Lorsque je suis recruté en 1988 par l’agence Alice, je franchis les portes d’une agence au firmament de la création française et qui vient notamment de se distinguer en gagnant, avec la campagne Lucky Strike, le déjà très réputé Grand Prix Stratégies.
L’agence Alice est à cette époque dirigée par des directeurs de création tyranniques qui font trembler les jeunes commerciaux dont je fais partie. L’exigence est partout : dans la qualité des briefs, la préparation des shows aux clients et prospects et le souci du moindre détail pour la réalisation des campagnes.
La force de l’agence Alice est bien évidemment dans ce qu’elle produit mais aussi beaucoup dans sa capacité à gérer sa propre marque, afin de démontrer implicitement au marché que les cordonniers ne sont pas les plus mal chaussés. Le jaune est partout dans l’identité très cohérente de l’agence : logo, brochures, mailings prospect… Grâce à une stratégie d’autopromotion intelligente, Alice jouit d’une très forte notoriété qui la rend très désirable auprès des annonceurs.
« La pub, rien que la pub », clame aussi l’agence dans un marché qui commence pourtant à répartir ses investissements entre cette dite publicité et le hors média, constitué principalement du marketing direct, de la promotion des ventes, de l’événementiel et des RP. Le digital n’a pas encore vu le jour.
Lorsque j’accède au club très fermé des actionnaires de l’agence au milieu des années 90, je parviens à convaincre mes associés de mettre au monde Zoa, fille d’Alice, dont la mission va être de capter une partie de la manne de plus en plus conséquente issue du hors média. Alice va prospérer, grandir et gagner des appels d’offres de plus en plus prestigieux : Yves Rocher, Leclerc, Celio, les privatisations d’Elf Aquitaine et de France Télécom.
Un rachat fatal
Mais au tout début des années 2000, Alice va chuter, conséquence à mes yeux du rachat de l’agence par le géant mondial Interpublic. La perte d’indépendance va se traduire par un déplacement fatal de l’exigence : de l’exigence du produit à l’exigence financière. Le brillance créative n’est plus la priorité ; la rentabilité devient le maître mot. Et puis les dirigeants que nous sommes encore ne sont plus de vrais associés mais des managers “stock-optionnés” et ça change tout dans notre complicité.
En 2001, l’actionnaire-anglosaxon dicte une fusion avec Lowe Lintas et la marque va petit à petit s’effacer.
Que reste-il d’Alice aujourd’hui ? Des grandes campagnes qui ont marqué l’histoire de la publicité française : Lucky Strike, l’Office du tourisme grec, La Samaritaine, le Club Med, Pelforth, Celio, Victor… Un groupe Facebook très actif, « Les Enfants d’Alice », au sein duquel notamment les Aliciens se remémorent ces fameuses Ste Alice, grandes fêtes annuelles le 16 décembre, à la fois récompense et défouloir. Et surtout, une culture publicitaire très forte portée par certains d’entre nous, toujours présents dans l’univers de la communication.