Design
Le développement durable, c’est cher, austère, compliqué. Autant d’idées reçues qui empêchent de passer à l’action. Des agences de design défendent au contraire une démarche active d’innovation qui ne bride pas la création.

L’image de la baleine échouée avec des kilos de plastique dans l’estomac est devenue le symbole de la destruction de l’environnement. Elle matérialise l’impact de nos modes de vie sur le sort de la planète. Habituées à travailler pour la grande consommation, en création de packagings ou de magasins, les agences de design sont en première ligne pour la prise de conscience de l’empreinte écologique des marques. En France, selon Citeo (ex-Eco-Emballages), 5 millions de tonnes de plastique sont utilisées chaque année, dont 20 % pour les emballages ménagers, parmi lesquels 26 % sont recyclés. Les designers s’emparent de ce sujet de façon diverse.

Market Value, agence d’architecture commerciale du groupe Team Créatif, devance les attentes de ses clients en répertoriant tous les points d’amélioration sur un projet. « On appelle cela la “green griffe”, explique Hélène Maillet, directrice de la stratégie et de l’innovation. Cela permet d’envisager tout le cycle de vie d’un produit et voir où l’on peut apporter des progrès. Par exemple, pour un pop up store, on envisage comment réutiliser l’existant ou on prévoit des éléments qui peuvent être facilement enlevés et recyclés. » L’agence a mis en place une « matériauthèque » qui fait un travail de veille sur les nouveaux matériaux. Chez Dragon Rouge, la démarche est plus récente. « Pour un prototype de magasin, on précise le coût et les caractéristiques techniques des matériaux mais, jusqu’à présent, on n’incluait pas l’impact écologique, témoigne Isabelle Husson, qui a pris la tête de la matériauthèque il y a deux ans. Je vais l’inclure dans les descriptions des matériaux, même si l'on ne nous le demande pas. Il faut sensibiliser les clients et les commerciaux en interne. »

La question du pouvoir d'achat domine 

En packaging, le processus est encore plus lent. « Il est sous les feux de la rampe à cause de l’opprobre jeté sur le plastique mais n’oublions pas qu’il sert à transporter et conserver. C’est aussi aux consommateurs de jouer leur rôle en recyclant », défend Benoît de Lavarène, directeur général de Team Créatif. « Il me semble que les changements viennent plutôt des industriels, observe Antoine Lesec, président-fondateur de Zakka, l’agence de branding de TBWA Groupe. Du côté des consommateurs, cela reste un sujet plutôt urbain. »

L’écologie, un truc de bobo ? Alors que l’on parle beaucoup du conflit entre fin du monde et fin de mois, la question du pouvoir d’achat domine encore celle des changements de consommation. « C'est cher si l'on passe par les réseaux habituels, pas si l’on prend la peine de chercher des fournisseurs en direct », assure Clémence Sanlis, « capitaine du saut créatif » (sorte de pont entre la stratégie et la création) chez Pixelis, agence spécialisée dans l’écoconception. Elle travaille notamment avec Paic et Danone pour trouver des solutions d’emballage plus durables. « Les matériaux écoresponsables sont parfois plus chers, mais il faut tenir compte de la durabilité, appuie Isabelle Husson, de Dragon Rouge. On redécouvre des techniques traditionnelles comme le lin dans le linéoleum ou le liège, qui a une mauvaise image mais qui est dépolluant et résiste très bien à l’humidité. »

Autre reproche fait à l’écologie, son côté austère, voire punitif. « Un packaging plus écologique donne une impression “cheap”, note Anne Henry, directrice du planning stratégique de CBA. Lorsqu’on utilise moins d’encre ou du carton recyclé, il est difficile d’accrocher la lumière en linéaire et d’exprimer de la gourmandise. » D’autant que l’apparence écologique ne correspond pas toujours à la réalité, lorsque le papier recyclé s’avère moins vertueux que le papier vierge par exemple. « Nous travaillons avec le papetier suédois Iggesund, qui replante trois arbres pour un coupé, qui retraite tellement bien l’eau nécessaire à sa production que l’on peut la boire, et qui crée un emballage très beau et très résistant. Au final, c’est un meilleur investissement qu’un carton recyclé », témoigne Carla Traini, directrice de création packaging de Landor Paris.

Pollution des serveurs

Même chose pour le numérique réputé moins polluant que le papier, alors que la pollution des serveurs est bien réelle. « L’envoi de mails entre collègues ou la lecture automatique sur YouTube constituent une surconsommation inutile, souligne Mathilde Maître, directrice du design de Fabernovel. Les designers d’applications doivent supprimer les fonctionnalités superflues et les utilisateurs, limiter leur consommation. » Quant à l’idée que les plastiques biosourcés et biodégradables (à base d’amidon de maïs, de canne à sucre…) seraient la panacée, il faut la relativiser également. « Certes, ils utilisent moins de pétrole mais ne se recyclent pas. Mieux vaut réduire le poids de matière en supprimant le suremballage ou en adoptant un plastique moins épais », estime Benoît de Lavarène.

La « sustainability » fait donc carburer les équipes innovation des agences, et loin d’assécher la création, elle développe au contraire des solutions nouvelles. « Les problématiques RSE [responsabilité sociétale des entreprises] ont été traitées comme des contraintes, elles sont désormais parties prenantes de la proposition de valeur pour les marques », assure Jérôme Lhermenier, directeur général de FutureBrand Paris. Intégrées très en amont dans la réflexion stratégique, elles valorisent le rôle de conseil des agences. « Les départements RSE, marketing, R&D, fabrication ont toujours eu du mal à travailler ensemble mais ils se retrouvent sur le sujet de la transformation de la marque, affirme Clémence Sanlis, de Pixelis. La contrainte est une occasion de rebondir pour créer de la valeur. Par exemple, un projet autour de la recyclabilité du packaging peut amener à réfléchir plus globalement sur l’existence même de l’emballage et imaginer de nouveaux usages. »

Le vrac, que l’on pourrait penser réservé à quelques catégories de produits, se diffuse beaucoup plus vite qu’attendu. Chez Landor, qui travaille pour de gros industriels comme Procter & Gamble, la réflexion est déjà très avancée. « P&G participe au programme Loop de TerraCycle, qui utilise des packagings réutilisables, rappelle Carla Traini. Cela change le design car les codes de la marque ne sont pas les mêmes qu’en supermarché. Mais c’est encore plus intéressant car cela permet de travailler le branding au-delà du linéaire, en repensant toute l’expérience de marque. Les consommateurs vont vouloir choisir des acteurs du changement, qui s’engagent et proposent de nouveaux services. » Clémence Sanlis, chez Pixelis, fait la même analyse : « Le vrac oblige à penser le parcours de courses autrement, le pack devient réutilisable à la maison sous forme de rangements. Il faut trouver une valeur ajoutée pour la marque. Cela ouvre le champ des possibles en design. »

Retour aux racines

La prise de conscience passe aussi par les locaux eux-mêmes. Lors de son déménagement à Saint-Ouen, Saguez & Partners s’est installé dans un bâtiment HQE (haute qualité environnementale), sans climatisation, avec un maximum de matériaux naturels comme le bois. « On réapprend à baisser les stores en journée, à faire des courants d’air le soir. Les moquettes sont claires pour utiliser au maximum la lumière naturelle, détaille Olivier Saguez, son président. On expérimente sur nous-mêmes et cela nous permet de conseiller nos clients. » Et le sujet n’intéresse pas que les clients français ou occidentaux. « Nous avons de plus en plus de demandes dans le sens du développement durable, assure Matthieu Rochette-Schneider, directeur général de Centdegrés Greater China et Asie du Sud-Est. La nature est une valeur intrinsèque à la culture ancestrale chinoise, et la tendance écologique est un peu comme un retour aux racines. Cela constitue un terrain de création riche et pleine de sens. » Le design durable, c’est donc un mouvement… durable. « C’est une démarche à long terme qui fonctionne si tous les acteurs sont dans une posture égalitaire et de partage de valeurs. Marques et consommateurs doivent entrer dans un cercle vertueux », résume Pascal Viguier, président de Curius.

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