S’il est encore trop tôt pour crier victoire sur un virus dont nous ne savons toujours pas grand-chose, si ce n’est qu’il a réussi à gripper l’activité mondiale depuis bientôt deux ans, certains signes ne trompent pas. Au-delà du simple ras-le-bol général des mesures de distanciation qui exacerbe depuis quelques mois les envies de rencontres, l’augmentation de la couverture vaccinale a fait renaître l’espoir d’un retour à une vie normale ou presque. Un espoir de plus en plus partagé par les professionnels de l’événement au gré des réouvertures de sites, des suppressions de jauges, et plus récemment de la mise en place du passe sanitaire. Après dix-huit mois d’arrêt et une perte d’activité de 70% en moyenne en 2020 d’après l’Unimev, «le métier et les mentalités ont évolué, et nous avons enfin basculé dans l’optimisme», observe François Bitouzet, directeur général de PublicisLive Paris. Reste à savoir ce qui résultera de cet engouement, tant en termes de formats que d’objectifs et de volumes : «Sur 100 événements de 2019, 25 ne se feront plus par manque de ROI ou d’écocompatibilité, 25 reprendront une forme 100 % physique et 50 seront hybrides, poursuit François Bitouzet. Pour tous, l’enjeu est celui de l’attention.» Mais avant d’atteindre ce nouvel équilibre, un grand nombre de professionnels – agences et annonceurs – observent une étape intermédiaire. Fatigués par des mois de communication digitale, les publics veulent d’abord goûter aux formats classiques : «Actuellement, l’essentiel de la demande porte sur la convivialité, la simplicité et la rationalité, observe Dan-Antoine Blanc-Shapira, président de Sensation. Paradoxalement, si tout le monde s’accorde à dire que nous ne reviendrons pas au modèle d’avant, nos clients nous demandent principalement de prioriser la rencontre en travaillant sur des formats physiques capables de basculer en digital en cas de besoin. La version digitale permet surtout de remettre un peu de sérénité dans l’organisation.» L’hybride attendra.
Des craintes encore présentes
«L’essentiel de la reprise concerne les événements “consumer” des marques du luxe et de la joaillerie avec lesquelles nous avons retrouvé le niveau d’avant crise, constate Cyril Giorgini, président d’Auditoire. Passé ces opérations, nous n’avons pas encore revu de grands événements physiques back to business. Nous n’avons fait que rallumer la chaudière…» Frédéric Bedin, président du directoire d’Hopscotch, confirme : «On sent une envie de soutenir la rencontre physique, mais on ne peut pas encore parler de vraie relance. Il y a une forme de pudeur, tant sur les formats – pas de grosses fêtes, pas d’effet waouh… – que sur les plans économique et sanitaire. Les entreprises ont envie, mais elles n’osent pas !» La crainte de devenir un cluster ou d’être celui par qui un nouveau variant est arrivé est très présente. Conséquence, l’attentisme est de mise, même si dans le même temps les agences soulignent une reprise des consultations et autres appels d’offres à un rythme soutenu, supérieur à ce qu’il était avant le début de la crise. Lionel Malard, consultant auprès des acteurs de l’événement, appelle pourtant à la vigilance : «Nous pourrions vivre une situation comparable à celle de l’après-crise de 2008. Les donneurs d’ordre avaient alors multiplié les appels d’offres, mais il s’agissait davantage pour eux de s’occuper en faisant l’état des lieux de leurs partenaires que d’avoir un vrai projet. Certains faisaient travailler les agences alors qu’ils ne disposaient pas encore d’éléments majeurs sur leur stratégie de relance.» Dans une économie encore soumise aux mutations du virus, il est effectivement probable que les entreprises soient plus attachées à parer les derniers coups de la crise qu’à définir de nouveaux objectifs stratégiques. Quelles qu’en soient les raisons, cette hystérie d’appels d’offres et de référencements, assortis des dérapages habituels – trop d’agences consultées, pas de rémunération ou d’indemnisation… –, a conduit les agences à montrer les dents et à envisager des ripostes plus virulentes, comme le rappelle Cyril de Froissard, président de Lévénement (lire l’interview p. 8 du supplément event de Stratégies n°2099). À l’heure où les réseaux sociaux libèrent la parole à grands coups de hashtags, Cyril Giorgini en est convaincu : «Toutes les digues de la confidentialité de ces rapports malsains entre annonceurs et fournisseurs sont en train de sauter. Il ne sera bientôt plus possible d’afficher sa vertu d’entreprise tout en se comportant mal en coulisse. Après #BalanceTonAgency, je ne serais pas surpris de voir sortir un #BalanceTonProcurement ou un #BalanceTonAppeldoffres ! Ces dix-huit derniers mois ont fait monter la température plus vite du côté des agences. Pour nous, le coût des compétitions est désormais supérieur aux profits d’Auditoire Paris ! Nous ne pouvons plus assumer qu’un pourcentage important de nos équipes ne travaillent que sur des compétitions perdues d’avance.»
Des changements durables
Passé les sujets qui fâchent, la crise sanitaire a imposé des changements de comportement durables qui devraient ouvrir de nouvelles perspectives aux professionnels de l’événement. «Le télétravail et l’éclatement physique des équipes obligent les entreprises à repenser leur organisation, mais aussi nos missions, explique Frédéric Bedin. Certains clients dont les collaborateurs passent 50 à 90 % de leur temps en télétravail nous demandent de repenser le temps restant passé ensemble pour de la formation, du team building, de la créativité, etc. Ils nous sollicitent pour inventer et professionnaliser ces nouveaux moments.» Les entreprises ayant souvent réduit la superficie de leurs bureaux, le patron d’Hopscotch prédit également une émergence des besoins en tiers-lieux pour recevoir les rencontres professionnelles entre collaborateurs et, pourquoi pas, l’émergence d’Airbnb de bureau ! Contre toute attente, le tourisme d’affaires, qu’on disait pratiquement enterré, pourrait également profiter de la crise. Comme pour les autres formats, le voyage, si les conditions sanitaires le permettent et s’il a une vraie raison d’être (notamment business), devrait reprendre des couleurs. «Les voyages pour des raisons purement statutaires devraient disparaître», estime en revanche Frédéric Bedin. Ce qui n’est pas une bonne nouvelle pour les professionnels de l’hospitalité autour des événements sportifs. Mais il reprend : «Si toutes les entreprises ont réalisé de grosses économies avec l’arrêt des voyages, ces derniers restent un avantage concurrentiel, car seule la rencontre physique permet de se faire connaître. C’est en partie parce que nous avons envoyé une équipe au Moyen-Orient que nous avons pu gagner un appel d’offres face à deux agences (australienne et anglaise). La rencontre physique aura toujours plus d’impact qu’une rencontre via Teams.» Si la crise, en imposant la distanciation, a rendu la digitalisation indispensable et a fait entrer l’événement dans une nouvelle ère, rompant le triptyque unité de temps, de lieu et d’action, elle ne semble pas avoir pu remettre en question sa vertu cardinale : la rencontre physique.
2021, mieux que 2020 mais loin de 2019
Les derniers mois, marqués par la levée des interdictions et la réouverture des sites, auront permis à la filière de réduire son déficit, qui passe de 1,7 milliard d’euros en 2020 (avec une baisse de 75% de son chiffre d’affaires) à 300 millions en 2021, d’après un sondage réalisé pour l’Unimev. Elle devrait réaliser cette année 3,66 milliards d’euros de chiffre d’affaires, mieux donc qu’en 2020 (2,9 milliards), mais très loin du niveau d’avant crise (9,17 milliards en 2019). Et si plus de 95% des exposants et des donneurs d’ordre déclarent vouloir revenir sur les événements, ils le feront sur de plus petites surfaces. Côté perspectives, 41,4% des professionnels voient en 2022 et 45,8% en 2023 l’année de reprise «normale», mais 62% restent toujours inquiets pour la pérennité de leur entreprise.
Trois questions à… Renaud Hamaide, président de Comexposium et coprésident de l’Unimev
«Les salons vont se régionaliser»
Les salons doivent-ils se réinventer pour sortir de la crise ?
Il est clair que le fait que le digital se soit imposé dans l’univers de la communication pendant la crise sanitaire pour se substituer momentanément à la rencontre a ouvert de nouvelles perspectives, et va peut-être remettre en question certains modèles d’événements. Mais l’événement physique reste un vecteur de liens privilégiés : le succès des premières éditions post-pandémie de VivaTech ou Bim World nous a montré que le besoin de rencontre était toujours là. Nous sommes convaincus que c’est l’alliance entre les atouts du physique et la valeur ajoutée du digital, couplée à une meilleure exploitation de la data, qui va permettre d’intensifier et de personnaliser les parcours et de créer de nouvelles offres innovantes et durables.
Comment vont-ils évoluer dans les mois et les années à venir ?
La crise ayant mis en relief les risques liés à une trop grande dépendance à d’autres pays, notamment lointains, nous allons sans doute voir certains grands salons se continentaliser, se régionaliser, au moins pendant une période.
D’autres vont se spécialiser pour s’adresser à des communautés plus réduites, avec des contenus plus pointus. Où en est l’activité salon ?
Nous n’avons pas encore tous les chiffres au niveau national, mais en ce qui concerne Comexposium, 100 dates ont été confirmées d’ici à la fin de l’année. La quasi-totalité de nos événements aura donc bien lieu. Pour certains sur de plus petites surfaces ou avec des visiteurs moins nombreux, mais aussi plus qualifiés, plus engagés et plus motivés.