A 42 ans, Arthur Sadoun prend la présidence du réseau Publicis Worldwide, le sixième au monde et le quatrième du futur numéro un mondial de la publicité: Publicis Omnicom Group. Portrait.

Le lendemain même de l'annonce, le 7 octobre dernier, de sa nomination en tant que chief executive officer du réseau Publicis Worldwide, Arthur Sadoun était déjà sur le pont. Parti à New York pour rencontrer des clients, il a tout de même trouvé le temps d'assister à la dernière minute au 12e Ad Forum Summit, réunissant les cabinets de choix d'agences du monde entier.

«Il nous a présenté à chaud sa vision du marché et ses nouvelles fonctions. Une initiative très appréciée par l'assistance, d'autant que sa nomination est la première initiative d'envergure depuis l'annonce de la fusion Publicis-Omnicom», explique Fabrice Valmier, codirigeant de VT Scan.

Une opportunité aussi pour le nouveau patron du premier réseau publicitaire européen et sixième mondial (quelque 11 000 collaborateurs dans 80 pays) de se présenter à des cabinets qui gèrent, chaque année, entre 5 et 6 milliards de dollars de «new business».

Contacté entre deux réunions à New York, l'intéressé préfère pourtant jouer la carte de la discrétion: «Je n'ai pas l'habitude de prendre la parole lorsque j'accède à un nouveau poste. Je préfère parler quand les choses sont faites.»

«Phase de transition»

Deux ans après sa nomination à la direction générale du réseau, le président de Publicis France succède donc, à quarante-deux ans, à Jean-Yves Naouri et accède au P12, le comité exécutif de Publicis Groupe. Il rendra compte directement à Maurice Lévy, président du directoire.

Un revers pour Jean-Yves Naouri, chief operating officer de Publicis Groupe, qui quitte ainsi le poste d'executive chairman du réseau? Nullement, assure-t-on au sein du groupe, où l'on parle d'une phase de transition prévue dès leur nomination respective en 2011. «Le profil de Jean-Yves est moins celui d'un publicitaire que celui d'un patron de grand groupe», note Olivier Altmann.

Le codirecteur de la création de Publicis Worldwide et coprésident de Publicis Conseil rappelle les multiples tâches dont Jean-Yves Naouri a déjà la responsabilité: la supervision du pôle santé PHCG, de l'agence digitale américaine Rosetta et des plates-formes de production, ainsi que le pilotage des centres de services partagés et d'un certain nombre de fonctions au sein du groupe (IT, procurement, assurance et immobilier). De quoi en effet l'occuper dans la perspective de la fusion de Publicis Groupe et d'Omnicom, annoncée en juillet dernier. 

Pendant ce temps, Arthur Sadoun va devoir changer d'échelle, et sans doute aussi de mode de vie. Il se retrouve désormais à la tête de plus de 200 agences, avec des budgets internationaux comme Axa, BNP Paribas, Carrefour, Coca-Cola, L'Oréal, LG, Nestlé, Orange, P&G, Pernod Ricard, Renault, Sanofi, Telefonica, Total et UBS.

Allers-retours express

«Cette nouvelle fonction est un vrai nouveau pari pour Arthur, l'international n'ayant pas été jusqu'à présent son terrain de prédilection», commente Jean-Patrick Chiquiar, cofondateur de Rosapark (BETC) et ancien directeur général de Publicis Conseil.

Son expérience, ces deux dernières années, à la direction générale du réseau l'a certes familiarisé avec les enjeux internationaux. Mais à l'échelle européenne, et hors Grande-Bretagne, qui ne dépendait pas de lui. Or, le réseau Publicis en Europe reste encore très franco-centré. Pendant ces 24 derniers mois, Arthur Sadoun a pu privilégier les allers-retours express en avion et continuer ainsi à gérer au quotidien Publicis France. «Il n'est pas rare de le voir partir à l'autre bout de l'Europe tôt le matin et d'avoir une réunion avec lui en début d'après-midi à Paris», raconte Charles Georges-Picot, président de Marcel.

Approche «customer centric»

Ce dernier ne s'inquiète pas d'ailleurs de la capacité d'Arthur Sadoun à s'adapter à ses nouvelles fonctions: «Les principaux grands clients du réseau sont implantés à Paris. Arthur connait déjà parfaitement les directions monde de ces grands comptes.»

C'est notamment le cas d'Axa, Renault, Carrefour, Orange ou encore Capgemini. Sans compter les récents gains de budgets, qui ont confirmé le rôle de plaque tournante de la France et de l'Europe pour l'ensemble du réseau: Coca-Cola Europe, Nescafé pour le monde, le volet «corporate» de L'Oréal, la stratégie numérique de Nissan en Europe et celle de Cartier dans le monde.

Arthur Sadoun est le premier en être conscient: son ascension fulgurante à 42 ans, il la doit avant tout à son approche résolument «customer centric». Tous ceux qui travaillent ou ont travaillé avec lui le confirment: «Les clients sont une obsession chez lui…», «Il passe beaucoup de temps avec eux…», «Il sait leur donner l'impression qu'ils sont son seul client…». Jean-Patrick Chiquiar évoque son talent de séducteur: «Il a la capacité de plaire à tous les profils de client, du jeune loup d'une société innovante au grand patron d'une boîte institutionnelle…»

Lui-même n'a-t-il pas pris l'habitude de se présenter en réunion comme «le chef de pub de Maurice Lévy»? «Il a une incroyable intuition par rapport aux attentes des clients ou des prospects, pas forcément sur la stratégie, mais sur la tonalité, le registre de communication qu'ils veulent», ajoute le cofondateur de Rosapark. Cette capacité à tisser des liens avec les clients a été une divine surprise pour Maurice Lévy, surtout après le passage houleux de Christophe Lambert à la tête de Publicis Conseil. «Dès le début, en étant très vite dans l'action et les résultats, Arthur a rapidement gagné la confiance de Maurice Lévy, qui l'emmène dans toutes les grandes réunions clients», constate Olivier Altmann, qui reconnaît qu'«il s'est parfaitement moulé dans la culture maison».

Management peu institutionnel

Côté emploi du temps, Arthur Sadoun s'est aligné sur le rythme du patron: 6h30 ou 7h30 le matin, 20h30 le soir. «Avant d'arriver chez Publicis, je croyais que je travaillais beaucoup», lâche-t-il souvent en forme de boutade. Son tempérament tout feu, tout flamme a fait le reste. Là encore, les qualificatifs pleuvent: «impatient», «direct», «débordant d'énergie», «épuisant», etc. Un rendez-vous interne avec lui ne dure guère plus de dix minutes.

«Il met au défi en permanence ses équipes, déclare Jean-Patrick Chiquiar. Il joue sur leur fierté, leur ego. C'est un joueur… Il peut être dur, puis très amical dans la minute qui suit. Pour certains, ça peut être déstabilisant.» 

Les équipes de Publicis Worldwide qui ne le connaissent pas encore vont devoir s'adapter à une méthode de management très peu institutionnelle. «Arthur est très attaché à rester ancré dans la réalité du terrain. Pour lui, le succès passe par les talents, pas par les structures», assure Valérie Hénaff, directrice générale de Publicis France, en charge de la stratégie.

Une obsession: trouver les meilleurs

Recruté par Maurice Lévy pour présider Publicis France en même temps qu'Arthur Sadoun prenait la tête de Publicis Conseil, Philippe Lentschener, aujourd'hui président de McCann France, se souvient d'un recruteur hors pair: «Il a conscience plus que tout autre que nous travaillons dans un “people's business”. Son obsession est donc de trouver les meilleurs. Pour lui, la qualité des gens prime sur l'organisation. Il est prêt à toutes les adaptations de structures pour accueillir de nouveaux talents.» Là encore, la méthode peut déranger.

Conscient de ses propres faiblesses, il les compense en s'entourant de gens plus forts que lui, comme il se plaît souvent à le dire. «Il ne faut pas avoir peur de créer de la confrontation et de l'inconfort, en faisant travailler des gens pas forcément compatibles, en fixant des enjeux et des délais peut-être intenables, ou en faisant bouger les gens régulièrement […]. Ce que je recherche avant tout, ce sont des “liquid talents”, des profils qui savent s'adapter aux contraintes de création, à la crise, à l'essor du numérique…», confiait-il en avril 2012 sur le site Educarriere.ci.

Garde rapprochée et mantra publicitaire

Ce talent de «directeur de casting», il l'a d'abord appliqué à la constitution de sa propre garde rapprochée. Tous des fidèles, souvent passés par TBWA, dont il a été le directeur général puis le président à 32 ans à peine. A commencer par Valérie Hénaff, son alter ego ès stratégies, et Jérôme Martel, directeur du développement international de Publicis France, qui l'ont rejoint dès le début de l'aventure Publicis.

En 2009, Sébastien Vacherot, ex-président et directeur de la création de TBWA MAP, était nommé coprésident de Publicis Net. Il est aujourd'hui patron de Publicis 133. En 2011, Patrick Lara, ex-directeur général de TBWA Paris, était recruté pour gérer le compte Carrefour via K4, l'agence interne de Publicis consacrée au distributeur. Il est désormais codirecteur général de Publicis Conseil avec Pierre Desangles.

Enfin, en 2011, Erik Vervroegen, l'ancien directeur de la création de TBWA Paris avec lequel Arthur Sadoun décrocha quatre fois de suite le titre d'«agence de l'année» à Cannes, quittait Goodby Silverstein & Partners San Francisco pour intégrer le tout nouveau creative board de Publicis Worldwide.

Créé à l'initiative d'Arthur Sadoun qui en assure la présidence, ce comité réunit trois autres pointures créatives: le Français Olivier Altmann, l'Australien Craig Davis, coprésident de Publicis Mojo Australie, et l'Américain Kevin Roddy, directeur de la création de Publicis Hal Riney San Francisco. Une structure ad hoc comme Arthur Sadoun les aime et qui semble déjà porter ses fruits. En 2011, Publicis pointait à la 17e place des réseaux les plus créatifs à Cannes. Cette année, il s'est hissé au 7e rang. 

A côté de cette mission visant à relever le niveau créatif de Publicis Worldwide, Arthur Sadoun a aussi concocté un nouveau positionnement pour le réseau, baptisé «Lead the change». Un énième mantra publicitaire, mais qui a le mérite de résumer à la perfection la vision et l'attitude de son auteur: «Le changement, on l'ignore, on s'y adapte ou on l'impulse.» Sans surprise, Arthur Sadoun a toujours opté pour la troisième option.

Compétiteur redoutable

Fidèle à la tradition familiale (son père, Roland Sadoun, fut directeur général de l'Ifop, son grand-père Ernest Cordier, patron de Thomson, et son bisaïeul, Gabriel Cordier, pionnier de l'industrie de l'électricité), le jeune Arthur, à peine âgé de 22 ans, part au Chili avec son diplôme de commerce en poche et y fonde sa propre entreprise, une agence d'objets publicitaires. Il la revendra quatre ans plus tard à BBDO.

Une âme d'entrepreneur, en tout cas de patron. «Arthur n'est pas quelqu'un qui est d'accord ou pas d'accord, c'est quelqu'un qui dit oui ou non. Le management est inné chez lui, cela en est impressionnant. On ne sent jamais le moindre flottement», décrit Philippe Lentschener.

Ce qui en fait un compétiteur redoutable. Pour chaque appel d'offres, il constitue un commando de dix à quinze personnes maximum. En première ligne et du haut de son 1m97, il peut être alors autoritaire. Mais, au final, c'est toujours avec Valérie Hénaff et Jérôme Martel qu'il prend les décisions.

«Il réfléchit toujours en mode solutions, tous les moyens sont mis en œuvre, il n'hésite pas à bousculer s'il le faut», note Valérie Hénaff. «Proche de ce qu'est Maurice Lévy par ses bons côtés comme ses moins bons. Il sait provoquer la chance, notamment en compétition, c'est son côté coquin», traduit un publicitaire qui le connaît de longue date.

Hyperactif professionnellement et discret en privé

Ce fonceur hyperactif n'a finalement guère de temps à lui. Entre vie privée et vie professionnelle, la frontière est ténue. Ses meilleurs amis sont des patrons (Antoine Gosset-Grainville, ex-directeur général adjoint de la Caisse des dépôts, Stéphane Courbit, patron de Lov Group, Jacques Veyrat, qui dirigea Neuf Telecom…), voire des clients, comme Alexandre Bompard, président de la Fnac, dont le budget est géré par l'agence Marcel.

Apparaissant régulièrement en famille lors des traditionnelles projections privées du dimanche matin de Publicis sur les Champs-Elysées, on l'a vu encore récemment avec sa fille et les deux fils de son épouse, Anne-Sophie Lapix, à un événement «skate» organisé pour l'un de ses nouveaux clients Volcom, spécialiste de la glisse.

Natation le week-end

Marié depuis 2010 à l'ancienne journaliste de Canal+, aujourd'hui présentatrice de C à vous sur France 5, Arthur Sadoun reste relativement discret, même si quelques photos du couple apparaissent de temps à autre dans les colonnes des journaux people, comme cet été dans Paris Match à l'occasion d'une série sur les couples de pouvoir.

Côté détente, à part la natation le week-end (3km le samedi et idem le dimanche) et des séjours aussi réguliers que possible à Saint-Jean-de-Luz, le fief basque d'Anne-Sophie Lapix, les occasions sont rares.

Avec ses nouvelles fonctions, cela ne devrait guère s'arranger. Il lui faudra désormais jongler avec les fuseaux horaires pour assister à des réunions à l'autre bout du monde. A commencer par le 18 octobre au Four Seasons de Miami, qui doit accueillir la première réunion officielle des 100 principaux managers du futur Publicis Omnicom Group.

Il y retrouvera les rares Français à la tête, comme lui, de grands réseaux publicitaires mondiaux, dont Hervé Brossard, vice-président de DDB Worldwide, et un certain Jean-Marie Dru, chairman de TBWA Worldwide. En 1999, alors âgé de 27 ans, Arthur Sadoun était venu rencontrer le président international de TBWA d'alors pour entrer en contact avec Richard Branson, avec lequel il rêvait de travailler. Il ressortit de cet entretien directeur du planning stratégique de TBWA.

 

Dates clés

23 mai 1971. Naissance à Dourdan (Essonne).

1992. Diplômé de l'European Business School Paris.

1993. Création de l'agence de communication Z Group au Chili (cédée à BBDO en 1997).

1998. MBA à l'Insead.

1999. Directeur du planning stratégique international et du développement chez TBWA.

2000. Directeur général de TBWA Paris.

2003. PDG de TBWA Paris.

2006. PDG de Publicis Conseil.

2009. Président de Publicis France.

2011. Directeur général de Publicis Worldwide.

2013. Président de Publicis Worldwide.

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