Pourquoi les directions marketing ne sont-elles pas, selon vous, structurellement en position de déployer de véritables campagnes intégrées?
Mary Beth Kemp. En fait, l'intégration n'est pas le vrai problème. C'est en se focalisant sur le seul volet communication, mobilisant l'essentiel des budgets, que les directions marketing passent à côté du fond du problème. À savoir maîtriser toute l'expérience de la marque que peut avoir un consommateur. Cela nécessite le contrôle de la communication, bien sûr, mais aussi du produit, du prix, du service client, de la distribution, etc. Or, aujourd'hui, toutes ces parties clés du marketing sont éparpillées au sein des entreprises. Ces dernières sont obnubilées par leur part de marché et, de ce fait, par les investissements de communication, jugés déterminants sur les performances commerciales d'une marque. Mais désormais, avec la fragmentation des médias notamment, la croissance de la part de marché passe aussi par un travail en profondeur de la relation avec le consommateur.
Quelles devraient donc être les priorités des entreprises pour opérer ce changement d'approche?
M.B.K. Quatre nouveaux modes de fonctionnement doivent être intégrés, sans exclusivité ni priorité, cela dépend de chaque marque ou entreprise. D'abord, sachant que le premier critère de décision d'achat est l'avis des autres (famille, amis, connaissances, etc.), les entreprises ont intérêt à articuler leur démarche marketing autour des groupes de consommateurs. Procter & Gamble, par exemple, l'a bien compris avec des initiatives transversales impliquant plusieurs de ses marques, comme Always, Tampax ou Gillette Venus sur le site www.beinggirl.com, décliné en France, ou encore Mr Propre, Swiffer ou Febreze via le site www.homemadesimple.com sur l'univers de la maison. Ce type de démarche n'est pas si fréquente, les entreprises étant organisées en "business units" souvent jalouses de leur pré carré. Rien n'empêcherait Philips, par exemple, de faire de même autour de ses produits d'éclairage, de rasage ou d'électronique grand public.
Quelles sont les trois autres initiatives que vous conseillez aux marques?
M.B.K. Elles doivent mieux s'adapter à ce que j'appelle le cycle de vie du consommateur, en prenant en compte tous les aspects de la relation de ce dernier avec la marque. Ainsi, face à ses problèmes de relation client, le câblo-opérateur américain Comcast a décidé d'utiliser Twitter pour être alerté des problèmes de réseaux avant même qu'ils ne remontent à son service client. Autre dimension à intégrer: donner de la consistance aux valeurs de la marque, d'une part en privilégiant l'interaction avec le consommateur (et cela dès le début du processus d'innovation, et pas seulement à la fin en guise de validation), et d'autre part en développant de nouveaux services. Exemple: l'application Iphone de Kraft Foods proposant des idées de recettes. Enfin, il est indispensable de s'appuyer davantage sur l'attente du consommateur pour élaborer son mix marketing. Certains s'y essaient déjà, comme Unilever avec "mind bubble", un projet de plate-forme communautaire de recherche marketing ouvert aux consommateurs, ou Pepsi, qui mène un travail sur les réseaux sociaux pour connaître l'avis des consommateurs sur son nouveau Pepsi Raw.
Concrètement, comment les entreprises peuvent-elles négocier ce virage ?
M.B.K. Mieux vaut commencer par un produit particulier dans une division ou un pays plus mûr pour ce type de changement, et essaimer par la suite. L'idée est finalement d'optimiser son portefeuille de clients plutôt que son portefeuille de marques. Un changement d'approche radical pour nombre d'entreprises.