Mercredi 31 octobre. Luc Besnier est sonné. Le tribunal de commerce de Paris vient de refuser le redressement judiciaire qu'il demande pour Reflex Paris, son agence indépendante fondée en 1988. Raisons invoquées: une trésorerie insuffisante et trop de licenciements à la clé. Spécialisée dans le luxe, elle emploie trente personnes - elle comptait en garder dix - travaillant pour une trentaine de clients, dont Sofitel et LVMH.
«J'ai mis une vie à construire cette agence. J'ai été reçu en quinze minutes et littéralement massacré en un seul round sans pouvoir me défendre. On m'a proposé une seule issue: demander moi-même la liquidation. Le tribunal m'obligeait à nouer la corde pour me pendre. Insupportable», raconte Luc Besnier.
Une situation qui fait frémir nombre d'agences. Qu'elles le disent ou le taisent, les temps sont durs. «Aujourd'hui, beaucoup voient leurs clients disparaître. Quant aux annonceurs du CAC 40, ils réduisent, chaque année, de près de 10% leurs budgets, baissent les taux horaires et allongent les délais de paiement sans aucun respect des 45 jours réglementaires», explique Frédéric Assouline, associé chez Spin-Off and Co, cabinet spécialisé en fusion-acquisition dans les métiers de la communication.
La communication, victime de son image
Dans ce contexte, les indépendants sont particulièrement fragiles. Luc Besnier décrit comment il a tenté de s'organiser pour «prendre la vague de la crise» et consolider son entreprise malmenée par la spirale infernale des budgets divisés par deux et des projets retardés. «Je suis un créatif, un PDG autodidacte qui a toujours eu tendance à embaucher et réinvestir. En 2010, j'ai trouvé un partenaire bancaire, le CIC, qui s'est engagé verbalement à soutenir ma dynamique de déploiement», se souvient-il.
Parmi les actions mises en place: fusion des activités de l'agence allant du digital à l'événementiel, mise en place d'un système de contrôle de gestion, recrutement d'un directeur général venu de HEC et d'un chargé de développement commercial...
Mais c'était sans compter la frilosité des banques. «Le CIC a finalement souhaité attendre le premier bilan de mon agence restructurée avant de s'engager», indique-t-il. Lâché, donc. Un coup dur pour cette structure dont le chiffre d'affaires est passé de 6 à 4 millions d'euros de 2011 à 2012. Le 12 octobre dernier, Reflex Paris était en cessation de paiement.
Luc Besnier compte maintenant demander la liquidation avec reconsidération du redressement judiciaire. Il n'imaginait pas qu'il puisse lui être refusé. En fait, il est très rarement accordé aux sociétés de conseil, selon Frédéric Assouline: «Le tribunal de commerce ne sait appréhender que les entreprises traditionnelles. Une agence n'a pas d'actif physique à monétiser, de produit ni de stock. Et la communication a mauvaise presse. Elle n'est pas considérée comme un métier sérieux.»
Luc Besnier va dans ce sens: «Je pense qu'ils m'ont pris pour un voyou qui voulait se restructurer sur le dos de l'Etat. En près d'un quart de siècle, j'ai connu la croissance, des crises, embauché des centaines de personnes, payé des millions de charges sociales et d'impôts, ouvert des filiales à New York, Shanghai et Londres et certainement commis des erreurs, mais jamais je n'ai été malhonnête», précise-t-il. A 47 ans, ce père de sept enfants sait qu'il n'a pas droit au chômage. Il lui reste ses filiales indépendantes à l'étranger.