Télévision
Les opérateurs historiques font le pari de résister par les programmes à l'offensive des grandes plateformes de streaming dans les contenus audiovisuels. Leurs grilles de rentrée s'appuient sur des recettes qui marchent et sur la création originale tout en tentant des innovations.

La rentrée TV est lourde d’enjeux et riche de quelques surprises. Si les audiences accompagneront la reprise du travail en présentiel, les chaînes comptent sur leurs marques phares de programmes, des fictions inédites ou leur offre d'information en cette année électorale pour faire la différence. « La télé qui a profité de la crise sanitaire va retrouver une tendance à la baisse car elle a pu surfer sur la période où les gens étaient confinés chez eux, explique Philippe Nouchi, directeur de l’expertise média chez Publicis Media. Il lui faut développer son attractivité en misant sur la qualité des programmes car cela ne se fera plus sur le temps libre du public. À cela s’ajoute que les plateformes de SVOD investissent de plus en plus d’argent sur les contenus : il faudra voir si de leur côté les chaînes le font assez. » Pour se distinguer, elles espèrent aussi marquer les esprits avec des innovations. Pascal Josèphe, expert des programmes, constate ainsi une tendance à la performance que reflète The Artist (France 2) : « Après la télé nounou, c'est la télé du dépassement de soi », note-t-il. « L’enjeu pour les chaînes en cette rentrée est de réaliser des grilles aussi performantes avec moins d’argent », note Marlène Auvieux, directrice TV de Repeat Group, qui constate, en parallèle, une inflation tarifaire brute de 6 à 7 % sur la publicité.

  • 2022, l’info à l’heure de l’urne 

Si l’élection présidentielle promet de se dérouler dans un climat de défiance à l’égard des médias, les chaînes se préparent à faire vivre le débat. France 2 proposera une adaptation de Vous avez la parole, au travers de Élysée 2022 : Léa Salamé et Thomas Sotto y accueilleront, une fois par mois, des invités politiques. Autre rendez-vous, 20h22, le soir, avec Anne-Sophie Lapix, Nathalie Saint-Cricq et Mohamed Bouhafsi, nouveau venu dans la maison. La matinale de Télématin (France 2) est repensée, autour de Thomas Sotto et Julia Vignali en semaine, et une diffusion élargie à sept jours sur sept. C à Vous (France 5) s’allonge de quarante minutes et fait appel à Matthieu Belliard ou Mohamed Bouhafsi. De son côté, le groupe M6 - qui devait dévoiler l’essentiel de ses nouveautés le 8 septembre - prévoit de décliner Une ambition intime de Karine Le Marchand avec des « femmes de pouvoir ». Sur BFMTV, Jean-Jacques Bourdin pilotera entre quatre et six reprises, un rendez-vous dédié avec une sélection de candidats à la présidentielle. Le groupe TF1 annoncera lui aussi son dispositif dans « quelques semaines ». LCI, avec Ruth Elkrief 2022 entre autres, sera mobilisée, pour relayer plus d’informations et de faits que de débats ou d’opinions, résultat d’un repositionnement éditorial de la chaîne, qui devait les 8 et 22 septembre mettre à l’honneur les débats de la primaire écologiste. Toujours au sein du groupe, Quotidien, sur TMC, renouera avec davantage d’invités politiques. Par ailleurs, côté publicitaire, l’année pourrait être délicate car en période d’élection, les annonceurs font traditionnellement preuve de prudence.

  • Un festival de fictions

Plus de vingt fictions inédites sur TF1, 420 millions d’euros investis dans la création audiovisuelle à France Télévisions, 13 créations originales à Canal+. « Je n’ai jamais vu une rentrée aussi riche en fictions, les plateformes tirent vers le haut la qualité de la création française, note Pascal Josèphe, président de PJ Conseil. Stimulé par les Netflix ou Disney+, le groupe TF1 démarre dès le 2 septembre sa mini-série Mensonges, avec Arnaud Ducret et Audrey Fleurot, qui a fait un carton dans HPI. Attendues aussi : Une affaire française, collection inspirée de grandes affaires criminelles, dont la première saison sera consacrée à l'affaire Grégory, avec Guillaume de Tonquédec et Gérard Jugnot. On retrouvera aussi Fugueuse, sur la prostitution adolescente, ou Les Combattantes, sur quatre femmes durant la Seconde Guerre mondiale. Tous les genres sont ainsi représentés à travers des adaptations de séries étrangères ou d'œuvres littéraires. Une attention particulière est accordée aux sujets société. France Télévisions met à profit son alliance avec la RAI et la ZDF pour proposer ses coproductions Leonardo ou Germinal. « C’est le retour de la fiction en costumes, ajoute Pascal Josèphe, ce qui importe, ce sont les histoires, avec notamment des adaptations du patrimoine littéraire ». Le groupe programmera aussi Le Code, une série judiciaire (6x52 mn) tandis qu’Arte diffusera notamment Nona et ses filles, où la septuagénaire Miou-Miou apprend qu’elle est enceinte. Avec les affaires criminelles, les sujets de société sont aussi au menu. M6 programmera À la Folie, une fiction sur l’emprise et les violences faites aux femmes réalisées par Andréa Bescond et Éric Métayer. Avec ses treize créations inédites (sur un total de 50), soit « le plus gros volume de notre histoire », selon Gérald-Brice Viret, DG de l’antenne et des programmes, Canal+ fait le pari de l’humour, avec les séries On The Verge, de Julie Delpy, dès le 6 septembre, La Flamme 2 de Jonathan Cohen, La Vengeance au triple galop, d’Alex Lutz ou La meilleure version de moi-même, de Blanche Gardin.

  • Divertissement : des marques fortes

Côté divertissements, les grandes marques restent au programme. Sur TF1, le passage de Koh-Lanta du vendredi au mardi a, pour la première le 24 août, porté ses fruits, avec 5,6 millions de téléspectateurs. Le groupe dégaine aussi The Voice All-Stars tandis que Danse avec les Stars fera son retour le 17 septembre après deux ans d’absence dans une version renouvelée. « Koh-Lanta, The Voice… Ces programmes familiaux devraient bien fonctionner », note Marlène Auvieux. Mais le public ne risque-t-il pas de se lasser ? « Tant que c’est rentable, ils ont intérêt à miser dessus, estime Philippe Nouchi. Chez TF1, les franchises sont présentes sur un nombre important de prime times. Ces marques bien ancrées sont un atout. » Ce qui n’empêche pas la création de nouveaux formats comme fin 2019 Mask Singer, relève aussi l’expert. De son côté, France Télévisions fait « le pari d’une tonalité légère, d’une télévision où l’humour et l’audace ont toute leur place », avançait Delphine Ernotte Cunci, présidente de France Télévisions. Le samedi soir, face à The Voice all Stars sur TF1, c’est sur The Artist que mise le groupe : ce programme de Nagui vise à faire découvrir des auteurs-compositeurs-interprètes. « Une première mondiale », selon l’animateur producteur. Sur 1 600 candidats, 22 talents chanteront leur création et une reprise. En plus du jury, le public les départagera sur Instagram. « Nagui tente de donner une place à la performance et au dépassement de soi sur le service public, observe Pascal Josèphe, président de PJ Conseil. La BBC a bien The Voice. Il y a Le meilleur pâtissier, pourquoi pas le “meilleur auteur” ? Ceux qui ont la fibre du dépassement de soi ou qui aimeraient se dépasser sont accros. Cela fait écho à la mise en valeur de la performance individuelle dans la société. » Côté culture, plusieurs gros rendez-vous sont annoncés, comme l’Eurovision Junior le 19 décembre sur France Télévisions ou la manifestation mondiale Global Citizen Live le 25 septembre chez TF1. Le groupe M6 prévoit un événement autour de Jean-Jacques Goldman. 

  • Du grand au petit écran 

Si la pandémie a fortement perturbé les sorties en salle, cela ne devrait pas - du moins pas immédiatement - se traduire dans les grilles. Ainsi, Canal+ promet pour cette saison 600 films inédits (The Father, Adieu les cons, Drunk, Titane, Bac Nord…), contre environ 400 pour une année « normale ». Si la production de certains blockbusters américains a été stoppée, « nous bénéficions d’un cinéma français très actif », argumente Gérald-Brice Viret, directeur général des antennes et des programmes du groupe, qui célèbre par ailleurs ce 9 septembre le lancement de deux nouvelles chaînes, sur les documentaires et les programmes jeunesse. Autre poids lourd du secteur, France Télévisions promet de se renforcer dans le cinéma aussi bien à l’antenne qu’en ligne, avec notamment une case sur France 3 décalée au vendredi soir. TF1, enfin, devrait continuer de miser sur la case du dimanche soir, qui sera occupée par des succès français (Le Grand Bain, Qu’est-ce qu’on a encore fait au Bon Dieu ?…) ou hollywoodiens (Avengers : Endgame, A Star is born…). Quitte à ne pas diffuser tous les films achetés dès à présent pour compenser un éventuel manque de films lorsque, en décalé, les effets de la pandémie se feront sentir. Le groupe poursuit, par ailleurs, sa stratégie en matière de coproduction. Un moyen notamment, avec la gestion optimisée des stocks et la diffusion multi-chaînes, de mutualiser les coûts de production.

  • Explorations tech et numériques

Parmi les innovations en matière de programmes, on suivra avec attention Hôtel du temps, le nouveau programme de Thierry Ardisson annoncé sur France 3, qui fait revivre des personnalités défuntes via l’IA (Gabin, Mitterrand…). « J’ai interviewé tout le monde, il ne me restait plus que l’autre monde », flamboie l’animateur. « Une performance artistique », selon Pascal Josèphe, mais qui devra avoir son lot de provocations pour intéresser le public du XXIe siècle. Sur Salto, plateforme de SVOD des groupes TF1, France Télévisions et M6, qui aura un an en octobre, les chaînes proposeront des contenus en avant-première, comme les épisodes de la nouvelle mini-série Mensonges (TF1) ou de L’Amour est dans le pré 2021 (M6). Twitch ou TikTok seront de plus en plus utilisés par les chaînes, notamment autour de la présidentielle. Sur un autre sujet, France Télévisions a lancé cet été Nowu, plateforme d’information sur les enjeux environnementaux et climatiques, en lien avec WDR, organisme de service public allemand. Il a aussi initié Les Révélateurs, plateforme de fact-checking qui s’intéresse aux images trompeuses via le deep fake. De son côté, Canal+ affiche trois enjeux sur le numérique : déployer MyCanal auprès d’un nombre grandissant d’abonnés, engager ses communautés par des contenus, notamment sportifs, et innover. Autour de la Ligue des champions, elle proposera le multi-live, à savoir la possibilité pour un amateur de visualiser jusqu’à huit matchs à la fois, contre quatre programmes jusqu’à présent. Pour tous, la rentrée s’annonce sport.

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