Adieu Coachella, Festival de Cannes et défilés de mode. Pour les influenceuses habituées à être couvertes de cadeaux et d’invitations, la crise du Covid-19 a marqué un coup d’arrêt. Mais passée la sidération, le secteur a montré sa capacité à rebondir. À Milan, Chiara Ferragni (près de 20 millions d’abonnés sur Instagram) est passée sans transition du glamour au drame lorsqu’elle a posté le 11 mars un selfie avec un masque sur le visage pour expliquer la gravité de la situation. Dans le même temps, elle lançait un appel aux dons qui a permis de lever plus de 4 millions d’euros pour financer des services de soins intensifs. « C’est le pouvoir des médias sociaux quand ils sont utilisés de la bonne façon », a-t-elle écrit. Elle a depuis repris ses publications à base de mode, de pizza maison et de photos de son fils. « Chiara Ferragni a très bien géré la crise, commente Camille Olivier, cofondatrice de l’agence Ctzar. Elle vit à Milan, la première zone touchée en Italie, elle est elle-même confinée, elle a tenu un discours très cohérent pour inciter les gens à rester chez eux et à donner de l’argent pour les hôpitaux. Cela montre que quand on est transparent et honnête avec ses followers, on peut continuer à exercer son activité d’influenceur. »
Métier d’image souvent taxé de superficialité, l’influence pouvait sembler être en décalage avec l’actualité dramatique. Elle s’est pourtant montrée à la hauteur de la crise sanitaire. Si ce n'est pas « business as usual » pour les 150 000 influenceurs français, ils ont toute leur raison d’être dans une période en attente de proximité et de solidarité. Challenges sportifs, concerts, cours de cuisine, tutoriels de coiffure, appels aux dons, lutte contre les fake news, les contenus abondent pour occuper le confinement et soulager les professions en première ligne. « La crise démontre plus que jamais la puissance de l’influence », poursuit Camille Olivier. Et le public en redemande, car il est ultra-connecté : +70% de trafic sur internet et +61% d’engagement sur les réseaux sociaux dans les pays en confinement, selon une étude mondiale Kantar publiée en mars. WhatsApp, Facebook et Instagram en particulier ont connu une progression de plus de 40 % chez les 18-35 ans. Chez les plus âgés, Pinterest fait une percée sur les recherches de recettes de pain maison ou de conseils de jardinage.
Appels aux dons
« Les requêtes sur Pinterest ont augmenté de 60% pendant le confinement par rapport à la même période de l'année dernière », a noté Guillaume Doki-Thonon, président de l’agence Reech. « L’audience est là mais les influenceurs se sont demandés s’ils étaient légitimes pour relayer les messages sanitaires, soulève Pascale Azria, présidente du Syndicat du conseil en relations publics et directrice générale de Kingcom. Ils ont tout simplement posé la question à leur communauté. Certains font des appels aux dons, d’autres divertissent, d’autres encore se sont mis en pause pour des raisons personnelles. Tout est légitime si c’est en cohérence avec les attentes de la communauté. »
Comme en Italie et aux États-Unis, l’aspect caritatif est très présent chez les influenceurs en France. Le 29 mars, Léna Situations a lancé un appel aux marques sur Twitter pour livrer des crèmes pour les mains aux personnels soignants ; le 2 avril, McFly et Carlito ont organisé un « maradon » de 11 heures sur YouTube, qui a recueilli 400 000 euros pour les hôpitaux ; le 22 avril, le chanteur Dadju a animé un live sur Instagram qui a permis de lever 200 000 euros. Face à la multiplication des contenus, la plateforme s’est adaptée en allongeant la durée des lives jusqu’à deux heures et en permettant de les suivre sur ordinateur.
« Les communautés sont en attente de ce type d’échanges à la production beaucoup plus légère qu’une émission de télé, relève Guillaume Thevenin, responsable des partenariats médias et personnalités publiques pour Instagram France et Europe du Sud. Le nombre de vues sur les lives a doublé sur la période, et de nouveaux créateurs ont émergé : Just Riadh (2,5 millions d’abonnés) et Vargass (1,6 million) discutent avec leur communauté, [l'acteur] Ary Abittan a organisé des apéros tous les soirs et a enregistré une augmentation de ses abonnements… Si on tient un rendez-vous récurrent, avec des publications régulières, on peut toucher de nouvelles audiences. » Inversement, « si l’on poste moins régulièrement pendant cette période particulière, l’algorithme d’Instagram va réduire la portée des futurs posts », prévient Marine Granger, consultante outreach & influence chez iProspect. Et si l’audience n’est pas forcément monétisée actuellement, elle est potentiellement porteuse de conversion future.
Pour les publications sponsorisées qui continuent, les contraintes de la distanciation suscitent une nouvelle créativité. Les marques de mode demandent à leurs mannequins de se photographier chez elles, comme Zara ou Boohoo, ce qui donne lieu à des images plus naturelles. La top influenceuse Bella Hadid (30 millions d’abonnés sur Instagram) a organisé une séance photo via FaceTime pour Vogue Italia, avec la photographe Brianna Capozzi à distance. En France, Ferrero avait prévu une opérations pour Pâques avec douze influenceurs. « Nous avons contacté chacun d’entre eux pour savoir s’ils étaient partants pour continuer, explique Léa Bernardi, senior influence manager chez Elan Edelman, qui a géré l’opération avec l’agence Zeno. Nous avons réadapté le plan initialement prévu en créant un partenariat avec l’association Voisins Solidaires. Certains ont participé en offrant des chocolats à leurs voisins, d’autres ont imaginé des activités manuelles avec les enfants. C’était une façon de fêter Pâques autrement. »
L'alimentaire, propice aux partenariats
« Actuellement, on gère des campagnes autour de l’univers des marques plus que sur des produits : la lecture avec Robert Laffont, l’apéritif avec Petit Navire, le Ramadan avec Isla Délice, le nettoyage de la maison avec Spontex », témoigne Guillaume Doki-Thonon, de Reech. Si l’alimentaire se prête aux partenariats car la cuisine est une activité parfaite de confinement, un autre secteur est en plein boom pendant la crise, celui des applications d’albums photo. « Notre client Cewe mène des jeux concours sur les réseaux sociaux pour gagner un livre photo. Les gens ont le temps de trier leurs clichés, la fête des Mères arrive et les livraisons continuent », souligne Marine Granger, d’iProspect.
Pour les secteurs à l’arrêt comme le voyage, il faut s’attendre à une reprise sous le signe du tourisme en France. Les influenceurs voyage, comme Bruno Maltor, profitent de la période pour proposer des publications « throw back » (souvenirs de séjours passés) ou organiser des débats afin de maintenir le lien avec leur communauté. Le retour à l’activité sera d’autant plus facile que la relation n’aura pas été rompue. « On est dans un temps de pause par rapport à une logique commerciale. C’est l’occasion d’être dans l’écoute et l’échange », estime Pascale Azria. Cela vaut pour les marques comme pour les hommes et femmes sandwich des réseaux. « Les influenceurs se sont humanisés pendant la crise, ils sont plus natures. Certaines jeunes femmes partagent leurs coups de mou, comme You Make Fashion, on peut s’identifier à elles », affirme Agathe Nicolle, de l’agence Woô. « Une tendance qui émerge sur les réseaux sociaux, c’est d’être moins dans la recherche de perfection, de davantage s’autoriser à confier ses faiblesses, renchérit Camille Olivier, de Ctzar. Il y a une lassitude d’une communication basée sur l’image. » Serait-ce l’aube d’une remise en question d’un modèle fondé sur le narcissisme, au profit du collectif et de l’altruisme? Le déconfinement le dira.
Chiffres clés
+61% Augmentation en mars du taux d’engagement sur les réseaux sociaux dans les pays en confinement, selon Kantar.
150 000. Nombre d'influenceurs en France (7 millions dans le monde). La moyenne du nombre d’abonnés en France est de 50 000, d'après Reech.
1 600. Nombre de campagnes sponsorisées en moyenne sur Instagram. Le nombre est tombé à 1 300 la première semaine de confinement, avant de retrouver son niveau habituel, estime Reech.