J’ai rencontré Christian Blachas à Lyon en 1985. Il descendait du TGV de Paris pour venir évangéliser la ville des lumières et du saucisson à cuire. Secoué par l’explosion de l’audiovisuel, grisé par la mondialisation, le monde de la communication était en effervescence. Il fallait devenir global et local. De nombreuses entreprises s’ouvraient à la communication, les agences ouvraient des bureaux en région. À cette époque, on croyait aussi à la décentralisation des médias, les quotidiens nationaux se lançaient à l’assaut de la province et de la PQR. À Lyon, Libération, Le Figaro, Le Matin, ouvraient des bureaux, recrutaient des journalistes et des commerciaux. En fin observateur de ces mutations, Blachas avait décidé d’ouvrir des rédactions de Stratégies à Lyon et à Marseille.
« Trouver le Séguéla lyonnais »
À Lyon, nous étions une petite équipe de trois Lyonnais, dirigé par un jeune Parisien, Philippe Larroque. Je me souviendrai toujours du brief de Christian Blachas , lors de notre première conférence de rédaction : « il faut trouver les Séguéla lyonnais ». Nous les avons cherchés, juré, mais pas trouvés. Rien que pour remplir la rubrique des compétitions et nouveaux budgets, à l’image de ce que faisait l’édition nationale, ce fut la croix et la bannière. Notamment parce que les Lyonnais cultivent prudence, méfiance et discrétion. Ils voulaient bien faire de la pub mais ils ne voulaient pas trop que ça se sache, en quelque sorte (j’exagère à peine).
Ce n’était pas seulement Lyon qu’il fallait couvrir mais toute la région Rhône-Alpes Auvergne. Nous n’avons pas trouvé de Séguéla à Annecy ou Clermont non plus, mais nous avons rencontré des centaines de professionnels compétents et enthousiastes. Le vivier d’entreprises de la région était dense et stimulant. Cela dit, l’effet TGV n’a pas été aussi positif qu’attendu, certains annonceurs préférant l’utiliser pour monter voir une agence à Paris et les valeureuses agences lyonnaises ont dû se battre. À cette époque d’avant internet, le télétravail depuis de vertes montagnes n’était pas envisageable.
Les années 80 étaient dures, des années fric, frime, performance. Du point de vue d’un observateur de la communication, elles étaient passionnantes. Les médias et les agences se recomposaient, on passait de la réclame à la publicité, du national à l’international. C’est le big bang, disait Blachas. Et il ne voulait pas en manquer une miette. Le positionnement de Stratégies était au meilleur point d’observation, dans l’œil du cyclone. Blachas aimait les patrons de médias et les patrons de pub (pardon Marie-Catherine, Mercedes et les autres, il n’y avait pas beaucoup de femmes patrons à l’époque, alors je mets au masculin). C’étaient ses potes. Il aimait les publicitaires leur esprit d’entreprise, leur philosophie créative, leur vision de la société. Il admirait autant l’audace créative que la force du business. Il tenait à les connaître tous, les grands escrocs, les surdoués, les visionnaires, les petits rusés etc. Il avait de l’affection pour Jacques Séguéla parce qu’il avait compris avec lui que tout était, ou du moins devenait, communication, politique religion culture et compagnie. Et ça arrangeait bien ses billes.
Christian Blachas était un entrepreneur très attaché à son indépendance. Il n’a jamais pu concevoir son journal autrement qu’indépendant. Il ne voulait pas en faire un titre de presse professionnelle, ennuyeux et subordonné à ses annonceurs. Il voulait que le journal de la pub et des médias soit différent, plus glamour, qu’il claque comme un journal d’information générale, un journal d’opinion où se tiennent des débats essentiels. Il inventait un format.
Tragédie grecque
Pendant que la communication vivait son big-bang, Christian Blachas vécut lui aussi le sien. Cela prit la forme d’une tragédie grecque. Il racontait avoir reçu un coup de poignard dans le dos de son associé, qui par la technique du leverage-by-out prit le contrôle du capital de Stratégies. Blachas, viscéralement indépendant, n’eût pas d’autre solution que de partir, quitter le journal qu’il avait créé et qui était sa fierté. Se remémorant peut-être qu’en grec ancien, « stratégies » signifie l’art de la guerre.
Un échec qui prépara le succès suivant. Comme la communication et le journalisme étaient toute sa vie, Christian Blachas partit créer un journal concurrent, CB News (pour Communication & Business). Une partie de la rédaction de Stratégies le suivit, je les rejoignis quand je montais à Paris en 1987. Et cette fois-ci le brief fut : Être meilleur que Stratégies. « D’un point de vue psychanalytique, c’est particulier, je dois tuer mon propre enfant », expliqua-t-il un jour. Heureusement Christian ne croyait pas trop en la psychanalyse et cette rivalité eut des effets libérateurs. Les débuts de CB News ce fut l’époque des titres accrocheurs du genre « Moins de tests, plus de testicules », et de la guerre permanente des exclusivités contre Stratégies (désolée, les amis !).
Christian Blachas aimait les bonheurs concrets, le rock, le foot, les femmes, la séduction, le sexe, les blagues. Il n’était pas prétentieux. Il était aussi un formidable rédacteur en chef, le meilleur que j’ai jamais connu à vrai dire. Il poussait ses journalistes à l’investigation (à l’époque on avait du temps !), à la réflexion, au débat. Il n’avait pas peur des fortes têtes pourvu qu’elles aient du talent. Il était créatif chaleureux et courageux. « Tu verras, me disait-il, le pouvoir ça ne se donne pas, ça se prend ». J’ai vu, quand nous avons monté ensemble l’émission Culture Pub.
Une marque nait avec la vision de son fondateur. Dans l’ADN de Stratégies, il y aura toujours Christian Blachas et son charisme.
Parcours :
Journaliste à Stratégies Rhône-Alpes de 1985 à 1987.
Chef de la rubrique création à CB News de 1987 à 1989.
Cofondatrice, rédactrice en chef et présentatrice de l’émission Culture Pub sur M6 de 1987 à 1996.
Enseignante à Sup de Pub Paris et Bordeaux.
Journaliste et productrice de TV.