« Je ne suis pas trop dans le mood fin de carrière, confie Hélène de Saint-Loubert, directrice générale de l'agence de communication indépendante Grenade & Sparks. 40 % de nos collaborateurs ont moins de 29 ans. » Story Jungle, SensioGrey… Toujours le même écho (ou presque). Les débats sur le report de l'âge légal de départ à la retraite n'y changent rien : on ne viellit toujours pas dans la pub. Vincent Buffin, président de Ketil media, régie publicitaire indépendante, évoque le récent départ de Sylvie Lefort, sa directrice commerciale TV & numérique après quarante ans passés dans la sphère publicitaire. Un contre-exemple.
Car la tonalité générale n’est pas à la longue durée. La pyramide des âges du secteur en témoigne : une base resserrée pour les moins de 25 ans, une explosion entre 25 et 35 ans... Et un rétrécissement pour les plus de 46 ans, avec seulement 23% des femmes en emploi en 2018 et 30 % pour les hommes. Et, les 56-60 ans ne représentent stricto sensu que 6,5% des effectifs (hommes et femmes confondus). En 2018, l’âge moyen des professionnels est de 38 ans. Cette vue d’ensemble masque toutefois des distorsions entre régies, annonceurs et agences. Quand les premiers ont une population hétérogène, « beaucoup d’agences achètent des jeunes au kilomètre », comme dit Edouard Pacreau, co-fondateur d’Altman+Pacreau.
« La question de la gestion des fins de carrière prend toute son acuité pour les créatifs, explique Gildas Bonnel, président de Sidièse, agence spécialisée dans la communication sur le développement durable. Ce sont des compétences qui vieillissent vite. Quand on prend un directeur artistique ou design de 50 ans et plus aujourd’hui, il est allé à l’école Letraset (caractères transfert) pour faire les titrailles. La responsabilité sociale des entreprises est énorme pour réfléchir à la manière dont on fait évoluer nos collaborateurs. L’évaporation est énorme. Passé le cap des 45 ans, ils disparaissent. Il faut trouver la trappe. Mais, le phénomène n’est pas nouveau, commente celui qui est aussi le président de la commission RSE au sein de l’AACC. L’érosion en haut de la pyramide des âges résulte de deux mâchoires que sont les pressions financières et technologiques ».
Pour autant, inutile de se précipiter pour coiffer communication et publicité d’un bonnet d’âne. « C’est un problème culturel dans l’Hexagone, souligne Benoit Serre, vice-président de l’Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH). Tout le monde s’agite pour les jeunes. Mais, d’autres problématiques se posent. Avec un taux de 55 %* des seniors en activité, la France fait figure de mauvais élève en Europe, derrière l’Allemagne (70 %) ou bien encore la Grande-Bretagne (60 %). L’effort est assez peu porté par l’Etat. Jusque-là, on n’entendait pas grand monde en parler. C’était même un non sujet.»
Des mentalités à faire évoluer
2020 devrait peut-être faire évoluer la situation, avec la remise -le 20 janvier dernier- à la ministre du travail, Muriel Pénicaud, d’un rapport Bellon-Meriaux-Soussan sur l’accès à « l’emploi des travailleurs expérimentés ». Une quarantaine de pistes de réflexion ont été livrées. « L’intérêt pour le sujet monte, confirme Marc Boulay, consultant senior chez Willis Towers Watson, cabinet conseils. Ce n’est pas massif, mais un frémissement est perceptible. » Et à juste titre. « Une étude réalisée à l’automne dernier sur près de 150 000 salariés en France, dans 61 entreprises, décortique les aspirations des 55 ans et plus, poursuit-il. Ils se disent davantage prêts à travailler (+4 % par rapport aux autres tranches d’âge), plus résistants au stress, et plus fidèles (13 points de plus). Ils font état d’une meilleure compréhension des attentes des entreprises. Dans la recherche de talents, ce n’est pas la population qu’on allait chercher habituellement. Le regard du marché doit changer. » Les quinquas et plus, futurs alliés de la performance en entreprise ?
L’enjeu de la formation
« Si l’Etat développe des politiques de formation volontaristes en direction des jeunes avec l’apprentissage ou bien encore en faveur des demandeurs d’emploi, souligne Sophie Crespy, conseiller stratégie et développement du CESI, les seniors en activité ne sont pas pris en compte. Il va falloir faire bouger les lignes. » Et il n’est pas question ici des sessions de préparation à la retraite comme le proposent Cegos, Comundi ou autres Elegia, acteurs de la formation continue.
Selon une toute récente étude, sortie le 27 janvier, signée de l’Institut de sondages BVA pour Visiplus academy, acteur de la formation professionnelle en ligne, 77 % des actifs de plus de 50 ans déclarent ne pas avoir suivi de formation dans les douze derniers mois –c’est 15 points de plus que l’ensemble des actifs-. Et ils sont 77 % aussi à n’avoir entamé aucune démarche pour décrocher une formation en 2020. Pourtant, la transformation des métiers s’accélère. Selon l’OCDE, 14% des emploi font face à une probabilité élevée d’automatisation et 32% des emplois devraient connaître des changements importants. « Pourquoi ne pas leur proposer des cursus qui valoriseraient l’expérience acquise et inviteraient à la mise à jour de connaissances, poursuit Sophie Crespy. Le diplôme n’a alors pas d’importance. Le catalogue des prestataires devront changer pour maintenir les seniors dans l’emploi. On y réfléchit d’ailleurs. »
La formation est l’un des leviers de l’engagement. Un message bien compris chez Gifi, discounter créé au début des années 1980. Sur les trois derniers mois, 23 salariés de plus de 55 ans de la centrale de Villeneuve-sur-Lot (Lot-et-Garonne) ont bénéficié d’une formation. Et ils sont 18 dans le réseau des magasins. « Notre attention ne doit pas se porter que sur les seules générations X ou Y, souligne Thierry Boukhari, délégué général du discounter, mais sur toute la population de l’entreprise… qui ne fait pas de bruit. »
Des dispositifs méconnus
Gifi, un exemple isolé ? Si la loi de financement de la Sécurité Sociale de 2009 impose aux entreprises de plus de 50 salariés la mise en place d’accords en faveur des séniors, le chemin est encore long. D’après une étude Harris interactive pour Malakoff-Médéric-Humanis publiée en juin 2019, seuls 21% des dirigeants interrogés déclarent que leur entité a développé des actions spécifiques concernant l’allongement de la vie professionnelle et les salariés de plus de 45 ans. « La réponse apportée par les entreprises se limite souvent à la chaise ergonomique pour travailler la posture, constate Amélie Arcile, co-fondatrice de Partagersontemps, agence dédiée à la transition vers la retraite. Or, des dispositifs existent déjà, mais ils sont méconnus. » Leurs noms : cumul emploi-retraite ; retraite progressive ; temps partiel ; mécénat de compétences. Sans oublier le mentorat , auquel on a parfois un peu facilement préféré le reverse-mentoring. « Le monde d’avant a dévalorisé ces collaborateurs, regrette David Mahé, fondateur du cabinet Human & Work, administrateur du Syntec conseil. Il a surinvesti sur une population pas encore dans l’entreprise pour sous-investir sur celle déjà en son sein. Le leitmotiv doit être maintenant l’inclusion, avec quatre générations au travail. »
L'e-formation en fin de parcours
31 mars 2020. Une date importante pour Daniel Maribas, salarié chez Gifi depuis 26 ans. Tour à tour salarié en magasin, puis responsable de secteur, puis responsable ouverture, il termine sa trajectoire professionnelle comme e-formateur. Des virages assurés grâce aux formations dispensées par le discounter du Lot-et-Garonne. L’avant dernière ? Il y a cinq ans pour apprendre à concevoir les modules de formation à distance. « Et ma dernière année a été consacrée à la transmission de mes compétences à mes collègues, raconte Daniel Maribas. C’est très valorisant. » Sa dernière formation ? C'était il y a quelques semaines. Elle a duré neuf jours. « L’entreprise m’aide pour mon futur projet, une fois mon activité professionnelle terminée. Je vais m’investir dans la gestion d’une association culturelle. Coût pour l’entreprise : 2 400 euros + 9 jours de travail + huit nuits d’hôtel. »