Ce week-end, j’ai repensé à un film italien. Casting copieux et propos roboratif : Marco Ferreri signait en 1973 La Grande Bouffe, avec Marcello Mastroianni, Philippe Noiret, Ugo Tognazzi et Michel Piccoli. La farce donne à voir quatre amis qui, le temps d’un week-end, se réunissent pour un seppuku gourmet : le quatuor s’adonne à un suicide culinaire, se gavant jusqu’à rendre gorge. Avec ses personnages tour à tour voraces et blasés, Ferreri entendait dépeindre la vanité de l’existence bourgeoise, cachant sous un prétendu hédonisme sa morbide vacuité.
Ce week-end, plus de 40 ans après, les protagonistes n’avaient pas vraiment la classe des Mastroianni, Piccoli et consorts. Les goinfres de 2021 ont pourtant en commun la même soumission à une seule loi : le principe de plaisir. Le premier confinement avait donné naissance au « yoga jusqu’en enfer », le troisième inaugure les agapes jusqu’à la mort – médiatique. L’affaire est de l’eau dont sont faites les révolutions : pendant que certains privilégiés se gobergent dans des dîners clandestins à 500 euros, les quidams se font verbaliser pour avoir mangé un sandwich dans la rue. « Donnez-leur de la brioche ! ».
Ce week-end, les réactions appelaient à la fin d’un monde, ce monde où des jouisseurs éhontés se croient au-dessus des restrictions. Puis, très vite, les moqueries sur le menu du festin ont déferlé. François Truffaut disait qu’en chaque Français se cache un critique de cinéma. En France, par-delà les crises et les privations, sommeille aussi, en chacun de nous, un critique gastronomique…