Décidément, ils ne sont pas comme tout le monde ces gens de la publicité et du marketing… Ainsi, quand en couple, ils se projettent dans l'avenir et imaginent un projet familial à dimension humanitaire qui donnerait un sens plus fort à leur vie, quand peu à peu le projet mûrit, se dessine et emporte leur enthousiasme, alors le mari se dresse et dit: «Il faut un concept!», et sa femme ajoute: «Et des méthodes marketing efficaces, éprouvées auprès de nos clients, pour que la cause que nous défendons aboutisse.»
C'est à peu près comme cela qu'est né le très joli projet «We like The World» de la famille Colas, qui prend une année sabbatique pour faire le tour du monde à partir de juillet prochain, avec, à la clé, le financement d'une école au Burkina Faso et la conviction que grâce au réseau social Facebook, ce projet réussira. Après le tour du monde en 80 jours de Jules Verne, voilà lancé le tour du monde «social» en 80 000 amis.
D'abord, il y a le père, Frédéric, quarante-trois ans, Essec, proctérien et vice-président associé en charge de la stratégie du groupe Fullsix depuis dix ans, expert en «social media» marketing. Un fondu, adolescent, de jeux vidéo, notamment du jeu de rôle Donjons et dragons. On le sait peu, mais en 1996 – il est chez Procter & Gamble France depuis quatre ans – il remet sa démission car il veut qu'on l'envoie à Cincinnati, au siège du groupe mondial, pour créer un département de marketing interactif. Un maître du jeu connaît la tactique: il passera bien deux ans dans l'Ohio, puis développera le «digital» de P&G en Europe jusqu'en 2000.
La mère, ensuite. Estelle, quarante-trois ans, école de commerce, directrice associée chez BETC Euro RSCG depuis dix ans, dans le groupe Havas depuis le double. A baigné dans la communication depuis qu'elle est petite, sa maman était dircom de 3M Europe. Elle est plutôt médecine douce, Reiki et feng shui, à la recherche du bien être. «Enfant distilbène, avoir moi-même un enfant a été une bataille», confie cette femme sensible et enjouée, qui sait désormais que sa fille Héloise, huit ans, sera unique. «Ce voyage, c'est une façon de lui permettre de rencontrer des petits frères et sœurs partout dans le monde et de lui transmettre des valeurs essentielles de solidarité, de générosité, de courage et d'optimisme», dit-elle.
Répartition des rôles
Pas question, donc, de faire un tour du monde sans cette dimension humanitaire. Par son histoire, Estelle Colas est attentive à la cause des enfants et des filles. Quand son mari découvre que l'éducation des filles, justement, est, selon la Banque mondiale, l'investissement le plus «rentable» dans les pays en voie de développement. La cause est entendue. La famille se rapproche de La Voix de l'enfant, structure qui fédère 75 associations caritatives. Un temps envisagé au Cambodge, le projet se porte finalement sur le Burkina Faso, pays d'Afrique de l'Ouest, pour la construction d'une école de trois classes avec une cantine, des logements pour les enseignants et des programmes spécifiques pour les filles (hygiène, contraception, MST et lutte contre l'excision).
«Depuis vingt ans, des programmes sont menés par l'association AZN dans cette région de Guié pour sauver les villages, raconte Martine Brousse, présidente de La Voix de l'enfant. D'abord, il y a eu la reforestation, la création d'une ferme de culture et d'élevage, l'éradication de la famine, la construction d'une maternité et, maintenant, il manque trois classes. Demain, on financera un internat et des bourses pour que les filles aillent au collège.»
Depuis que la famille Colas a fait sien ce projet, estimé à 80 000 euros, le couple s'est réparti les rôles. «J'ai décidé d'appliquer à notre projet personnel ce que je vends à mes clients, explique Frédéric Colas. Pour peu que vous ayez un projet aspirationnel, la passion de le mener et une bonne réputation, un réseau social comme Facebook décuple vos contacts d'amis et, du coup, abaisse le coût de friction de l'entraide.»
La famille Colas a donc ouvert une page Facebook, «We like The World», pour mobiliser son réseau d'amis et en générer 80 000 potentiels avant le départ. Et mis en place une mécanique promotionnelle classique. Pour chaque nouveau fan inscrit (dans la limite de 30 000 dollars), les Colas s'engagent à donner un dollar à l'école. La mobilisation va plus loin: pour chaque nuit hébergée par un fan dans le monde, ils verseront 50 dollars (250 nuits estimées). «Une application Facebook Connect permettra aux internautes qui suivent notre périple de localiser eux-mêmes leurs amis pour nous héberger», précise Frédéric Colas.
Pour les autres 40 000 euros, un appel aux sponsors et aux donateurs est lancé. «Facebook est partenaire officiel et offre son espace publicitaire pour les appels aux dons», ajoute Frédéric Colas. D'autres entreprises ont été sollicitées: une marque de stylo servira de lien pour faire rédiger des cartes postales à des enfants sur leur vision du monde, qui seront reproduites sur Facebook et le site de la marque, une ligne de bagages pour transporter les souvenirs offerts ensuite à l'école, un opérateur télécoms pour financer les communications de la famille (1 000 à 4 000 euros par mois estimés), etc.
«Les héros d'une propre mise en scène»
Enfin, la famille Colas compte sur la mobilisation de ses «amis» pour lever des fonds. Un site, réalisé par Fullsix, sera en ligne en avril et proposera sous une forme ludique, telle une liste de mariage, d'acheter pour l'école un banc, un tableau, un kit santé, un programme éducatif, etc. Ces dons versés à La Voix de l'enfant feront l'objet d'un reçu fiscal.
Estelle Colas a géré le plan de communication: création d'un nom, d'un logo (orange et violet, «énergie, positivité»), d'une identité graphique (avec l'agence Image de marque, à Barcelone), d'un communiqué de presse et même d'un clip vidéo. Puis médiatisation auprès des blogueurs et des médias. Enfin, partenariat presse pour diffuser les contenus, avec un magazine féminin, et médiatiser tout au long du voyage le projet et l'appel aux dons. «Une mécanique marketing à 365», sourit la publicitaire.
«C'est une démarche novatrice pour faire appel aux dons qui émerge avec les nouvelles technologies», s'enthousiasme Martine Brousse, de La Voix de l'enfant. «Il y a une intégrité et une intelligence dans ce projet», renchérit Marco Tinelli, président du groupe Fullsix, qui aurait tout de même préféré que le voyage de Frédéric Colas ne dure que six mois… Muriel Fagnoni, vice-présidente de BETC Euro RSCG, salue aussi ce «beau projet» et observe: «Aujourd'hui, les sphères publiques et privées sont totalement imbriquées, nous devenons les héros de notre propre vie mise en scène sur les réseaux sociaux. Dans le projet de Frédéric et Estelle, il y a en plus une dimension citoyenne de ce monde connecté. C'est emblématique de notre époque.»