Prenez un professionnel des relations publics, évoquez avec lui l’émergence des influenceurs dans l’univers de la communication ces dernières années et laissez agir pour en observer les premiers effets… Un petit sourire, une pointe d’agacement contenu et un bref rappel historique : non, les influenceurs ne sont pas nés avec le digital, mais avec les premiers leaders d’opinion. Sans aller jusqu’à faire de l’influence l'un des plus vieux métiers du monde, sa prise en charge par des professionnels précède largement la révolution digitale. «L’influence n’est que l’appellation contemporaine de notre métier de PR, souligne Thomas Marko, président de l’agence Thomas Marko & Associés. Elle s’est d’abord exercée dans un cadre corporate, sur des sujets institutionnels, politiques, économiques et sociétaux, puis s’est étendue à des sujets plus commerciaux, où les marques s’adressent à un client final, et qui sont plutôt traités par ceux que l’on appelle les “influenceurs” via le marketing d’influence.» Une explication qui, loin d’exclure cette dernière catégorie du champ de compétences des agences la remet à sa place : celle d’une nouvelle typologie de leaders d’opinion pouvant, a priori, être traitée comme toutes les autres (journalistes, hommes politiques…).
Complémentarité
Sans surprise, les pure players nuancent le propos. Après avoir récupéré, dédiabolisé et digitalisé les notions d’influence et d’influenceurs, délaissées par les PR car trop associées à la manipulation, ils en ont fait les marqueurs de leur territoire. «L’influence est une activité proche, mais surtout complémentaire des RP car elle nécessite une expertise différente, explique Cyril Attias, fondateur de l’Agence des médias sociaux. L’influence ne doit pas être confondue avec les e-RP. Alors que les agences RP s’attachent à relayer les contenus auprès de publics cibles, les pure players créent en collaboration avec les influenceurs.» Un point de vue que partagent généralement les professionnels des RP, comme le rappelle Douha Cherif, cofondatrice de 3iCom : «Si la notion d’influence est fortement portée par notre métier, et que les deux univers ont pour trait commun la nécessité de convaincre un public, les règles du jeu ne sont pas les mêmes. En B to B par exemple, les journalistes sont souvent les influenceurs, ce qui n’est pas le cas en B to C. Ils ne jouent pas avec les mêmes cartes que les influenceurs en digital. Pour ces derniers, nous préférons nous appuyer sur un pure player. Nous faisons de l’influence, mais nous ne travaillons pas directement avec les influenceurs.»
Il s'agit de leaders d’opinion certes, mais qui ne correspondent pas aux standards des profils généralement traités par les agences. «Après avoir considéré qu’engager les influenceurs pouvait relever des compétences de consultants RP, nous avons dû reconnaître que nous nous étions trompés, indique Julien Monet, président de Monet + Associés. L’influence est devenue un département spécifique, où évoluent des consultants spécialisés, qui travaillent en synergie avec les autres départements. Les mécaniques sont trop différentes, elles intègrent parfois la création de contenus et la rémunération des influenceurs, la mise en place d’une relation contractuelle assortie de KPIs digitaux…» Cette approche de paid media n’entre initialement pas dans le champ de compétence des agences RP, mais ces dernières ont su évoluer en intégrant des expertises data, digital mais aussi créatives.
Earned first
«Traditionnellement, les agences de RP restent plutôt à l’écart du paid, ce qui n’est pas problématique, la tendance actuelle replaçant le earned au cœur de la performance, reconnaît Marc Chauchat, directeur général de Burson Cohn & Wolfe. Notre métier aujourd’hui est donc de faire du earned first en mettant en avant des expertises propres : la connaissance fine des parties prenantes, la création de contenus engageants intégrant des insights forts et des ressorts d’amplification, et le développement d’une vraie relation avec les différents profils d’influenceurs.» Le earned d’abord, donc, mais pas seulement ! D’autant plus que le paid reste une notion encore peu encadrée, qui peut parfois se rapprocher d’un dispositif RP traditionnel. Ainsi, pour stimuler la consommation du Pumpkin Spice Latte, sa boisson phare, Starbucks et son agence Elan Edelman ont mis en place un dispositif présenté comme 100 % earned media en mobilisant trois catégories d’influenceurs (macro, middle et micro) : «Nous leur avons simplement demandé de travailler à leur manière sur le format IGTV [la chaîne vidéo d'Instagram] autour du thème “Je suis en PLS, il me faut mon PSL” (Pumpkin Spice Latte), explique Léa Bernardi, senior influence manager chez Elan Edelman. Les trois IGTV ont généré une audience cumulée de 780 000 vues sans autre rémunération que la possibilité pour les influenceurs d’aller déguster le produit en magasin.»
Prérequis
Plus facilement envisageable avec des instagrameurs pour qui l’influence n’est pas (encore) le métier, la stratégie manque en revanche d’arguments pour les professionnels du secteur pour qui la rémunération est un prérequis. «Les grands influenceurs sont devenus des égéries de marques, ils se doivent de limiter leurs collaborations commerciales et veiller à leur image, tempère Axel Thomasset, directeur associé d’Havas Paris. Pour rester caution, ils doivent être exemplaires, notamment en s’investissant sur la création de contenus responsables.» C’est ainsi que l’agence a embarqué EnjoyPhoenix pour soutenir le WWF dans le cadre d’une campagne de sensibilisation après qu’un parc naturel de Californie a été ravagé par l’afflux de visiteurs influencés par des posts sur Instagram. Elle invitait les vacanciers à respecter les espaces naturels qu’ils visitaient en ne rendant pas publique leur position au profit d’une géolocalisation générique «I Protect Nature». De quoi augmenter le capital image !
Si le paid media n’est pas la priorité des agences RP, aucune ne s’interdit d’en user. Et pour cause : «L’influence est un vecteur de RP, précise Johanna Pons, directrice associée de l’agence Proches. Quand une vidéo est virale, elle engage et finit par être reprise dans les médias.» Et si bon nombre de campagnes intègrent désormais un volet paid media pour générer du earned, il peut encore arriver que la viralité se passe des services des influenceurs, à l’image de la campagne Innocent, pour relancer l’intérêt autour du Tricothon, l'opération de collecte de fonds de la marque de boissons. Conseillée par FHCom, celle-ci a travaillé sur la constitution d’une chorale de salariés pour soutenir les Petits frères des pauvres en chantant pour les personnes âgées isolées. «C'est une initiative pleine de sens pour les collaborateurs d’Innocent qui a su toucher la plupart des matinales radio, qui ont relayé l’opération, précise Felipe Canto Forest, codirecteur de FHCom. Dans ce contexte et d’une manière générale, la valeur ajoutée d’une agence n’est pas son carnet d’adresse mais l’usage qu’elle en fait pour servir la crédibilité de marques auprès des relais d’opinion.»
Philippe Lucas, président de Wellcom, ajoute : «Notre rôle d’agence est d’abord de travailler en earned et c’est ce qui nous différencie des pure players digitaux qui ne pratiquent que le paid. Le propre de l’influence est de s’imposer naturellement, pas contre une rémunération. Ce n’est possible que si le message a du sens, s’il explique le pourquoi à l’opinion qu’il souhaite amener à changer.» À terme, ceci pose un certain nombre de questions, à commencer par celle de la pérennité du statut d’influenceur professionnel, digital et payant, quand bien même il afficherait quelque conviction dans le message qu’il transmet ou sur le produit qu’il recommande. «Si les influenceurs en tant que tels restent des acteurs de la réputation, l'influence doit se placer à un niveau plus consistant, avec des acteurs crédibles, qui ne sont pas “sous influence”», conclut Charles de la Rochefoucauld, président de ComCorp.