Dossier
Fondateur du cabinet de conseil Cap, enseignant à HEC et Sciences Po et ancien dirigeant de l'institut de sondages CSA, Stéphane Rozès passe pour être aujourd'hui le conseiller en stratégie d'opinion de François Hollande. Réputé pour être une sorte de "psy" de la politique, il nous livre sa lecture de la campagne.

Ancien sondeur, vous avez travaillé pour 17 candidats lors de trois présidentielles. Aujourd'hui, consultant pour les entreprises et les collectivités. En quoi consiste votre travail de conseil politique?

 

Stéphane Rozès. L'expérience qui est la mienne m'a amené à construire une grille de lecture sur l'imaginaire français et sur ce que le pays investit lors d'une campagne présidentielle. Et cela ne se réduit pas au seul choix d'un président. C'est d'abord le moment où, au travers des candidats et de la confrontation électorale, le pays met à plat sa diversité pour l'encastrer dans le commun politique qu'est l'élection. C'est à ce titre que la présidentielle réactive l'imaginaire français.
Mon travail consiste à aider tel candidat à aller aux fondamentaux du pays, à ses tensions au moment de l'élection, de sorte qu'il en donne une réponse cohérente, adaptée à sa personnalité au travers d'un récit qui doit présider aux projets et programmes politiques.

En quoi le Bourget pour Hollande et Villepinte pour Sarkozy ont-ils construit les récits de campagne?

 

S.R: Le récit de François Hollande était double. D'une part, il a donné à voir le candidat socialiste dans sa personnalité intime, encastrée dans sa conception de la présidence de la République et de la France, et son projet. Pour l'emporter, un candidat doit révéler son «moi». D'autre part, François Hollande a dit aux Français que nous pouvions sortir de la crise grâce à notre «génie» et à la République, pour peu que l'effort demandé soit juste. Sa phrase «la France n'est pas le problème, la France c'est la solution» est une manière de pointer le non-dit de ce qu'a été le quinquennat de Nicolas Sarkozy... une défiance à l'égard des Français.

 

Le récit du Bourget a donc obligé Nicolas Sarkozy à rentrer plus tôt en campagne?

 

S.R: En effet. Nicolas Sarkozy a véritablement lancé sa campagne à l'émission «Des Paroles et des Actes» en purgeant le reproche que lui font les Français d'avoir abaissé la fonction présidentielle à sa personne et mis à mal la symbolique du pays (Fouquet's, le yacht de Bolloré, Epad/Jean Sarkozy, ses mots au Salon de l'agriculture...). Un président ne peut faire rupture avec l'imaginaire collectif. A Villepinte ensuite, son récit est celui d'un appel au peuple. Il traite du social et d'une Europe protectrice en se présentant comme le capitaine dans la tempête qui tient son cap.

Selon un sondage BVA du 26 mars 2012, ni l'insécurité ni l'immigration n'ont progressé dans les attentes des électeurs après l'acte terroriste toulousain. Et si 51% des Français pensent que ces meurtres auront une influence sur le vote des autres, ils sont 81% à affirmer qu'il n'aura que peu ou pas d'impact du tout sur leur propre vote. Que vous inspirent ces résultats?

 

S.R. Cette présidentielle ne se fait pas sur une compétition de thématiques. Elle se joue dans la capacité de chacun des candidats à résoudre l'équation du moment. Après la crise de la dette souveraine, qui a semblé consacrer la domination de la finance sur les Etats et les politiques, et après le quinquennat de Nicolas Sarkozy, qui a abaissé notre symbolique présidentielle et tenté de réformer le pays en semblant vouloir prendre les Français par surprise, la question qui est posée est la suivante: y a t-il pour la France un chemin possible entre deux écueils? Celui d'une gauche qui s'accroche à vouloir conserver ce que l'on est, au risque de périr, et celui d'une droite qui, pour survivre, serait prête à ce que la France renonce à ce qu'elle est.
A-t-on les moyens de résoudre cette tension, voilà l'enjeu de cette campagne et non plus, comme autrefois, la question de savoir si la droite doit mettre en avant la sécurité et la gauche, le social. Celui qui semblera la résoudre l'emportera.

 

Ces actes terroristes auront-ils néanmoins un impact?

 

S.R. Sur le fond, ce drame réactive la question de nos spécificités républicaines et le refus d'aller vers des dérives communautaristes jugées propices à de telles folies. Ce drame va donc renforcer les récits républicains. Alors que certains à gauche sont encore tentés par le multiculturalisme et que certains à droite continuent de faire une fausse référence aux origines chrétiennes de notre pays, ce drame rappelle que la spécificité de notre identité vient du fait qu'on ne peut définir une origine à notre pays. Notre identité, c'est la recherche permanente d'une projection commune qui encadre notre diversité. De Jean-Luc Mélenchon à Marine Le Pen, tous parlent aujourd'hui de la France, de la Nation et de la République, mais ils en donnent chacun un contenu différent. Auparavant, c'était l'Europe.

Mais de manière factuelle, qui va profiter de ces attentats?

S.R. Légèrement, Nicolas Sarkozy, pour deux raisons. La première est institutionnelle et tient au fait qu'en tant que président, il profite du climat d'union nationale. La seconde raison tiendrait à l'évolution de sa posture. Après l'acte terroriste de Toulouse, il peut être enclin à revenir à une posture plus apaisée de rassembleur alors que jusqu'ici sa ligne très droitière -proche du peuple contre les élites- rendait compliquée sa bataille du second tour. François Hollande a eu, pour sa part, la bonne attitude en montrant métaphoriquement (pas de polémique et félicitations aux policiers et au Raid, ndlr) ce qu'il aurait fait s'il avait été président, au risque de sembler mettre ses pas dans ceux de Nicolas Sarkozy. Enfin, compte tenu de la polarisation politique, il reste peu d'espace à Marine Le Pen pour instrumentaliser le drame.

En quoi la campagne de François Hollande doit-elle tenir compte de la nouvelle dynamique de Nicolas Sarkozy?

 

S.R. Je ne crois pas qu'en France un candidat se construise contre son adversaire, nous ne sommes pas aux Etats-Unis. On a l'exemple de l'échec de Lionel Jospin qui s'est construit contre Chirac en 2002, et la plongée de Ségolène Royal en 2007 quand elle a commencé à attaquer Nicolas Sarkozy. Chaque candidat doit donner sa réponse aux problèmes du pays. Si François Hollande se garde d'attaquer son principal adversaire et même de le citer, il doit, après ce drame, donner un second souffle à sa campagne et donner à voir sa capacité à redresser le pays dans le justice, en retrouvant l'esprit républicain de son discours du Bourget.

Pour vous, le jeu présidentiel reste donc ouvert ?

SR. Oui... Avec deux chemins proposés, celui du républicain et celui du Bonaparte. Au premier la sérénité, au second l'énergie. Au premier la stratégie, la posture du rassembleur et la confiance dans le peuple. Au second la tactique et la posture du sauveur, de l'homme providentiel.

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