque qui va bannir le plus au profit du moins et du mieux », estime Denis Gancel, président de l’agence de communication W et enseignant à Sciences Po Paris. Et cette perspective du long terme doit s’inscrire dans une vision. Pour les marques, « les prises de parole se ressemblent. Nous souhaitons arriver à la vision et à la stratégie. La crise conduit à un recadrage sur l’essentiel. Il faut recommencer à communiquer dans le cadre d’une vision », explique Marco Venturelli, président en charge de la création de l’agence Publicis Conseil.
Utilité, humilité
Ces approches pourraient changer à la fois le fond et la forme du message. Si les enjeux écologiques et RSE étaient déjà en progression, la crise a mis la problématique au cœur des enjeux des marques. « L’une des tendances lourdes est que l’on est beaucoup passé de la marque à l’entreprise, décortique Grégoire Weil, directeur général de Walk (agence W). Des marques que tout le monde connaissaient se sont révélées sous leur usage entreprise car elles ont fait des masques ou des gels hydroalcooliques (LVMH…) et ont organisé une forme de transparence en donnant à voir leurs process, leurs usines. » Autrement dit, la crise a mis l’accent sur une tendance déjà existante des marques à considérer - dans la lignée de la loi Pacte, ou avant - non seulement leur impact financier mais aussi, et surtout, leur impact extra-financier, la façon dont elles peuvent, en réalisant leur métier, qui reste leur rôle premier, servir le bien commun (lire Stratégies n° 2035).
Pour réussir, le discours ne suffira pas. Des preuves seront nécessaires. Certaines marques, ont déjà commencé. « Les marques ‘‘soignantes’’, dans l’empathie et dans l’action, dans le ‘‘solve’’ et pas le ‘‘sell’’, vont clairement tirer leur épingle du jeu », conceptualise Marion Darrieutort, présidente de l’agence de communication Elan Edelman. Parmi ces marques figurent, entre autres, celles qui apportent un service concret à la crise sanitaire. Cette dimension a, par exemple, émergé chez Burger King, dans sa fameuse campagne invitant à reconstituer chez soi son célèbre Whopper à l’aide d’ingrédients trouvables en grande distribution. « Il y a un recentrage sur l’humilité et l’utilité », synthétisent Benoit Bergeaud et Lucas Duquenne, respectivement président et planneur stratégique de l’agence de communication digitale 1969.
Autre mouvement qui se dessine : la crise pourrait accentuer la fin de la réclame et de la communication produit au profit d’une communication moins commerciale, plus corporate. « Nos clients évoluent dans la démarche et le message, témoigne Thomas Bevilacqua, dirigeant cofondateur de l’agence de publicité Orès. Il y a un avant et un après Covid-19. »
Une parole moins descendante
Ainsi, le discours axé produit, promotion, offre commerciale s’efface au profit d’un retour au sens, en lien aussi avec les préoccupations environnementales. Si c’était déjà le cas, la conscience collective se fait plus forte. Les différentes typologies de communication avaient déjà commencé à se rejoindre mais le phénomène pourrait s’amplifier. En parallèle, se dessine aussi un mouvement vers une prise de parole globalement moins descendante, où le consommateur serait davantage écouté. « Ce qui compte est de répondre aux besoins des citoyens et des consommateurs. Oui à la raison d’être lorsque c’est utile pour eux », explique Vincent Baculard, PDG du groupe de conseil et communication Rouge Vif.
« Lorsque Leroy Merlin sort son podcast spécial confinement, ce n’est pas pour parler de lui mais de l’habitat », illustre Guillaume Mikowski, président de l’agence de communication Brainsonic. Imaginé pour le temps du confinement, ce podcast permet de s’immerger dans la maison et la vie d’un confiné. Un contenu qui se veut proche des gens et de leurs préoccupations sans mettre en avant des produits. C'est aussi un symbole de cette démarche « conversationnelle » défendue par l’agence.
« Potes de confinement »
Cette nécessité d’écoute inspire d’autres marques, qui trouvent des solutions pour communiquer autrement. C’est le cas de Materne. Avec l’agence La Nouvelle, le fabricant de compotes a imaginé un dispositif basé sur une story Instagram autour du mot « confipotes », apparu sur les réseaux sociaux pendant la crise et rebondissant sur ce qui était à l’origine un nom de marque (sans « s ») mais devenu pour le grand public un synonyme de « potes de confinement ».
Enfin, sur la forme, la production a été modifiée. L’impossibilité d’organiser des tournages, de se réunir en plateau oblige à réfléchir la création autrement. Cette période de confinement a montré qu'il était possible de réaliser un film publicitaire avec des moyens limités, par exemple au smartphone. « On se redirige vers du plus authentique, avec moins de moyens techniques et des codes différents », illustre Thomas Bevilacqua. De quoi, peut-être, redonner de l’importance au fond et à la dimension de service potentiellement contenue dans le message. Sans pour autant créer une nouvelle norme mais en ouvrant un potentiel terrain de jeu pour la suite.
« Une forme de réconciliation avec les entreprises s’est enclenchée »
Mercedes Erra, fondatrice et présidente de BETC, présidente exécutive de Havas Worldwide
« Dans la foulée de la crise sanitaire, la crise économique met tout le monde à l’épreuve. Elle risque d’entraîner chômage, baisse du pouvoir d’achat et pauvreté. Nul ne sait encore vraiment à quel point elle va être violente. Dans cette dureté-là et face à l’incertitude, la communication est fondamentale à plusieurs titres.
Les gens sont inquiets donc ils économisent, en particulier en France. Cette anxiété pèse sur la demande. Or la reprise n’aura pas lieu si la demande est durablement en berne. Le levier de stimulation de la demande qu’est la publicité sera indispensable pour renouer avec l’activité. Avec l’Union des marques, en lien avec l’AACC et l’Udecam, et beaucoup d’autres, la filière appuie les mesures qui encouragent les entreprises à investir en communication. Un signe positif est qu’une forme de réconciliation des Français avec les entreprises s’est enclenchée durant le confinement : les entreprises qui ont répondu « présent » et l’ont fait savoir, celles qui ont continué à communiquer, comme Ferrero, ont marqué des points.
Par ailleurs, le corporate ne cesse de prendre de l’importance. La demande de sens vis-à-vis des entreprises monte. La crise du Covid-19 accentue le phénomène. Cela va continuer mais avec un thème plus précis : la façon dont les entreprises rendent accessibles leurs produits et services, en lien avec la thématique du pouvoir d’achat, qui va redevenir une des grandes priorités.
Enfin, avec la notion de « care », le fait d’être ensemble est une valeur qui peut remonter fort dans la communication. Comme dans la dernière publicité de Crédit Agricole. »
« Je ne pense pas que le digital va être une solution »
Richard Attias, fondateur et président exécutif de Richard Attias & Associates, agence internationale de conseil en communication
« A chaque crise (guerre du pétrole dans les années 90, 11 septembre 2001, crise financière de 2008-2009), les annonceurs et les entreprises ont amputé leurs initiatives. Le contexte était différent car il n’y avait pas de risque physique. Il faut que les entreprises se réinventent pour traverser les périodes dans lesquelles les revenus s’effondrent. En 2020, le confinement empêche de faire du business comme d’habitude. Cela va changer les codes de la communication. Certains sont convaincus que le digital va être une solution. Je ne le pense pas. Au bout de deux mois, l’ensemble des collaborateurs, clients et fournisseurs n’en peuvent plus d’être dans un monde virtuel.
Nous allons passer par deux phases. La première durera probablement jusqu’à la fin de l’année, où le secteur va se chercher. Toutes les composantes du mix marketing vont tâtonner avec les clients, car personne n’a la réponse. Nous allons voir quels projets, actions, outils vont correspondre à cette période bâtarde et chaotique. Aux Etats-Unis, des élections présidentielles arrivent. Certaines décisions seront otages de ces élections. En 2021, nous risquons de revenir à ce que l’on faisait avant, probablement en introduisant un peu plus de virtuel. Une partie de ces changements a commencé en 2008. Je ne vois pas comment une marque peut ne pas avoir envie de partir à la rencontre de ses consommateurs. Il est impossible que le digital remplace les rapports humains. Ce n’est pas pour rien que les marques sponsorisent, par exemple, des événements sportifs. L’engagement avec sa base de consommateurs est fondamental. Le digital va compléter le physique. »