Stratégies a été, est et, j’en suis sûr, sera un journal de journalistes. C’est-à-dire une entreprise animée par un collectif de femmes et d’hommes passionnés, ayant une haute idée de leur métier et obéissant à un corpus de règles déontologiques.
Cette exigence – qui bénéfice in fine aux lectrices et lecteurs – est un combat. Certaines batailles sont difficiles, parfois perdues. D’autres sont des victoires et ces victoires font du bien. L’un de mes souvenirs les plus marquants à Stratégies s’y rapporte.
La scène se passe à Cannes il y a dix ans, pendant le festival international de la publicité, les fameux Cannes Lions. Au siège de Stratégies, les équipes s’apprêtent à boucler un numéro marqué par une enquête «choc», très documentée, sur les soupçons de conflits d’intérêts qui pèsent alors sur le groupe Bolloré, un groupe présent sur toute la chaîne de valeur (publicité, conseil médias, achat d’espace, régies et médias).
Le titre de cette enquête : «Y a-t-il un problème Havas ?».
Les dirigeants des différentes entreprises concernées ont été évidemment appelés pour commenter nos informations. Certains ont joué le jeu, d’autres moins. Ce sont trois d’entre eux qui m’attendent à Cannes pour une «franche explication».
«Comment un journal comme Stratégies, lu par toute une profession, respecté de tous, porte-parole d’un métier, peut-il se vautrer dans une telle fange de ragots ?», «Mesurez-vous bien la portée de insinuations ?», «Ne comprenez-vous pas à quel point vous êtes manipulés ?», «J’ai appelé votre patron, vous devriez le rappeler…», etc.
Voilà en substance le discours que me servent en cette fin juin 2011, sur la terrasse baignée de soleil d’un palace de la Croisette, ces trois cadres dirigeants de la galaxie Havas-Bolloré.
Les tentatives de pression ne sont pas rares dans les médias, à Stratégies comme ailleurs. Certaines rédactions ont les moyens d’y résister. Grâce à la cohésion de l’équipe, au soutien des dirigeants de l’entreprise (les journaux sont des entreprises), à l’état de santé économique de ladite entreprise. Et grâce à l’idée que les journalistes qui les font vivre se font de leur métier.
L’enquête de Bruno Fraioli et Amaury de Rochegonde est parue fin juin 2011. Elle est consultable en ligne sur le site de Stratégies.