Le 26 janvier, le groupe socialiste à l'Assemblée nationale renonçait à une demande de commission d'enquête sur les sondages de l'exécutif formulée six mois plus tôt. Motif de cette capitulation : une atrophie du périmètre d'investigation, orchestrée par une majorité UMP manifestement soucieuse d'écarter l'Élysée de l'examen parlementaire. «Affaire des sondages de l'Élysée», clap de fin ? Pas si sûr. Certains sénateurs, dont le socialiste Jean-Pierre Sueur, auraient d'ores et déjà constitué un groupe de travail et entamé leur propre enquête.
Tout commence en juillet 2009. Un rapport de la Cour des comptes vient pointer certaines anomalies dans la commande d'études d'opinion au niveau de la présidence de la République. La commission des finances de l'Assemblée lui emboîte le pas en novembre en rendant publiques les factures payées en 2008 par le Château. Note globale : 3,2 millions d'euros.
Premier bénéficiaire, le conseiller de l'Élysée Patrick Buisson, qui a engrangé via son entité Publifact près de 1,5 million d'euros, en servant notamment d'intermédiaire entre les sondeurs et l'Élysée. Ce à la faveur d'une convention pour le moins succincte (rédigée sur une page) et au mépris des règles de mise en concurrence requises par le Code des marchés publics. Autre conseil auprès de l'Élysée, Giacometti Péron & Associés, pour lequel la commission des finances avance qu'il aurait touché la somme de 723 000 euros.
Quant aux études facturées directement à l'Élysée par les sondeurs, elles s'élèvent pour 2008 à près d'un million d'euros. Ipsos et TNS Sofres étant les seules sociétés à travailler exclusivement en direct avec la présidence, à hauteur respectivement de 889 000 euros et 38 300 euros.
Dépenses somptuaires ? Avant 2008, l'Élysée n'avait jamais été audité : difficile donc d'établir des comparaisons… Plus objectivement intrigante est la marge commerciale de Publifact (50% sur des prestations achetées à son principal fournisseur, l'institut Opinion Way). Depuis, la rémunération de Patrick Buisson a été ramenée à 10 000 euros nets par mois. Le contrat liant Giacometti Péron & Associés à l'Élysée porte, lui, sur 43 500 euros mensuels (lire l'entretien de Pierre Giacometti).
La Présidence a sensiblement réduit son budget études et conseil en opinion. De 3,2 millions d'euros en 2008, il passe à 1,6 million en 2009 et à 1,4 million pour les prévisions 2010. Une diminution de 56% en deux ans. Les sondages seront désormais commandés en direct, dans le respect des règles de la concurrence - qui n'avaient au demeurant jamais été appliquées par l'Élysée.
C'est donc une première : l'Élysée vient de soumettre à appel d'offres trois «lots» (packages budgétés de prestations) portant sur les études en ligne, le suivi d'image et celui des déplacements et interventions du Président.
Lisibilité non facilitée
La transparence, enfin ? Celle-ci reste de facto subordonnée à certains aménagements au-delà de la stricte sphère élyséenne, dans le dispositif général d'achats de l'exécutif. Récemment, le Service d'information du gouvernement (SIG), qui dépend de Matignon, a attribué pour une durée de quatre ans sept lots aux instituts Ipsos, Opinon Way, Isama, Ifop, CSA et TNS (historiquement très présent à l'échelle des ministères). «Logiquement, le SIG devrait piloter l'ensemble des études gouvernementales», remarque Jean-François Doridot, directeur général d'Ipsos Public Affairs. Il dispose de fait d'un budget opinion conséquent : près de 4 millions d'euros.
Mais certains grands ministères tiennent à préserver leur autonomie. Les Finances, l'Éducation nationale et la Défense ont ainsi adopté leur propre dispositif d'achat. Parallèlement, Matignon achète des prestations en propre. Parmi ses fournisseurs, le cabinet Giacometti Péron & Associés.
Rien d'illégal à tout cela, mais rien non plus qui facilite la lisibilité. «On pourrait imaginer une démarcation entre des études d'intérêt général financées par la dépense publique et des enquêtes électorales commandées par les partis», suggère Hugues Cazenave, président d'Opinion Way.
Dans une logique de transparence de la dépense publique, ne faudrait-il pas par ailleurs instituer la publicité totale ou partielle des études ? Techniquement dangereux : dans les sondages confidentiels, certaines questions sont tactiquement biaisées. La publication pourrait prêter le flanc à des accusations de manipulation. «La légitimité du politique, c'est de conduire des actions, il faut donc lui laisser un espace de décision, affirme Stéphane Rozès, politologue, ancien directeur général de l'institut CSA, aujourd'hui président de CAP (Conseils analyses et perspectives. En revanche, instaurer la publicité des études confidentielles au bout de dix ou quinze ans, ce serait une bonne chose.»