On ne connaît pas forcément votre parcours…
Je suis née en 1969, sur le port de Toulon, comme beaucoup d’enfants de militaires. Je suis une Parisienne d’emprunt mais je rêve du midi profondément, j’y suis très attachée. J’ai fait mes études à la Maison d’éducation de la Légion d’honneur, puis une formation littéraire et un magistère de communication au Celsa, avant de démarrer au bureau de Paris du Parlement européen. Je fais partie d’une génération plutôt militante sur l’Europe. J’ai travaillé sur deux commissions, la commission cinéma et la commission famille. Un jour, le patron du bureau de Paris me dit : « Il y a un nouveau métier qui pourrait t’intéresser, ça s’appelle planneur stratégique et ça vient d’Angleterre, et on le pratique dans les agences anglaises… ». Donc, me voilà partie pour Saatchi & Saatchi. À l’époque, il faut savoir que la patronne de Saatchi était Mercedes Erra, mais quand je suis arrivée, Mercedes était partie depuis 15 jours… C’est Valérie Accary [aujourd’hui présidente de BBDO France et de CLM BBDO] qui m’a recrutée. J’ai tout de suite beaucoup aimé le planning stratégique. Il me permettait de concilier ce qu’on sait assez bien faire quand on a été formé comme un littéraire, tout ce qui est du domaine de l’analyse et de la synthèse.
Le début de votre carrière s’est fait dans des agences anglo-saxonnes…
J’ai fait un long passage chez Omnicom, douze ans entrecoupés par un passage chez Young & Rubicam, chez CLM BBDO, avec Anne de Maupeou [aujourd’hui directrice de la création de Publicis France], Valérie Accary. On gérait Pepsico à l’international, c’était l’époque de la saga France Télécom, « Nous allons vous faire aimer l’an 2000 », de la saga Kookaï avec Valérie Larrondo [aujourd’hui directrice de création et fondatrice de Mlle Noï]... Un jour, Christophe Lambert [aujourd’hui disparu, ex-PDG de CLM BBDO] m’a demandé : « Tu ne voudrais pas faire du new biz ? ». J’ai toujours eu un parcours à mi-chemin entre le planning et le new business.
Comment êtes-vous arrivée chez BETC ?
Quand Raphaël de Andréis [aujourd’hui CEO Havas Village France/Chairman Havas Creative South of Europe] est parti à Canal +, Rémi Babinet [président et fondateur de BETC] et Mercedes m’ont appelée. Moi qui n’avais jamais connu d’agence française, je me suis interrogée : est-ce que la greffe va prendre ? Mais ce qui est important, c’est la culture d’agence. Mercedes, Rémi, Stéphane [Xiberras, directeur de la création et président de BETC] et moi, on partage la même culture de l’exigence, de la stratégie et du sens. Ce sont des gens qui passent des années à creuser un sillon, créer une marque comme une maison, et à lui donner de la valeur sur tous les points de contact, qu’il s’agisse du packaging, d’une activation digitale, d’un événement… On s’est adoptés très vite.
Comment avez-vous appréhendé la culture BETC ?
J’ai choisi cette agence sur une grande idée de ce métier. La création peut changer le monde, je le crois fondamentalement. Via la création, tu peux rendre émotionnel du rationnel. Quelle est la prise de judo à faire ? Comment tu renverses une perception ? Pour moi, une des plus belles campagnes de cette agence – et je le dis d’autant plus facilement que je n’y ai pas participé –, c’est la campagne anti-tabac « Maintenant, vous savez », pour l’Inpes (2002). Qu’est-ce que cette campagne si ce n’est un changement de perception d’un produit via un acte de création ?
Cette agence passe son temps à tisser des liens entre l’univers de la culture et l’univers de la création, par la musique, par le design, par les réalisateurs, les photographes, la danse : les Chemical Brothers, Phoenix, le Passage du désir… C’est une agence qui établit des liens entre le milieu de la culture et celui du commerce et de l’industrie. On appartient aux industries de la création, c’est comme ça que le ministère nous a affiliés… BETC a grandi à un rythme fou : + 7 à 8 % par an. Cette année, on fait encore +6% de croissance organique. L’agence s’est développée avec deux grandes visions : la qualité avant le prix, le développement avant la rentabilité.
Comment définiriez-vous l’héritage de Mercedes Erra ?
Le sens, l’exigence, la création, le courage, l’honnêteté. Dire « ça on l’a bien fait, ça, on ne l’a pas bien fait »… Cette agence n’est jamais satisfaite d’elle-même. Pour ma part, je crois beaucoup à la preuve par les faits. Je peux citer les clients que je gère depuis le début. C’est Lacoste, c’est Canal+, c’est Air France, c’est Bouygues Telecom, c’est Michelin, Citroën, Leclerc… Mes clients, je les aime profondément. On croit à la même chose : la fidélité, l’engagement. L’héritage de Mercedes, c’est ça : l’engagement à tous les sens du terme. Mercedes, c’est quelqu’un qui a une empreinte sociale, une empreinte dans la vie des femmes, sur l’immigration, une empreinte managériale...
Comment s’est fait le passage de relais ?
Les collaborateurs savaient depuis juin. C’est venu progressivement, naturellement. Avec Mercedes, on passe notre vie à s’appeler... Une fonction, souvent, il vaut mieux l’avoir portée avant de l’avoir prise. Cette nouvelle fonction venait acter quelque chose qui était déjà en action.
Comment va s’articuler votre nouveau rôle avec celui de Mercedes Erra, partie se consacrer au développement international ?
Mercedes, elle ne va pas partir, heureusement ! Parce que vu la taille qu’on fait, plus de 1000 collaborateurs et plus de 150 clients, il vaut mieux qu’on soit un certain nombre ! Nous ne croyons pas tellement aux mécanismes de supervision. Soit tu connais les dossiers, tu sais où en est ton client, ton marché, soit tu ne sers pas à grand-chose. Je ne connais personne qui va déjeuner avec le patron d’une entreprise comme Bouygues Telecom et qui ne connaît pas sur le bout des doigts toute l’actualité de son client ! Les gens qui ont beaucoup de talent dans ce métier, s’ils s’occupent très bien de dix clients, c’est parfait. On a une règle avec Mercedes : pas plus de deux budgets pour les commerciaux juniors. Ils doivent apprendre ce qu’est un marché, ce qu’est la communication concurrente… Je me souviens, quand j’ai débuté, on me demandait : c’est quoi le prix du Fjord ?, c’est quoi le prix du concurrent ?, et si tu savais pas répondre, tu sortais de la salle… Dans ce métier, on est dans le tangible.
Quel est votre type de management ?
Mercedes et Rémi m’ont toujours dit, « les talents, c’est du développement ». Je crois fondamentalement à ça. Si tu ne recrutes pas de talents, les gens s’épuisent, n’ont plus le temps de se ressourcer, de créer des choses. Il se trouve que ça m’intéresse d’organiser les choses, d’organiser les talents. Je crois aux légumes, mais je crois à la soupe. Je crois au talent : qu’est-ce que les gens aiment faire ? En quoi peuvent-ils être décisifs ? Ça, ce sont les légumes. Après, il y a la soupe : qui on met ensemble pour que créer le meilleur mélange possible ? Ce métier se fait bien par affinité. Il faut laisser une part de liberté aux gens pour se renifler, s’approcher… Est-ce que tu as envie de travailler avec moi ? Est-ce que je suis inspirant pour toi ? Dans cette agence, les gens se cooptent. Comme on est nombreux, c’est autant de possibilités de soupes différentes ou en tout cas d’assemblages différents. Dans cette agence, je suis comme dans un magasin de bonbons. J’ai énormément de plaisir à travailler avec les uns et les autres. Ça peut être un débutant au planning ou un junior au commercial… C’est ça, la fraîcheur de ce métier. J’ai la banane quand je retrouve les gens avec lesquels je travaille tous les matins. Mercedes, ce qu’elle me confie, c’est le management des talents, la capacité à en repérer de nouveaux.
Quels sont les principaux enjeux pour BETC ?
Emmener BETC à l’international. J’adore ça ! J’ai fait beaucoup d’agences internationales, j’ai grandi là-dedans, je n’ai pas peur et j’adore la compétition. Pour Michelin, on est allés à Chicago, on est allés à Shanghai... Je trouve ça super excitant. On se développe à partir de nos clients. Parfois on s’appuie sur Havas, parfois on envoie des équipes, comme à Chicago ou en Asie en tant que garantes de la qualité et de l’exigence de BETC, comme Christophe Pradère, PDG de BETC Design. Nous sommes présents à LA, Londres, au Brésil, à Shanghai... Stéphane Xiberras est patron de toute la création d’Havas et aide les agences à développer des pôles d’excellence créative. Les clients achètent de moins en moins un réseau, ils achètent des talents à des endroits-clés.
L’autre enjeu de notre métier, c’est d’accompagner les transformations de la société. Parce que la création, ça façonne des imaginaires. Ce qui est en jeu aujourd’hui, c’est l’évolution de la société de consommation vers une société un peu plus harmonieuse entre nature et consommation, avec des enjeux considérables. Tous les jours, en tant que publicitaire, on est mis à contribution. J’espère bien être un accélérateur de cette transformation.
Comment comptez-vous incarner l’agence ?
Avec Mercedes, Rémi et Stéphane, nous sommes avant tout une équipe. Ce que fait collectivement BETC me procure énormément de satisfactions personnelles. Je crois que les talents s’additionnent et ne se soustraient pas. Ma contribution, elle est du côté de mes clients. Dans le management, il faut s’oublier un peu. Je crois beaucoup à l’humilité et au fait de ne pas beaucoup parler de moi. Ces derniers mois, j’ai fait le maximum, et pendant deux ans, il faut que j’arrête. Je ne m’intéresse pas suffisamment à moi. J’adore parler des sujets, de clients, des combats. Et j’ai plein de combats ! Mon métier c’est de mettre en valeur des idées, des marques et des clients et de le faire avec le plus de densité possible.