Marque employeur
À l'heure où les entreprises s’interrogent sur leur avenir, les classements des entreprises où il fait bon vivre ou travailler tentent de s'adapter à la nouvelle donne. Mais servent-ils encore de balises ?

Evelyne Saïman, talent acquisition director chez Deloitte, a pris une décision. Le groupe ne participera plus au classement HappyIndex at work (1). C’est acté depuis le 1er septembre. « On a mis en attente les classements d’entreprises qui demandent un budget, commente la directrice talent et attractivité du géant du conseil. Cela faisait quelque temps que l’on se posait des questions. Il y a dans cette course aux classements un risque de standardisation pour plaire au plus grand nombre. » Un défaut d’authenticité qui ne colle plus à l’air du temps et un calendrier annuel en rupture avec le besoin de feedback permanent plébiscité pendant la crise sanitaire.

Décalage de réactivité

Cet automne, il est vrai, les thématiques RH ne manquent pas. Il faut continuer de gérer des formes hybrides de travail et, parfois, ajuster les coûts avec un plan de départs. Bref, le temps et les budgets sont affectés à d’autres préoccupations. Charles Chantala, directeur commercial chez Indeed France, métamoteur de recherche d’emploi, souligne d’ailleurs le décalage de réactivité entre candidats au recrutement et entreprises : « Les requêtes des premiers ont été multipliées par trois en deux semaines, quand les entreprises sont plus lentes à réagir de façon à revoir la manière de rédiger leurs offres. »

Quid des classement de marque employeur ? Directeur du Top employers institute, qui délivre des certifications depuis quinze ans, Vincent Binetruy ne le cache pas : « 5 % à 10 % des entreprises ont remis à l’an prochain leur participation, même si elles sont encore 250 à se prendre au jeu. » Selon Pierre Trippitelli, managing partner Europe du cabinet Perpetual et expert transatlantique des RH, « 2020 doit être mise entre parenthèses ». « C'est une année de reset, résume-t-il. Si les enjeux RH sont très importants – cette année restera celle des ressources humaines -, il sera plus intéressant de procéder à ces classements dans six mois. Parler de bien être au travail quand tous les salariés ne sont pas revenus sur leur lieu de travail habituel biaisera les résultats. Et une progression des chiffres pendant la crise sanitaire n’est pas forcément bon signe. Les équipes peuvent être sur les genoux, fatiguées comme les médecins. La stratégie à développer : faire de 2020 une année blanche ! »

Bannir le « stop and go »

« Ces classements disent quelque chose de la société qui est à la recherche de sécurité et de sérénité, souligne Romain Zerbib, enseignant-chercheur à l’ICD business school, mais de là à dire qu’ils ont une incidence réelle sur la performance des entreprises, je ne suis pas convaincu. » Pourtant, il y a de vrais adeptes. On peut citer Tanium, spécialisée dans la gestion et la sécurité des données, qui communique actuellement sur sa quatrième place dans le Fortune Best workplaces for millennials 2020. Leader dans le cloud pour les logiciels RH, Workday cumule les lauriers en France, au Canada ou en Irlande. « Le classement Great place to work nous a permis de renforcer notre marque employeur, commente Jérôme Froment-Curtil, directeur général France, et de relayer les engagements pris par notre société, qui contribuent à développer un environnement inclusif. »

Decathlon, Danone, Mars… trustent les podiums. Tous les podiums. Lancé en 2000, le modèle Tripadvisor a essaimé dans le monde des RH. La parution des palmarès signés Fortune, Glassdoor, Top Employers Institute, Trendence, Universum ou Great place to work… ont su s’imposer sur le marché français. Le dernier classement Universum, réalisé en partie pendant le confinement, montre que le premier et le quatrième du « Top 10 business » sont deux groupes ayant oeuvré sur le plan sanitaire : LVMH (gel hydroalcoolique) et Decathlon (masques de plongée à disposition des hôpitaux).

Epoka, agence conseil en marketing et communication, a aussi une édition 2020 de son classement des entreprises préférées des jeunes diplômés. Son président, Mathieu Gabai, recense déjà 300 inscriptions. « L’usage sera peut-être différent, concède-t-il, avec peut-être moins de communication à la clé, effet covid oblige... Quoique... Ce n’est pas parce que le marché est compliqué qu’il n'y a pas besoin de talents. Savoir tirer les leçons des crises précédentes est essentiel et éviter la politique du "stop and go". »

Illustration de cet intérêt avec Garance, mutuelle pour les PME et les artisans. « On repostule pour 2021, avec Great place to work, s’enthousiasme Anne-Laure Tapponier, la directrice RH et innovations sociales. S’il n’y a pas d’effet magique, on mesure l’engouement de nos équipes, la fierté qu’elles ressentent. On les écoute. Elles sont contentes. La symétrie des attentions est perçue. Notre chiffre d’affaires est à +43 % et un développement de 26 % a été enregistré pendant le confinement. » La prime à la bonne gestion pendant la crise sanitaire transpire dans ces classements. En ligne de mire la notion de « smartworking », selon Eléa Mouaissia, cheffe de projet Great Place To Work, « ou comment travailler autrement et... travailler mieux. »

Talent Acquisition Director de Deloitte

«L'authenticité est au cœur de la démarche»

Trois questions à

Arnaud Lacan, professeur de management à la Kedge Business School.



Comment expliquer le boom de ces classements ?

La bascule des ressources humaines dans le marketing date d’une dizaine d’années. Avec la nécessité de séduire le futur collaborateur comme on le fait pour un client. Et se retrouve, dans ces palmarès, l’expression des salariés. Comment cela se passe vraiment ? Concrètement ? Une information utile au chercheur d’emploi. Aujourd’hui, il n’y a plus d’incertitude sur les salaires. Ils sont connus. Les critères qui comptent pour la jeune génération ciblent l’intérêt du poste, les valeurs de l’entreprise, la qualité de l’ambiance. Or, parfois, la réalité est bien différente du discours tenu par des champions de la marque employeur. Des grands noms peuvent être cités comme entreprise où l’on aimerait travailler, et rarement dans celles dans lesquelles on aime travailler. Le distinguo n’est pas anodin. L’authenticité est au cœur de la démarche. Great place to work (GPTW) ou bien encore Universum, par exemple, ouvrent une asymétrie d’information entre candidats et employeurs.

 

Apparaître dans ces classements serait uniquement positif ?

Pas forcément. S’y lancer peut aussi être perçu comme un signe extérieur de faiblesse de l’entreprise sur le marché de l’emploi. En effet, les produits puissants n’ont pas besoin de publicité. La marque au cheval cabré, Ferrari, n’apparait pas sur le petit écran ! Cette démarche répond à une difficulté de recruter, à « CDIser ».

Avec un marché de l’emploi qui se grippe, l’équilibre ne se rétablit-il pas en faveur des entreprises ?

Je ne crois pas au renversement du cycle employeurs / employés. L’impact de la crise va se traduire davantage avec un nivellement par le bas. Les atouts restent dans les mains des candidats.

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